ALBERT YUMA demande à faire collectivement l’effort d’une « plus grande transformation locale », à l’effet d’entraînement sur l’ensemble de l’écosystème. L’industrie agrège un grand nombre de consommations intermédiaires, bien plus que toute autre activité économique humaine. « Alors saisissons l’opportunité qui nous est offerte de disposer d’une industrie minière pour en valoriser le potentiel », a lancé le président national de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et président du conseil d’administration de la Gécamines.
« Tout d’abord, il est crucial d’appliquer la réglementation sur la limitation de la production locale de concentrés pour aller jusqu’au bout de la transformation des métaux », pose-t-il. « Je comprends l’intérêt financier des investisseurs, mais cela ne peut pas et ne doit pas constituer l’alpha et l’oméga de la politique d’un pays surtout quand cela a pour effet direct de limiter la création de valeur locale pour la transférer à l’étranger via des sociétés de transport ou de raffinage », déclare Yuma. Convaincu que « la RDC n’a pas vocation à servir à amortir les capacités de production de nos partenaires chez eux, mais plutôt à les faire investir chez nous ».
Sous-traitance locale
Par ailleurs, il s’insurge que le pays soit encore à exporter du cuivre et du cobalt sans jamais produire des dérivés, au moins semi-finis que de fait nous laissons à d’autres ».
Cette nouvelle façon d’envisager l’industrie minière en RDC, explique Albert Yuma, constituerait un « réel changement de paradigme » qui contribuerait à doper la croissance du secteur privé présent en RDC, en attirant les investisseurs pour aller au-delà du minimum minomorum dont ils ne peuvent s’abstraire sur place, c’est-à-dire l’extraction et la concentration.
La valeur ajoutée locale concerne également la sous-traitance locale. Selon l’Union africaine (UA), sans une corrélation forte entre le secteur primaire minier, c’est-à-dire les producteurs, et l’écosystème local, il n’y a aucun transfert qui se réalise, qu’il soit économique et financier, mais peut-être et surtout technologique, de compétences, de recherche et de développement, et qui se diffuse à l’ensemble des autres secteurs de l’économie.
Malheureusement, la sous-traitance locale reste largement minoritaire et cantonnée à certains secteurs. « Les grands donneurs d’ordres préfèrent recourir à leurs centrales d’achat mondiales ou leurs sociétés affiliées qui non seulement captent les flux, mais aussi et surtout ne permettent pas le développement, la capitalisation et la transmission locale de savoir et de savoir-faire », constate Yuma. D’après lui, il est donc nécessaire que la loi de février 2017 sur la sous-traitance locale et dont l’Autorité de régulation a été installée, soit d’application et que tous les opérateurs la respectent. « Ils en bénéficieront in fine avec l’augmentation de la compétitivité locale des entreprises, leur diversité, et c’est leur propre performance qui en sortira renforcée. L’industrie minière présente en RDC ne pourra pas continuer à être ce qu’elle est aujourd’hui, une sorte no man’s land pour les entreprises congolaises », argue-t-il. Gécamines, dit-il, impose dans tous ses nouveaux partenariats et dans les partenariats renégociés de réserver une part à la sous-traitance locale, au moins égale à sa participation au capital. Charge à elle dans les programmations budgétaires de relayer les marchés potentiels pour le tissu économique local. Le premier projet qui appliquera ce principe sera Deziwa, une usine de 80 000 tonnes de cuivre par an, dont le début de l’exploitation commerciale est prévu l’année prochaine.
« Nous serons en capacité d’orienter annuellement 180 millions de dollars de flux de sous-traitance pour le tissu économique local. Saura-t-il l’absorber ? Nous verrons bien. Mais je gage qu’avec le temps et la garantie de la ressource, des opérateurs efficaces sauront mobiliser le financement pour répondre à la demande », lance Yuma sous forme de défi. Redonner les moyens à la puissance publique d’être la gardienne des ressources stratégiques du pays. Pour Yuma, c’est un sujet majeur, qui concerne l’économie toute entière.
