Vincent Karega: « La grandeur d’un pays, c’est sa capacité de créer les richesses et non son espace »

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Mais on ne se demande pas pourquoi le Luxembourg qui est aussi petit que le Rwanda, n’envie pas une partie de la France ou de l’Allemagne. La Suisse est également un petit pays mais c’est un pays riche et donateur. Singapour a la superficie de de la ville de Kigali mais c’est un pays qui peut financer tout le continent africain… C’est faux de croire que l’espace fait la grandeur d’un pays. C’est plutôt sa capacité de se transformer, de créer les richesses. Et les richesses ne sont pas qu’essentiellement les ressources naturelles. 

Le Rwanda considère son peuple comme la richesse première à travers. Un peuple qui réfléchit, capable de travailler et de redéfinir autrement sa nation. L’espace n’a jamais été une préoccupation pour le gouvernement rwandais. Hong-Kong n’envisage nullement de conquête spatiale. Environ 30 % du territoire du Rwanda, sont encore couverts par la végétation. Je ne vois pas pourquoi le Rwanda aurait des prétentions d’extension de son territoire, maintenant que le monde est à l’ère de la globalisation. Aujourd’hui, avec son passeport, on peut vivre où l’on veut dans le monde entier. Des investisseurs cherchent à s’installer à l’étranger. Avec la mobilité des peuples dans le monde, on ne peut pas nous amener à nous inquiéter comme si nous étions enfermés dans une boîte d’allumettes.

BEF : Est-ce que les relations sereines sont possibles entre la RDC et le Rwanda ?

V. K. : Pour nous, tant que le gouvernement congolais n’aura aucun préjugé, nous n’avons pas non plus de préjugés. Il appartient donc au gouvernement congolais (ou à la société congolaise) de faire l’analyse de ses problèmes et d’y trouver des solutions adéquates. En tout cas, au Rwanda, nous ne considérons pas le Congo comme un mauvais pays ou un pays hostile. La RDC ne figure sur aucune liste noire. Nous ne souffrons d’aucune hostilité visible sauf dans certains médias, notamment les réseaux sociaux. Entre les deux pays, il y a collaboration : les frontières sont ouvertes, les ambassades sont opérationnelles, le commerce se fait dans les deux sens, le mouvement des citoyens qui veulent aller au Rwanda ou au Congo est libre. Pour moi, des relations sereines ne nécessitent pas beaucoup de stratégies.

BEF : À vous entendre, le Rwanda n’a pas besoin d’un Congo instable…

V. K. : Qui aurait vraiment besoin d’un voisin instable ? Si un pays est instable, le risque d’en avoir les réfugiés en nombre est grand. Il y a aussi risque que la violence se déplace vers les pays voisins. Il y a également à craindre que les terroristes qui font fureur dans le monde, ne s’installent au Congo. Par ailleurs, un Congo instable contribuerait à l’instabilité de toute l’Afrique, en commençant par ses voisins. 

Par contre, si le Congo est en paix et prospère, le Rwanda en tirera un grand profit en termes de commerce. Nous aurons plus d’investisseurs et de touristes congolais chez nous. Nos produits d’industrie, d’agriculture et de tourisme trouveront aussi un marché paisible et propice en RDC. C’est cette vision que nous voulons pour l’Afrique et nous souscrivons au Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’Union africaine. 

Les fusils doivent se taire en Afrique, aucun pays ne doit plus être colonisé ni divisé ni encore être en guerre. Au contraire, nous devons marcher ensemble vers l’accomplissement de la Vision 2063. La paix, le mouvement des capitaux et des citoyens de tout le continent africain, l’harmonie et la compétitivité par rapport à d’autres continents, ce sont là les objectifs à atteindre. Dans cette perspective, nous sommes favorables à un Congo stable, un Congo prospère et un voisin solide.

BEF : Votre liberté de parole heurte certaines consciences. On se souvient des manifestations de septembre dernier. Est-ce que l’ambassadeur que vous êtes n’est pas soumis à l’obligation de réserve ?

