Augustin Matata a perdu son pari. Celui de faire accéder la RDC au statut de pays à revenu intermédiaire et de préparer les conditions pour l’émergence à l’horizon 2030. Mais que retenir de son action bâtie sur la stabilité du cadre macroéconomique, et surtout quel héritage laisse-t-il à son successeur ? Apparemment, l’Accord politique de la Cité de l’Union africaine a donné un coup d’arrêt aux velléités du désormais ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. À qui veut l’écouter, il laisse entendre que c’est sur un goût de l’inachevé qu’il s’apprête à quitter les bureaux de l’avenue Roi Baudouin (primature). Pourtant, Matata savait pertinemment bien que son mandat s’achèverait formellement en 2016.
Apparemment, l’Accord politique de la Cité de l’Union africaine a donné un coup d’arrêt aux velléités du désormais ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. À qui veut l’écouter, il laisse entendre que c’est sur un goût de l’inachevé qu’il s’apprête à quitter les bureaux de l’avenue Roi Baudouin (primature). Pourtant, Matata savait pertinemment bien que son mandat s’achèverait formellement en 2016. Lorsqu’il accéda aux fonctions de Premier ministre en 2012, Matata afficha d’emblée son ambition d’avoir la main haute sur le secteur économico-financier du pays. Ambition justifiée, semble-t-il, par son action en tant que ministre des Finances dans le cabinet Muzito, son prédécesseur. La conjoncture économique de l’époque était favorable, portée par les cours des matières premières en hausse. Ce qui lui laissait les mains libres pour conduire son action gouvernementale, même si son action au ministère des Finances était très controversée. Là, c’est un autre débat…
Le programme quinquennal (2012-2016) de Matata, en tant que Premier ministre, proposait un plan d’action résolument économique et social promettant une amélioration des conditions de vie des Congolais, dont 71% vivent avec moins d’un dollar par jour malgré les importantes ressources minières dont regorge la RDC, classée 184è sur 190 pays dans le dernier classement 2017 de Doing Business de la Banque mondiale. Premier objectif : « consolider » les résultats (économiques) du gouvernement Muzito à travers le « maintien de la stabilité macroéconomique et l’accélération du train de réformes en vue de libérer la croissance à des niveaux compatibles avec la réduction rapide de la pauvreté ». La finalité de son programme était donc de « créer les conditions de stabilité politique, propice à une croissance robuste, redistribuée et créatrice d’emploi, dans une économie stable et compétitive, soutenue par des institutions performantes ». L’un des aspects essentiels de ce programme visait le soutien tous azimuts de l’État au secteur privé, afin d’œuvrer dans les domaines prioritaires. En premier lieu, le développement des infrastructures de base (routes, voiries, chemin de fer, voies d’eau, ports et aéroports, écoles et hôpitaux). L’action visait aussi l’amélioration des conditions de vie des populations congolaises; le renforcement du capital humain et la transformation de la société congolaise en un vivier de la nouvelle citoyenneté…
En second lieu, la réduction du chômage, l’amélioration des revenus des ménages, la satisfaction des besoins sociaux de base (un meilleur accès à l’eau potable, à l’éducation et à la santé), l’amélioration du salaire minimum en fonction des ressources publiques, la salubrité dans les villes, l’amélioration des conditions de vie dans les villages et la bonne distribution de la justice. Concernant les ressources, le gouvernement Matata entendait « réduire les distorsions résultant de l’existence de plusieurs régimes fiscaux » dans le secteur minier, et professionnaliser la filière, sujette aux fraudes.
La barre placée très haut
À travers son programme quinquennal, Matata avait une seule obsession : porter le taux de croissance économique annuel à deux chiffres, le consolider de façon durable en vue de hisser dans un délai raisonnable la RDC au rang des pays à revenu intermédiaire et de préparer les conditions pour l’émergence du pays vers 2030. Devant l’Assemblée nationale pour son investiture, le prétentieux Premier ministre avait lâché cette phrase : « C’est possible d’y arriver». Mais nombre d’aviseurs sur la RDC étaient sceptiques. Au terme de son mandat, bien qu’il eût souhaité continuer, l’ambition de Matata était de donner la chance à la RDC de financer son développement par des ressources propres. Environ 48 milliards de dollars de ressources qu’il visait de mobiliser pour l’État en 2016 afin de faire du Congo, en 2030, « un pool d’intelligence et du savoir-faire, un vivier de la nouvelle citoyenneté et de la classe moyenne, un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, un pool économique et industriel, une terre de paix et de mieux-être et une puissance régionale au cœur de l’Afrique ».Le programme de Matata a fait mystère sur les chiffres pour sa réalisation. Il se contentait de rappeler les sources probables de son financement : les ressources internes (budget ordinaire de l’État) dont il fallait impérativement accroître la capacité de mobilisation et améliorer la qualité et la composition de la dépense ; les ressources additionnelles (PPTE, AIDM, pas-de-porte…) ; les ressources issues des partenariats publics/privés sous forme de concession et de BOT (Build, operate and transfer) ; les contrats de construction d’infrastructures contre échange des ressources naturelles ; les ressources provenant des partenariats avec les institutions multinationales (FMI, BM, BAD).
