SUR LE PAPIER, le moratoire sur l’octroi de nouveaux titres forestiers court jusqu’à l’adoption d’une politique forestière nationale. Il n’empêche, cette mesure de suspension a été violée par l’administration forestière à peine même qu’elle a été prise (juin 2002-février 2007). L’évaluation des titres forestiers en décembre 2008 a donné les résultats suivants : 65 titres sur 156, couvrant 9,7 millions d’ha, soit moins d’un quart des forêts exploitables, sont convertibles selon le nouveau code forestier promulgué en 2002.
Le moratoire devait durer trois ans, de 2002 à 2005. L’administration forestière en République démocratique du Congo estime que les conditions sont aujourd’hui réunies pour lever ledit moratoire. Ces préalables sont : la publication de nouvelles règles d’adjudication en matière d’octroi des allocations forestières ; la publication des résultats définitifs du processus de conversion, y compris la résiliation effective des titres non convertis ; et l’adoption sur base d’un processus consultatif d’une programmation géographique de futures allocations forestières (zonage forestier). Décidé vers la sortie du conflit armé de la fin des années 1990, le moratoire avait pour but de permettre à la RDC d’assainir l’exploitation forestière marquée du sceau de l’opacité et de la corruption, ainsi que de construire une véritable filière respectant les normes sociales et environnementales. Cependant, des ONG de défense de l’environnement pensent tout le contraire. D’après elles, il y a certes des avancées dans le processus d’assainissement du secteur forestier, mais cela reste encore très limité. Avant l’instauration du moratoire, 45,5 millions d’ha de forêts étaient alloués sous forme de concessions de 25 ans. Purement spéculative, l’attribution des concessions se faisait sans la moindre consultation des communautés locales ni la moindre considération d’autres usages de forêts ni même sans la moindre rémunération équitable pour l’État. Par exemple, entre 2001 et 2014, la RDC a perdu 7 977 009 ha de forêts, la plus grande perte en couvert étant survenue en 2014.
Pour une industrie compétitive
Grâce à l’appui de la Banque mondiale, le gouvernement a réagi pour éviter le risque de nuire à l’environnement et aux communautés locales. L’accent a été mis sur l’application des lois et des contrats, ainsi que sur la transparence pour endiguer la corruption. Le code forestier de 2002 veut promouvoir une industrie forestière durable et compétitive, capable de créer des milliers d’emplois et de rapporter les recettes fiscales au Trésor public.
En août 2014, un décret du 1ER Ministre fixe les modalités d’attribution du statut de concession forestière aux forêts situées sur les terres occupées par les communautés locales. Il détermine les conditions préalables à l’acquisition d’une concession forestière par une communauté locale ainsi que la procédure relative à l’attribution de ladite concession.
Au sens de ce décret, la forêt de communauté locale est une portion des forêts protégées qu’une communauté locale possède régulièrement en vertu de la coutume. La concession forestière de communauté locale est une forêt attribuée gratuitement et perpétuellement à une communauté locale par 1’État, sur la base des forêts qu’elle possède régulièrement en vertu de la coutume, en vue de son utilisation, sous toutes les formes, pour la satisfaction de ses besoins vitaux, avec l’obligation d’y appliquer des règles et pratiques de gestion durable. Et la communauté locale est la population traditionnellement organisée sur la base de la coutume et unie par des liens de solidarité clanique ou parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée, en outre, par son attachement à un terroir déterminé.
Les craintes des ONG
La gestion et l’exploitation des concessions forestières attribuées aux communautés locales se font conformément au code forestier et aux dispositions spécifiques et aux coutumes locales pour autant que celles-ci ne soient pas contraires aux lois et à l’ordre public.
Pour le besoin d’exploitation de sa concession forestière, une communauté locale peut s’organiser soit en une association sans but lucratif (ASBL), soit en une société coopérative ou sous forme d’un comité de développement local. Elle peut aussi choisir de signer des conventions avec les exploitants privés artisanaux ou promoteurs de projets de conservation ou d’écotourisme.
S’il y a levée du moratoire, c’est sûr, les ONG de l’environnement vont faire pression sur les bailleurs…
pour que soient suspendus les financements au gouvernement dans ce secteur.
Des ONG internationales jugent encore le processus « non-transparent et non-inclusif ». Pour elles, le gouvernement doit garantir de manière crédible la légalité et la bonne gouvernance dans l’exploitation forestière à grande échelle.
Il n’est donc pas question d’ouvrir la deuxième plus grande forêt tropicale du monde aux exploitants forestiers. Sinon jusqu’à 75 millions d’ha de forêt vierge pourraient être en péril, soulignent ces ONG. Le gouvernement qui attend que l’État soit rétribué pour l’apport de ses 145 millions d’ha de forêts à la lutte contre le réchauffement climatique dans le monde, fait remarque que l’exploitation forestière industrielle n’est pas la première cause de la déforestation ou de la dégradation de l’environnement en RDC. C’est plutôt la coupe de bois de chauffe et l’agriculture itinérante sur brûlis.
Agroforesterie, promesse d’avenir
La RDC a un potentiel agropastoral de 80 millions d’ha (34 % du pays) de terres arables, aux conditions climatiques variées et favorables. Mais seulement 10 % sont exploités. Le pays compte quelque 30 millions de citoyens en situation d’insécurité alimentaire alors que son potentiel agricole pourrait couvrir les besoins d’une grande partie de l’Afrique. Le taux de malnutrition aiguë globale (MAG) est proche du seuil critique (10 %) dans la plupart des provinces, certaines affichant des taux MAG au-delà du seuil d’urgence (15 %).
Partout à travers le pays, les paysans pratique l’agriculture sur brulis pour subvenir à leurs besoins (économie de substance). Pour cuisiner ou se chauffer (parce que n’ayant pas accès à l’électricité), ils ont besoin de bois. Par conséquent, ils dégradent la forêt. Comment répondre à cette double problématique, tout en restant concentré sur l’objectif de la réduction de la faim, de la pauvreté et de la déforestation ?
Pour EcoCongo ASBL qui lutte contre la pauvreté et la faim en RDC et contribue à la lutte contre la dégradation des forêts et la déforestation ainsi que contre le dérèglement climatique, il est impératif de « cultiver autrement ». EcoCongo ASBL qui apporte un support spécifique dans les domaines agroforestiers (réduction de la pauvreté, sécurité alimentaire…) et environnementaux (lutte contre les changements climatiques par la gestion durable des ressources), souligne que les solutions existent et sont faciles à mettre en œuvre et à dupliquer.
Parmi ces solutions, il y a l’agroforesterie. « C’est une solution socialement responsable (sédentarisation et forte amélioration des conditions de vie), économiquement rentable et positive pour le climat », expliquent les membres d’EcoCongo ASBL. Les avantages de l’agroforesterie sont connus : « Elle élimine les causes et combat les conséquences. C’est un modèle de création de ressources et de préservation des forêts naturelles. »
Illustration : si les paysans aménagent un boisement d’Acacias et y associent les cultures de manioc et maïs, dans le premier cycle planifié en rotation de repousse d’Acacias et d’arbres, de sols améliorés (grâce à l’Acacias qui capte l’azote atmosphérique) et de cultures diversifiées, ils peuvent satisfaire à leurs besoins alimentaires, produire le charbon de bois (braises) et commercialiser la production excédentaire. Ainsi, la déforestation sera évitée.