À Kinshasa, les fora sur l’économie nationale mal en point se multiplient. Pour preuve, après la conférence sur l’amélioration du climat des affaires et des investissements, du 29 août au 1er septembre, une autre sur la réforme fiscale se tient, du 11 au 14 septembre, patronné par le président de la République, lui-même. Organisé par le ministère des Finances, le forum sur la réforme fiscale en République démocratique du Congo a choisi un tout autre angle de l’économie : celui de la mobilisation optimale des recettes domestiques, fiscales et non fiscales, face à l’environnement des affaires, à sa place dans le tissu économique et à son rôle dans la compétitivité dans le cadre de la mondialisation du commerce international.
L’approche, classique, de ce forum qui se tient pendant cinq jours au Pullman Hôtel de Kinshasa, part de la dernière crise financière internationale, consécutive de la baisse des prix de principaux produits de base ainsi que de la nécessité d’assainir et moderniser le système fiscal national. Dans un entretien à Business et Finances (édition n°142 du 4 au 10 septembre), le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, a circonscrit le cadre de ces assises : « Un cadre ouvert aux professionnels de la fiscalité. Ceux-ci seront en atelier avec les différents partenaires et le gouvernement pour réfléchir sur la possibilité de moderniser notre système fiscal national ». Bref, il a posé le problème en ces termes: « Doit-on garder le même système ou lui apporter des correctifs dictés par nos spécificités ? » Telle est, en effet, la problématique des thèmes qui seront débattus en ateliers au cours de ce forum afin de parvenir, au terme des « diagnostics objectifs et rigoureux », à la formulation des proposions et des recommandations concrètes devant déboucher sur l’élaboration d’une nouvelle législation et/ou une règlementation fiscales rendant la fiscalité de notre pays « simple, attractive, compétitive, à haut rendement et réellement au service du développement ».
Se sortir du piège de l’attentisme ambiant
Le ton de cette réflexion, on s’en doute, a été donné par le président de la République, Joseph Kabila Kabange, lui-même. S’adressant à la nation devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, le 5 avril, le président Kabila avait levé un certain nombre d’options économiques sous forme de programme gouvernemental. Parmi celles-ci, la lutte « sans concession » contre « la fraude douanière et fiscale » ainsi que contre « la contrebande » afin de mobiliser davantage les ressources internes. Le constat fait par le président de la République est qu’à chaque crise financière internationale, les finances de l’État en subissent le contrecoup. « Il va sans dire que tant que nous ne changerons pas ce paradigme, notre économie restera fragile et fera continuellement les frais des soubresauts de la conjoncture économique internationale », avait déclaré Joseph Kabila Kabange.
Qui s’est donné même le devoir de rappeler, une fois de plus, « la fragilité des fondamentaux de notre tissu économique tournés essentiellement vers le secteur tertiaire ». L’économie nationale est, en effet, marquée, d’une part, par l’importation des biens de première nécessité consommés par les Congolais et qu’ils ne produisent pas ; et, d’autre part, par l’exportation des matières premières, vers les pays industrialisés, source de principales recettes budgétaires, mais dont la fixation des cours échappe au contrôle du gouvernement.
Et dans le même ordre d’idées, le président de la République a martelé : « Tant que notre système fiscal sera écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde, le climat des affaires ne sera pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal. » Ayant pris la mesure des défis, il a appelé à l’union car il faut agir sans plus attendre. « En plus des investissements publics légitimes, l’option est donc définitivement levée de promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers, particulièrement, l’appui direct aux petites et moyennes industries (PMI) et aux petites et moyennes entreprises (PME), spécialement celles engagées dans l’agro-industrie et inscrivant leurs activités dans le cadre des chaînes de valeur », a-t-il insisté.
Pour lui, les Congolais doivent produire ce qu’ils consomment et, il a eu déjà à le dire, il faut conférer de la valeur ajoutée aux produits destinés, non seulement à la consommation domestique, mais aussi à l’exportation, en vue de les rendre plus compétitifs. « Notre pays ne saurait plus indéfiniment être ce grand marché offrant l’opportunité d’affaire et d’emploi aux peuples des pays tiers, au détriment de sa propre population et de son économie. », a solennellement déclaré le président de la République.
