À l’ère de la mondialisation, les avantages de l’intégration régionale sont visibles dans tous les aspects des réseaux d’infrastructures. Et il n’y a que les africains qui ne les voient pas encore. Les experts sont à peu près d’accord que l’intégration régionale permet des économies d’échelle qui réduisent substantiellement les coûts d’exploitation. Ainsi, par exemple, dans le domaine des télécommunications, des câbles continentaux sous-marins en fibre optique peuvent réduire de moitié les tarifs d’internet et des appels internationaux. De même, en matière d’énergie, des pôles régionaux permettant aux pays de partager les ressources les plus rentables peuvent réduire les coûts de l’électricité de deux milliards de dollars par an.
Pour les transports et l’eau, la coopération régionale a l’avantage d’une gestion optimale et du développement des biens publics transfrontaliers. Les corridors routiers et ferroviaires reliant à la mer ou à l’océan les pays enclavés sont des exemples de ce genre de biens publics régionaux, de même que les ports de mer ou d’océan et les centres aéroportuaires régionaux. C’est le cas aussi des 63 bassins fluviaux internationaux de l’Afrique.
Les goulots d’étranglement
Mais qu’est-ce qui fait que la mise à profit effective de ces avantages pose problème à ce jour ? Des experts qui se penchent sur cette question, pensent que les handicaps sont à la fois politiques et institutionnels. Lors du dernier sommet de l’UA, comme lors des précédents meetings, les experts ont constaté que les obstacles politiques prennent encore le dessus sur les arguments économiques dans la recherche du consensus politique à propos de l’intégration économique. Les experts ne cessent de dire aux dirigeants politiques que l’intégration économique régionale suppose un haut degré de confiance entre les pays, ne fût-ce qu’à cause de la dépendance qu’elle implique vis-à-vis des voisins pour des ressources clé comme l’eau et l’électricité. Et tant que les institutions régionales ne seront pas efficaces pour faciliter les accords et la compensation, ce consensus est difficile à construire. L’Afrique recèle une gamme variée d’organismes politiques et techniques régionaux, mais ceux-ci sont confrontés à des problèmes dus au chevauchement des affiliations, à la limitation des capacités techniques et à la faiblesse des pouvoirs de mise en application.
Il faudra donc, préconisent les mêmes experts, de fixer les priorités pour les investissements. Très souvent, les gouvernements africains éludent de fixer les priorités des projets régionaux. Les approches politique, économique et spatiale de la fixation des priorités continuent de faire toutes l’objet de grands débats.
Cependant, on ne prend pas soin de déterminer des cadres réglementaires harmonisés et des procédures administratives permettant la libre circulation des personnes et des biens à travers les frontières nationales, sans lesquels l’intégration physique des réseaux d’infrastructures ne sera réalisable.
Les experts reprochent souvent aux dirigeants africains de voir toujours les choses en grand. Pourtant, il suffit de commencer petit. D’après eux, l’infrastructure régionale est un excellent point d’entrée pour les processus d’intégration, parce que les coûts et les avantages ainsi que les droits et les responsabilités y sont plus faciles à définir. Par le passé, soulignent-ils, beaucoup d’accords régionaux ont échoué parce que, trop ambitieux, ils voulaient en faire trop et trop vite. C’est pourquoi, ils recommandent le partage régional des infrastructures afin de mettre en place des institutions encourageant une plus étroite intégration économique, et la dépendance mutuelle est un facteur de stabilité politique.
On s’accroche à la souveraineté
La difficulté est que les pays ne sont pas encore disposés à céder un peu de leur souveraineté, en échange d’avantages concrets, comme le partage de l’eau ou des prix plus avantageux pour l’électricité ou les TIC. Pourtant, l’intégration régionale ouvre la voie vers une meilleure intégration mondiale. Même regroupés par régions, les marchés africains sont trop petits pour soutenir une croissance élevée. L’intégration régionale a ainsi l’avantage de faire passer l’offre à une échelle supérieure en créant de plus grands réseaux de production et une agglomération avantageuse. Cependant, l’objectif clé est la connexion des intrants intermédiaires et des produits semi-finis ou finis aux marchés mondiaux. Les mêmes spécialistes expliquent que cette approche comporte des implications pour le développement de l’infrastructure régionale. Par exemple, pour se connecter aux marchés mondiaux, les principaux centres de production (le plus souvent situés près des côtes) doivent devenir des centres infrastructurels régionaux dotés de ports et d’aéroports performants. Ces grands blocs d’investissements doivent être concentrés là où s’annoncent les meilleures rentabilités économiques. Il est absurde de construire plusieurs ports en eaux profondes dans des pays voisins, alors que leur trop petite échelle dissuade les compagnies de fret internationales de desservir beaucoup de ports africains.
Par ailleurs, l’infrastructure de connexion complémentaire (routes, services de transports, allègement des procédures douanières) encourage la mobilité régionale des facteurs régionaux et le commerce des intrants intermédiaires.
L’Afrique est confrontée à de sérieux défis pour se diversifier en dehors des exportations de matières premières et pour pénétrer les marchés mondiaux avec des produits manufacturés. La Chine et l’Inde ont des marchés unifiés avec des populations respectivement de 70 % et 50 % plus nombreuses que celle de toute l’Afrique subsaharienne. Alors que Shanghai ou Shenzhen en Chine, disposent pour leur main d’œuvre et leurs produits, d’un marché captif de plusieurs centaines de millions de personnes, le marché local de la plupart des centres de croissance africains est limité à quelques millions. Pour permettre à l’Afrique de développer des noyaux industriels régionaux capables de soutenir la concurrence mondiale, les experts recommandent d’abaisser les barrières à la fois à l’interaction productive et (au moins temporairement) à l’accès préférentiel aux marchés mondiaux en assouplissant les règles d’origine. L’intégration régionale est capitale, et le partage des infrastructures régionales doit être une toute première priorité. Les programmes nationaux d’infrastructure comme ceux de l’Inde ou de la Chine (par exemple, le programme autoroutier du Quadrilatère d’Or) nécessiteront des accords entre de nombreux pays d’Afrique. Mais les bénéfices d’une meilleure coordination et d’une intégration des infrastructures seront considérables.