Son renversement ne devait être qu’une formalité. Après des années d’une crise économique suraiguë, qui laisse la population exsangue, et un isolement international grandissant, la chute de Nicolás Maduro,président en titre du Venezuela, semblait presque écrite. Sa façon d’avoir truqué sa réélection, l’énergie qu’il a mise à diviser l’opposition lui assuraient un vernis protecteur qui n’a pas résisté à la tornade Juan Guaido . Le « gamin » – comme il se surnomme – de 35 ans est descendu le 23 janvier de son perchoir de l’Assemblée et a, en quelques jours, mis tous les atouts dans son camp.
Joutes permanentes
Reconnu par près de 50 pays étrangers, soutenu par une population qui lui accorde une cote de popularité de 60 %, contre 14 % pour son rival, le président de l’Assemblée nationale semblait incontestablement avoir réussi son coup. Que s’est-il donc passé pour que, quarante-cinq jours plus tard, le jeune Guaido n’ait toujours pas réussi à renverser son rival ? Pis, il semble aujourd’hui faire du sur-place. Il n’y a, pour s’en persuader, qu’à observer l’énergie qu’il déploie pour tirer profit de la méga-panne d’électricité qui a paralysé le pays pendant plusieurs jours. Nicolás Maduro, fidèle à sa rhétorique, accuse les Etats-Unis de sabotage. Juan Guaido, plus terre à terre, met en cause le manque d’investissements au cours des dernières années. A présent que l’électricité revient tout doucement après une semaine de coupure, l’un et l’autre des deux présidents rivaux estiment avoir géré au mieux cette crise.
Ce ping-pong entre les deux protagonistes n’est pas nouveau en soi. Les épisodes, depuis l’autoproclamation de Guaido, n’ont été qu’une succession de joutes entre les deux adversaires et leurs supporters, chacun prenant alternativement l’avantage sur l’autre. Comme ce 23 février, où Juan Guaido avait promis à la population de faire entrer les 250 tonnes d’aide humanitaire bloquées aux frontières. Las, il s’est heurté au mur érigé par son vieux rival. L’échec de Guaido fut patent, la victoire de Maduro bien réelle.
Effet culbuto
Quelques jours plus tard, après sa mini-tournée latino-américaine, Juan Guaido, qui avait enfreint son interdiction de sortie du territoire, était promis, à son retour sur le sol vénézuélien, à la prison. Malgré les menaces de Nicolás Maduro, l’opposant n’a pas été inquiété une seconde. Cette fois, c’est le président en titre qui a perdu la face. Mais il a la résilience du culbuto : quelle que soit la force qui le renverse, il finit toujours par se redresser.
Si ténu soit-il en apparence, le fil qui retient Nicolás Maduro au pouvoir résiste. Essentiellement grâce au soutien de l’armée. « C’est elle la clef de voûte du système », rappelle Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Opalc, l’observatoire des pays latino-américains de Sciences Po. S’il n’a eu qu’un coup de génie, c’est sans doute d’avoir doublé, à peine arrivé au pouvoir, le nombre de généraux pour les affecter, d’emblée, à des postes économiques clefs comme les importations de denrées alimentaires ou le contrôle des exportations de pétrole.
Ces portefeuilles sont non seulement stratégiques dans un pays en proie à des pénuries gigantesques , ils sont aussi extrêmement rémunérateurs. Car avec l’arrivée des militaires, la corruption a explosé, tandis que la crise s’intensifiait. Pas étonnant, dans un tel contexte, que les officiers supérieurs vouent à leur président une fidélité à toute épreuve et restent sourds aux appels de Juan Guaido. Ce dernier a, certes, accroché quelques noms à son tableau de chasse, comme celui de l’attaché militaire à Washington. Mais ce n’est pas suffisant pour créer un mouvement. Les défections parmi les hommes du rang ont été plus nombreuses : environ 10.000 soldats ont quitté l’armée de Maduro depuis 2016.
Juan Guaido le sait sans doute mieux que quiconque : il faut faire basculer l’establishment militaire pour précipiter la chute de l’héritier d’Hugo Chávez. Reste à trouver la bonne formule. Sa proposition d’amnistie du 23 février rassure plus qu’elle ne convainc. « J’annule la qualification de traître à la patrie pour les militaires qui traversent la frontière », a-t-il dit. Sans grand effet.
« Colectivos » et forces spéciales
En attendant, le temps semble jouer en faveur de Nicolás Maduro. En plus de l’armée, il contrôle les « colectivos », ces organes paramilitaires de gauche qui comptent plusieurs dizaines de milliers de membres et agissent dans les quartiers pauvres. Les forces spéciales lui sont également toujours acquises. Et ce ne sont pas les mots de Donald Trump qui vont l’ébranler : la proposition du président américain d’une intervention militaire extérieure a été très mal reçue dans les capitales latino-américaines et européennes.
Sauf élément exceptionnel, sans intervention extérieure ni renoncement des militaires, Nicolás Maduro conserve la maîtrise des événements et du temps. Le chef de l’Etat en titre ne serait pas le premier leader à voir sa fin programmée être différée, voire ne jamais arriver. A l’instar de Bachar-al-Assad, qui, quatre ans après le début du conflit et malgré les efforts déployés par la coalition internationale, est toujours en place. « Le monde a vu le régime Assad rester au pouvoir, soutenu par la Russie et l’Iran », a récemment rappelé John Barrasso, sénateur républicain du Wyoming. A l’image d’ Assad, Maduro bénéficie de l’appui sans faille, entre autres, de la Russie qui dénonce, aujourd’hui, l’ingérence de l’Occident dans les affaires vénézuéliennes. Le culbuto peut encore prendre de la gîte, il a suffisamment de ressorts pour se redresser.