Aujourd’hui, la RDC est le principal producteur de cobalt au monde et le seul à pouvoir subvenir à la demande mondiale dopée notamment par le développement des véhicules électriques. Malheureusement, cette opportunité unique est aujourd’hui gravement menacée par l’exportation illégale de la production de l’artisanat minier informel. Cette production artisanale informelle représenterait, selon les analystes, 30 % de la production nationale et permet, tant à des intermédiaires qu’à des raffineries implantées localement d’acheter la matière première extraite à des coûts extrêmement faibles, de la traiter et la revendre ensuite légalement à des prix largement inférieurs au prix du marché.
Artisanat informel
30 % de la production nationale, c’est entre quatre et six fois plus que le deuxième producteur au monde, l’Australie. Les raisons de cette situation sont connues. L’extrême pauvreté des populations locales, l’existence d’opérateurs peu scrupuleux, l’inefficacité des services de l’État central et/ou décentralisé, qui y voient parfois un moindre mal pour des populations sans activité et sans revenus, et au pire une opportunité de revenus complémentaires pour eux-mêmes. Mais l’impact de cet afflux de minerais issu de l’artisanat informel sur l’économie du cobalt est ravageur, fait remarquer Albert Yuma : il pèse sur le prix de marché mondial en poussant à la baisse le prix de vente nominal ainsi que la part payable. Il pèse donc sur le chiffre d’affaires du cobalt produit en RDC.
Depuis 2018, les prix de vente sur le marché mondial n’ont cessé de chuter en passant de 90 000 dollars/Tco à 30 000 dollars/Tco, alors même qu’à ce jour la demande des constructeurs automobiles reste largement orientée à la hausse et que l’offre est restée stable. Pour la seule année 2019, ce sont des centaines de millions, si pas des milliards de dollars de pertes pour la RDC, mais aussi pour les producteurs qui sont dans la légalité. Ceux-ci voient leurs marges réduites, sans compter un coût social terrible pour les populations, notamment les plus fragiles, qui sont contraintes de travailler dans des conditions dangereuses et inacceptables.
Cette situation pourrait encore s’aggraver sous l’effet de la pression exercée par les consommateurs pour des produits dont l’origine est certifiée comme « socialement et économiquement responsables » et non pas issus de mines dans lesquelles les conditions de vie et de travail sont indignes, laisse entendre le président national de la FEC. Cette pression légitime et l’incapacité de l’État d’y répondre de manière effective poussent les industriels à organiser eux-mêmes la certification de leur chaîne d’approvisionnement, difficile à mettre en œuvre, et plus largement à chercher des solutions industrielles alternatives, dont le cobalt serait absent. « Si tel devait être le cas, la RDC aurait perdu une opportunité historique de valoriser une de ses richesses naturelles pour favoriser la croissance de son industrie et de son développement », parie-t-il.
Le classement du cobalt en substance stratégique, estime-t-il, offre aujourd’hui à l’État l’opportunité de créer un régime spécifique applicable à l’extraction et à la vente de minerai de cobalt, en mettant en place des mécanismes de contrôle de la chaîne de valeur de la filière artisanale informelle, depuis l’extraction jusqu’à l’exportation. « C’est une nécessité absolue pour le pays et la population : nous allons proposer un plan dans ce sens au nouveau Gouvernement. Ça aussi, pour moi, ce serait une bonne façon de repenser le modèle minier traditionnel pour ne plus être des acteurs passifs de notre propre développement en regardant la valeur de nos richesses être captée par d’autres », déclare-t-il.
« Si nous ne nous attachons pas, pas après pas, à essayer de transformer la façon dont notre économie, notamment minière est structurée, notre pays restera éternellement dans la situation que nous connaissons et que connaissent tous les pays qui n’ont pas remis la main sur leur production. Il s’agit d’une question de souveraineté économique pour notre pays », poursuit-il. Car « ce ne seront pas les fameux milliards investis dans des usines dont on nous rabat les oreilles à longueur de communiqués de presse lénifiants, qui généreront du développement économique et de la richesse pour le pays ».
Le compte n’y sera donc pas tant que le secteur privé congolais ne pourra pas prendre sa part en étant un acteur de cette industrie et ce de manière graduelle. La RDC est, et sera encore très longtemps, une terre d’opportunités pour le développement de tous ceux qui voudront y investir. Cette industrie ne pourra plus rester hors sol et il est nécessaire pour tout le monde qu’elle s’intègre plus à son pays d’accueil. C’est en tout cas c’est le vœu que formule Albert Yuma en tant que président de la FEC.