Des tombes, des bananiers et des maisons: des dizaines de familles vivent illégalement, parfois depuis de longues années, dans le cimetière de Kinsuka, dans le Sud de Kinshasa, côtoyant les morts et s’exposant à des risques sanitaires. A deux pas d’une sépulture en parfait état, Emile, 19 ans, creuse à grands coups de pelles les fondations de la future maison de son grand frère. Il se souvient qu’au premier coup de pioche, il n’était pas très à l’aise. « On avait peur de tomber sur des os. Mais maintenant, ça va. » Malgré les immenses richesses naturelles de la RDC, deux tiers des 68 millions d’habitants sont très pauvres. Faute de moyens ou d’espace pour se loger convenablement, des dizaines de familles disent s’être résolues à bâtir illégalement des maisons en terre, en briques ou en tôle dans cet étrange voisinage, détruisant parfois des tombes. Une dégradation qui peut coûter de un à six mois de prison, alors que l’occupation sans titre d’un terrain est passible d’un mois à un an de détention, selon le code pénal. Le cimetière de Kinsuka, construit en 1978, abrite les dépouilles de personnalités, comme le père de la Première dame de la République démocratique du Congo, Olive Lembe Kabila, explique Jean-Pierre, percepteur adjoint des taxes d’enterrement. Mais de larges étendues sont colonisées par les vivants, et, au milieu des bananiers et des détritus semés par endroits, mangés par des herbes folles, seuls de rares vestiges de tombes rappellent le cimetière. La vie semble presque normale.
Les ruelles terreuses sont bordées d’étals de bois présentant aliments et biens de première nécessité. Munies de seaux, des femmes puisent de l’eau ou vont en chercher à la pompe. Une école protestante privée a même ouvert dans le cimetière il y a trois ans. Dans une cour, des enfants jouent au football dans le traditionnel uniforme d’école bleu et blanc. «Elle compte aujourd’hui environ 150 enfants. Les parents paient 78.000 francs congolais (environ 80 dollars) par an, contre 300 ou 400 dollars ailleurs», résume le directeur. En RDC, d’autres cimetières abritent des civils – et même des policiers et militaires – qui affirment n’avoir pas les moyens de vivre ailleurs.
Thérèse, une veuve de 57 ans, qui habite au cimetière de Kinsuka depuis cinq ans, avait acheté quatre terrains «à un chef coutumier grâce à l’aide de ses enfants. Ils ont coûté entre 2500 et 4000 dollars chacun (1800 à 2950 euros), raconte cette commerçante. Dans son deux-pièces, la chambre a une moustiquaire, mais pas de matelas. « En novembre, les policiers sont venus détruire les maisons, ils m’ont pris des affaires. Ils ont cassé, sans offrir une solution à la place. J’ai reconstruit ma maison, mais je n’ai pas eu le courage de reconstruire sur mes autres terrains », explique-t-elle. « Ca fait peur de dormir près des tombes… Mais on n’avait plus de maison », confie Bibiche, 23 ans, qui vit depuis deux ans à Kinsuka. « Le cimetière, ce n’est pas bien, on n’a pas de courant ». D’autres disent avoir de la lumière et payer une facture à la Société nationale d’électricité (SNEL). Pour Pius Ngoie, conseiller au ministère de l’Urbanisme, l’installation sauvage dans les cimetières est la faute de fonctionnaires de l’Etat tout à fait irresponsables qui vendent des parcelles de façon frauduleuse. Et dangereuse : il faut cinquante ans après le dernier enterrement pour que le cimetière soit considéré comme désaffecté. « Parfois, les gens voient des sources d’eau, mais quand vous sentez, ça sent le cadavre », commente le docteur Benjamin Mavard Kwengani, directeur de l’Hygiène au ministère de la Santé.
« Nous n’avons aucune étude, mais il survient des phénomènes anormaux dans les communautés: des diarrhées et des malformations que l’on ne peut pas expliquer ». Le modeste centre de santé dit de «médecine naturelle» du cimetière n’a pas constaté de problème. Mais, pour Peter, un maçon dont le père et le grand-père sont enterrés à Kinsuka, tout cela risque de mal finir. Un jour, un tracteur de l’Etat va venir arracher leurs maisons, et ils vont tout perdre. L’histoire lui a donné raison : quelques jours plus tard, des militaires sont venus détruire certaines des maisons construites sur les vestiges des demeures de défunts. Certains habitants sont partis, d’autres sont restés.