Par ailleurs, les efforts de mobilisation des ressources internes doivent être poursuivis à travers « la lutte sans concession contre la fraude douanière et fiscale ainsi que la contrebande », grâce aux réformes fiscales nécessaires et grâce à l’implantation très prochaine, au sein des régies financières des systèmes de gestion informatisée des contribuables, fournis par une expertise appropriée. Le président Kabila a aussi insisté sur « l’impérieuse nécessité » pour le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat de « prendre des dispositions utiles en vue de l’adoption, dans les plus brefs délais, d’une nouvelle loi sur la fiscalité, de celle sur le partenariat public-privé, sans omettre la finalisation de la loi portant révision de certaines dispositions du code minier, en sursis depuis plusieurs mois devant les deux Chambres. »
Convaincu que le gouvernement pourra ainsi disposer des outils solides pour stabiliser, de « manière pérenne et structurelle », la situation économique en cours, avant d’inverser définitivement la tendance préoccupante actuelle. L’amélioration de la situation sociale des populations en dépend. Henri Yav Mulang n’a jamais caché sa grande préoccupation depuis qu’il est à la tête du ministère des Finances : comment traduire en actes concrets les mesures économiques afin d’anticiper sur les effets de la crise ? Grosso modo, l’action qu’il a entreprise depuis quelques années, vise le relèvement du niveau de mobilisation des ressources de l’État et la relance économique en appui au secteur privé.
Selon des observateurs, la réussite dans l’application de ces mesures nécessite « la coercition » et « la correction » pour que ces mesures s’avèrent bénéfiques à la longue. Même si la population, comme chat échaudé craint même l’eau froide, doute de l’application effective et de l’efficacité des mesures prises, qu’elle perçoit comme un simple coup de communication politique, en raison de l’état actuel de l’économie nationale.
Aller vers une dynamique endogène de croissance
Pour renflouer les caisses de l’État, explique un analyste économique, il faut aller chercher ailleurs les moteurs de croissance, en visant l’essor des filières tertiaires et secondaires, qui permettent de satisfaire les besoins de consommation de la population congolaise. Des branches d’activité où interviennent (et doivent intervenir) prioritairement les investisseurs, quels que soient la taille de leur entreprise et la filière concernée. « Si la RDC veut porter en elle une dynamique endogène de croissance, il faut qu’elle mette en place des mécanismes qui permette de se départir néanmoins de certaines antivaleurs », souligne cet analyste. C’est une nécessité, dit-il, au risque de créer un pays à deux vitesses avec d’un côté une poignée de nantis et de l’autre une masse désœuvrée, sans avenir. Seule une croissance porteuse d’emplois et partagée peut donc assurer la cohésion et la paix sociales.
En matière de fiscalité, plusieurs écueils sont de nature à freiner cette croissance. D’après le conseiller spécial du chef de l’État chargé de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, Emmanuel Luzolo Bambi, une sorte de procureur spécial, la fraude (douanière et fiscale) coûte chaque année jusqu’à 15 milliards de dollars à la RDC. Ce montant représente le double du budget actuel du pays. « Lorsque la fraude atteint ces proportions, c’est au sommet de l’État qu’il faut sévir », laisse entendre Luzolo Bambi.
Le pays qui regorge d’abondantes réserves de minerais (cuivre, or, diamant, cobalt, coltan…) demeure mal classé sur la liste de Transparency International qui le place à la 156è position dans son classement sur 175 États évalués.
La lutte contre la fraude et la corruption a été également réaffirmée à travers les 28 mesures urgentes adoptées par le gouvernement Matata en janvier 2016 au plus fort de la crise due à la baisse des prix des produits de base. En 2012, devant l’Assemblée nationale, cet ancien 1ER Ministre avait annoncé la mise en place d’un tribunal fiscal, en soutenant que les quelques recettes de l’ordre de 3 à 5 milliards de francs ne reflétaient pas le potentiel fiscal de la RDC évalué à 20 milliards de dollars l’an. En 2013, devant le congrès, le chef de l’État prenait l’engagement solennel d’endiguer la corruption. D’où la nomination d’un conseiller spécial dont la mission principale est d’assurer un monitoring permanent de l’évolution des patrimoines, ainsi que des cas de malversation, de corruption et d’enrichissement illicite dans le chef des responsables politiques nationaux et provinciaux, des hauts fonctionnaires et cadres de l’administration publique, des mandataires et autres agents publics.
