Il est assez étonnant d’entendre le discours de certaines autorités au sujet de la classe moyenne en RDC. En effet, plusieurs responsables affirment qu’il n’existe pas de classe moyenne en RDC, sans appuyer leur affirmation avec une étude sérieuse. Dès lors, on peut se poser la question sur la crédibilité et le bien fondé de telles affirmations.
Avec un co-auteur A. Mbala, nous avons exploité les données de « l’enquête 1-2-3 » de 2013 pour estimer la taille de la classe moyenne en RDC. En traitant plusieurs données, nous sommes arrivés à la conclusion selon laquelle il existe effectivement une classe moyenne en RDC, mais elle reste très chétive car inférieure à 10% de l’échantillon considéré. Ceci n’est pas loin des estimations de la BAD qui la situe autour de 12,4% de la population totale*. Mais comment peut-on avoir une classe moyenne aussi étriquée ?
Premièrement, une classe moyenne aussi faible reflète en réalité la taille de l’économie, mais surtout le niveau du développement économique du pays. Si on ne considère que le revenu national par habitant, un des indicateurs classiques du développement économique, on s’aperçoit vite qu’entre 1960, année de l’indépendance, et 2015, ce revenu par habitant s’est fortement contracté : il a été divisé par 3 presque, en passant de 727,9 (dollars constant de 2005) à 260,5. La faiblesse de la classe moyenne en RDC est le reflet du faible progrès du niveau de vie des Congolais.
La croissance demeure stérile
Une autre explication de la faiblesse de cette classe est la rareté des opportunités que l’économie offre. Il est vrai que la croissance économique a repris, laissant penser qu’elle s’accompagnera davantage d’opportunités d’emplois et de revenus. Toutefois, l’économie doit offrir à tout le monde la possibilité d’en profiter en ayant l’opportunité de s’insérer dans le marché du travail ou de créer sa propre entreprise.
À ce titre, la RDC n’offre pas encore un environnement assez favorable à la création d’entreprises. En effet, selon le classement de Doingbussiness, elle est classée 184ème sur 189 pays et 172ème sur 189 pour la création des emplois. Or, il existe une relation étroite entre la classe moyenne et la dynamique entrepreneuriale.
Ma recherche avec MukutubuBalibwanabo a pu montrer que le coefficient d’Okun (mesurant le contenu en emplois de la croissance) était très faible en RDC. Plus littéralement, la croissance en RDC demeure stérile. En effet, elle crée moins d’emplois par rapport à la croissance du chômage ou à la population active (se situant à 26 684 621 selon les données de la Banque mondiale). Il y a donc stérilité de la croissance en emplois.
Dans le dernier rapport de 2013 de la Banque centrale du Congo (BCC), on trouve qu’il y a eu une création nette d’emplois de l’ordre de 158 000 postes, pour un taux de chômage officiel de plus de 45%, lequel taux reste contesté car sous-estimant la réalité, comme le pensent plusieurs spécialistes.
Limites du potentiel de consommation et d’investissement
La fiscalité et le dysfonctionnement des politiques de protection sociale (santé, retraite, subventions, etc.) sont parmi les éléments explicatifs. En effet, en dépit des changements importants dans le secteur fiscal, celui-ci demeure encore une préoccupation pour la consommation. Le taux d’imposition sur le revenu individuel est de 30%, et le taux d’impôt sur le revenu des sociétés est de 40%, exerçant une pression fiscale sur les ménages et les entreprises limitant leur potentiel de consommation et d’investissement.
La protection sociale en RDC est déficitaire. Selon les données de la BCC, le nombre de travailleurs affiliés à la sécurité sociale s’établit à 356 300 personnes. En même temps, les travailleurs non affiliés sont recensés à 19 205 personnes en 2013. Sur le total de travailleurs du secteur privé, il existe à peine 1,8 % qui est sous la couverture de l’Institut national de sécurité sociale (INSS).
Cette faiblesse est confirmée par l’indice de la protection sociale de la Fondation Mo Ibrahim, la RDC a une note de 40,3 sur 100, se positionnant ainsi à la 42ème place sur l’échiquier africain (52 pays classés). La faiblesse de la protection sociale crée une fragilité sociale empêchant l’émergence d’une classe moyenne car cette dernière peut basculer facilement dans la pauvreté au moindre choc.
Pour une croissance plus inclusive, riche en emplois
Ces différents facteurs bloquent l’expansion de la consommation, et par ricochet l’élargissement du marché intérieur, ce qui bloque le cercle vertueux liant la consommation à la classe moyenne. Cette dynamique pourrait nourrir la croissance d’autant plus que l’éventail de la demande domestique grandissant pourra contribuer au passage de l’économie rentière (dépendance envers les ressources tirées des exportations de biens primaires) à une économie productive tirée par la consommation interne, susceptible d’impulser la diversification.
Les faits parlent : en dépit du fait que la consommation semble reprendre, une reprise attestée notamment par l’agrandissement du secteur des services (nombres de banques, d’hôtels, etc.), elle reste faible, puisque elle est à peine proche de 10%, inférieure à son niveau de 2005.
En somme, en dépit de l’importance de la classe moyenne pour le développement d’un pays, celle-ci reste assez faible en RDC. Certes, les responsables sont conscients de son importance, mais ils doivent lancer en urgence les réformes structurelles nécessaires pour diversifier l’économie et avoir une croissance plus inclusive et riche en emplois.
(*) Analyste pour Libre Afrique (RDC), mai 2015. Le titre et les intertitres de l’article sont de la rédaction du Business et Finances.