V. K. : Je ne suis pas soumis à l’obligation de réserve. Je n’en ai pas et je ne sais pas d’où elle viendrait. Cependant, je ne peux pas me taire en face des diffamations et idéologies rwandophobes biaisées et infondées. Mon job, c’est aussi de défendre l’image et l’intégrité de mon pays et sa crédibilité au monde.

BEF : Sous quel signe placez-vous votre mandat en RDC ?

V. K. : Sous le signe de paix et de développement, c’est-à-dire garantir les conditions normales pour que les Rwandais qui veulent investir et visiter la RDC le fassent librement et que les Congolais qui veulent explorer et exploiter au Rwanda le fassent dans la fraternité et en toute liberté. Nous voulons qu’ensemble nous puissions développer des projets et des activités conjoints favorisant l’essor économique des individus et de nos deux pays.

BEF : Quel genre de projets et d’activités comptez-vous promouvoir en particulier ?

V. K. : Je soutiendrai toute initiative de développement. C’est déjà une bonne chose que le Congo travaille pour la paix. Les organisations régionales et le continent y travaillent également, ensemble avec la RDC. L’étape suivante, ça sera le développement. Il y aura sans doute beaucoup de choses à faire dans des secteurs très visibles où nous pouvons très bien coopérer et avoir l’impact.

BEF : Dans quels domaines précisément ?

V. K. : L’agriculture, les infrastructures, l’éducation (la science et la technologie), les télécommunications, le tourisme, les mines, le commerce général, les échanges, la coopération politique, la santé, la sécurité… Bref, toute bonne initiative, dans n’importe quel domaine, sera la bienvenue. Nous avons déjà des programmes communs sur l’énergie : nous avons un barrage en commun avec le Burundi et la RDC sur la rivière Ruzizi. 

Nous entrevoyons de mieux exploiter conjointement le gaz du lac Kivu. De notre côté, nous l’exploitons déjà mais pas assez. Et si possible trouver des Joint-Venture avec la RDC pour mieux exploiter ce gaz afin d’électrifier nos provinces de part et d’autre, produire les dérivés de ce gaz, entre autres, les fertilisants, ce serait vraiment une bonne chose. La fibre optique, le chemin de fer qui viendrait de la Tanzanie vers l’Est, des routes, des câbles électriques qui relieraient nos deux pays, des échanges d’étudiants et d’experts…, voilà des projets que nous allons encourager. 

Aujourd’hui, au Rwanda, nous avons des médecins, des mécaniciens, des ouvriers congolais. En RDC, aussi, il y a des experts rwandais. L’échange du capital humain et financier est aussi réel, tout comme la liberté d’investir et d’installation. Nos peuples voudraient être là où ils sont plus à l’aise économiquement et culturellement. Il y a des Congolais qui ont des bonnes affaires au Rwanda et qui s’y plaisent. Par exemple, un Congolais a investi dans les mines, un autre a installé un bureau de recrutement pour les entreprises. Plusieurs petits investissements des Congolais sont visibles au Rwanda : salons de coiffure, magasins, cabinets médicaux… 

Nous trouvons aussi des Rwandais au Katanga, à Kinshasa, à Goma et ailleurs en RDC développant plusieurs formes de business : le bois, le carburant, la construction, cabinets privés… On trouve également des experts comptables, des médecins, des fonctionnaires des Nations Unies. D’autres Rwandais aimeraient venir en RDC. C’est cette confiance mutuelle que je voudrai imprimer à mon mandat d’ambassadeur en RDC.

BEF : Est-ce que vous recevez des sollicitations des hommes d’affaires congolais qui cherchent à nouer des partenariats avec leurs homologues rwandais ?

V. K. : J’en reçois beaucoup, surtout des jeunes entrepreneurs. Ils aimeraient bien échanger avec les entrepreneurs rwandais, si possible, monter des entreprises conjointes. D’ailleurs, j’ai déjà mis plusieurs organisations en contact. Je verrai au fur et à mesure ce qu’ils vont décider de faire ensemble ou individuellement.

BEF : Parlez-nous brièvement de la vision du président Kagame que l’on considère en Afrique comme un grand homme d’État qui a su insuffler le vent de la modernité à son pays ? 

V. K. : Sa vision est celle d’un Rwanda prospère, développé et panafricain. (…)