Ancien ministre de la Justice et des Droits humains, Luzolo Bambi est à la manœuvre depuis plus de deux ans, sans que l’on ne sente vraiment son action. En marge des états généraux de la justice, en juin 2015, il avait déploré l’absence de sanctions contre la corruption alors que celle-ci se manifeste dans la vie de tous les jours. Il avait, par conséquent, menacé de poursuivre toutes les hautes autorités du pays impliquées dans la corruption. Ce ne fut pas suffisant pour décourager les malversations dans les services publics. Aussitôt après, le ministre d’État au Budget de l’époque, Michel Bongongo, dénonçait la fuite mensuelle de quelque 174 millions de francs, détournés de la paie du personnel de Santé et de quelque 11 milliards au ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel.
Puis, éclata le scandale du ministère des Affaires étrangères en décembre 2015. Le comptable public principal, dont le nom n’a jamais été révélé, avait disparu dans la nature avec deux millions de dollars… Chacun se demande comment une somme aussi importante ait été perçue par un individu sans escorte de sécurité, alors que les salaires et les primes des fonctionnaires de l’État et des membres des cabinets politiques sont censés être payés par voie bancaire. Tout récemment, Luzolo Bambi a fait un buzz en déposant le 4 août auprès de l’office du procureur général de la République, Flory Kabange Numbi, une liste des mandataires publics (anciens ou en fonction) ainsi que des sociétés et des banques faisant objet de ses accusations de fraude fiscale. Les 14 dossiers en béton présentés au PGR ne constituent qu’une première vague. Il y aurait environ 50 dossiers concernant également des anciens ministres ou des ministres en fonction, des gouverneurs, des opérateurs économiques privés, des hauts fonctionnaires de l’État. L’opinion attend de pied ferme les suites de cette plainte. Du jamais vu depuis 2000.
Selon Transparency International, la corruption est généralement favorisée par la mauvaise gouvernance, la faiblesse des institutions telles que la police et le système judiciaire, ainsi que par le manque d’indépendance des médias. Depuis octobre 2015, le Parlement a autorisé la ratification de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Cette convention vise notamment la promotion et le renforcement, dans les États, des mécanismes de prévention, de détection, de répression et d’éradication de la corruption dans les secteurs public et privé. Elle vise également la coordination et l’harmonisation des politiques et des législations entre les États. Néanmoins, des nuances sont à apporter à ce tableau, car en matière de lutte contre la corruption, l’Afrique n’est pas homogène. L’Afrique centrale, en particulier. Des pays comme le Rwanda, le Ghana, le Botswana, le Malawi se démarquent du reste de l’Afrique sur le plan de la lutte contre la corruption. Ailleurs, cette « révolution » bien qu’en cours, n’a pas encore donné tous les résultats escomptés. En Afrique centrale, elle en est encore à un niveau microscopique et reste un défi.
Informatiser pour éviter le contact physique, source de corruption
Ainsi la RDC doit notamment porter ses efforts sur la mise en place des mécanismes plus dynamiques. Elle doit viser l’informatisation du système fiscal et douanier. Il y a « un désordre savamment organisé » dans les services d’assiette, dont les ministères, selon la commission économique, financière et de la bonne gouvernance du Sénat. Qui estime que la fiabilisation des mécanismes de collecte de recettes de l’État, dont l’informatisation de la chaîne de recettes fiscales et non fiscales constitue un des passages obligés, est « un préalable majeur » pour une mobilisation accrue des recettes publiques. En décidant de mettre en place un système informatique (ISYS-REGIES) d’échange d’informations entre les régies financières (DGI, DGDA, DGRAD) et les banques commerciales encadrées par la BCC, le gouvernement a fait un grand bond en avant. Depuis le 15 mars, la Banque centrale du Congo (BCC) et les régies financières suivent en temps réel toutes les transactions opérées dans le cadre de la chaîne de recettes installée par le ministère des Finances.
Selon le ministre des Finances, grâce aux dispositifs des mesures mis en place par le gouvernement, il y a lieu d’espérer. Un accent particulier sera mis sur le facteur humain qu’il faudra sanctionner tant positivement que négativement en cas de dérapage. À cet effet, deux conventions de collaboration ont été signées entre les responsables des régies financières. C’est l’aboutissement du projet d’interfaçage des régies financières mis en route en novembre 2015 dont l’objectif ultime est la traçabilité des paiements de dettes dues à l’État. Concrètement, l’ISYS-REGIES est un outil de gestion automatisé qui permet à toutes les parties prenantes de suivre en temps réel toutes les transactions opérées dans le cadre de la chaîne de recettes comme cela se fait déjà au niveau de la chaîne de dépenses depuis quelques années.