Croissance à deux chiffres
Enfin, c’est Matata lui-même qui était aux manettes pour la supervision de la structure de pilotage de ce programme. Bref, Matata avait savamment construit un mythe autour de sa personne : homme de la rigueur, réputé pour sa passion de réussite, bosseur. Il savait bien qu’il n’avait pas donc droit à l’erreur. La réussite de son programme reposait avant tout sur l’économie. La relance de l’agriculture en était le socle. Dans ce secteur, Matata visait un taux de croissance à deux chiffres pour impacter l’ensemble de l’économie où le taux devait avoisiner 7 % l’an. « Oui, c’est encore possible », déclarait-il. Sans doute, Matata s’appuyait sur les performances de l’économie congolaise entre 2001 et 2010, avec un taux de croissance moyen de 5 %.
Mesurer à l’aune
Malheureusement, ces performances ne se sont pas traduites par une amélioration correspondante de l’emploi et du bien-être de la population. On se souviendra, longtemps encore, de la question orale avec débat du sénateur Florentin Mokonda Bonza adressée à Matata. Elle résume aujourd’hui toutes les critiques à charge sur l’action de Matata en tant que Premier ministre. Ce sénateur sur le banc de l’opposition avait émis un énorme doute sur les capacités du gouvernement Matata à réformer. Il s’était dit également déçu quant aux résultats atteints par Matata. Son doute se fondait sur l’approche de Matata « purement théorique et académique en lieu et place d’une approche concrète basée sur des réalisations quantifiées et chiffrées ». Soutenant les résultats performants de sa gouvernance, Matata déclarait que le niveau de pauvreté était ramené de 71.5 % (entre 2004 et 2009) à 61.3 % (entre 2012 et 2015). Mais il n’a pas réussi, par exemple, à concilier la réduction de la pauvreté avec la réduction des taux de desserte en eau et en électricité. Malgré des réformes structurelles engagées, les taux de malnutrition, de morbidité et de mortalité infantile n’ont pas connu une chute sensible. Pire, pas la moindre statistique concrète notamment sur la production agricole ou industrielle, le volume d’emplois créés ou même d’économies réalisées dans le cadre de la bancarisation… Aux yeux de beaucoup d’analystes économiques, le discours de Matata sur la croissance économique, la stabilité du cadre macroéconomique, la maîtrise de l’inflation ou encore la stabilité du franc congolais était bon pour les étudiants et les institutions financières internationales avec lesquelles la RDC n’est plus en programme.
D’après Mokonda, Matata vivait dans une tour d’ivoire, ignorant tout des conditions de vie quotidienne des populations qu’il gouvernait.
De 2010 à 2014, il est indéniable que la RDC a fait des progrès constants et a marqué des points qui ont été au-dessus de la moyenne dans la gestion du cadre macroéconomique. Mais la Banque mondiale, par exemple, attirait l’attention pour dire que ce n’était pas assez car il y a encore des vulnérabilités. En clair, le cadre macroéconomique était précaire et hypothétique selon certains analystes. La mobilisation des recettes nationales reste le principal défi à relever. Et les chocs exogènes à l’économie nationale, dus essentiellement à la baisse des cours sur les marchés mondiaux des matières premières, en 2015, ont confirmé les appréhensions des analystes. De 2010 à 2014, la RDC a exporté de plus en plus des matières premières de l’ordre de dix milliards de dollars par mois, voire plus. Cependant, au regard de la balance des paiements, elle était en train de rémunérer les investissements directs étrangers, à hauteur de trois milliards de dollars. Par ailleurs, les réserves en devises qui étaient à peine de l’ordre de 1.5 milliard de dollars, sont en lente régression. Les recettes nationales arrivant à 13 % du Produit intérieur brut (PIB), soit en dessous de la moyenne des pays moins développés qui est de l’ordre de 15 %. Elles sont également en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne, qui est autour de 20 %.
Comme on peut le constater, il y a un problème. Par ailleurs, la RDC occupe la 16è place en terme de potentiel de la rente due au secteur des ressources naturelles dans le PIB, mais elle est à la 104è position en terme de recettes totales au PIB. Ce paradoxe montre qu’il y a également un problème peut-être imputable à plusieurs facteurs. Par exemple, le code minier qui contient des dispositions généreuses sur l’amortissement accéléré. Mais, aujourd’hui, ce texte mérite d’être revu, surtout si l’on veut sortir de la logique du nivellement vers le bas en matière d’avantages fiscaux dans le but d’attirer les investisseurs. Comme le recommande la Conférence d’Addis-Abeba aux pays africains, la RDC doit compter plus sur ses ressources domestiques pour financer le développement durable. Vu sous cet angle, il faudrait se demander quelles sont les ressources principales pour pouvoir mobiliser davantage. Des pays comme la Tanzanie, la Guinée et le Burkina ont déjà pris une longueur d’avance dans cette voie, en revisitant leurs codes miniers. Dans tous les cas, il faudrait mettre en place une administration capable de bien assurer la bonne gouvernance. Sinon, il n’y aura pas de meilleurs résultats.