Vive controverse autour la réforme de la loi agricole

Pour attirer les investissements dans le secteur agricole, le Parlement a introduit six « innovations » majeures dans la législation sur l’agriculture. Mais voilà que cette réforme soulève des réactions à la pelle. 

La proposition de modification de loi sur l’agriculture en République démocratique du Congo qui vient d’être adoptée au Sénat, attend sa promulgation par le chef de l’État. Entre-temps, les réactions fusent de partout. En guise d’«innovations », la nouvelle loi ouvre le secteur agricole à tous les opérateurs (investisseurs) nationaux et étrangers, réduit de 35 % à 20 % le taux d’imposition sur le revenu professionnel des exploitants agricoles industriels, réserve l’accès au Fonds national de développement agricole aux seuls Congolais.

Elle exonère l’exploitant agricole familial et de type familial de l’impôt sur le revenu professionnel, préserve le droit foncier. Enfin, elle vise la promotion d’une classe moyenne congolaise.

Seulement voilà, ici et là, on doute de la volonté politique du gouvernement et surtout de capacité de mettre en application ces « innovations » afin de booster l’agriculture. D’aucuns pensent que les lois ne posent pas problème en RDC. Mais c’est plutôt le problème de leur mise en application qui est en question. D’autres craignent que la nouvelle loi ne vienne faire le lit de l’agro-industrie en défaveur des petits exploitants agricoles.

Bien souvent, les autorités congolaises ont été sourdes aux conseils et recommandations des experts sur la nécessité de diversifier l’économie nationale. Maintenant, avec la crise financière, elles ont sans doute appris beaucoup des conséquences de cette crise.

Face à la vulnérabilité de l’économie nationale dépendante de ressources naturelles, l’agriculture est la parade toute trouvée pour maintenir la stabilité macroéconomique face aux chocs exogènes. Le potentiel des terres agricoles congolaises est encore trop peu exploité, convient le ministre d’État en charge du Plan, Modeste Bahati Lukwebo. Pour lui, « Il n’est pas normal qu’on continue d’importer de la nourriture, de la farine de maïs, alors que nous avons des millions d’hectares de terres arables. »

Avec 80 millions d’hectares d’étendue des terres arables, 4 millions d’hectares de terres irriguées, de nombreuses cours d’eau comportant d’importantes ressources halieutiques, la RDC a tous les atouts majeurs pour devenir une puissance agricole mondiale, pourrait-on ainsi dire. Actuellement, bien que le secteur agricole contribue pour 36 % dans la formation du Produit intérieur brut (PIB) et participe pour plus de 60 % à la création d’emplois, il ne parvient pas encore à assurer l’indépendance alimentaire du pays et à générer suffisamment de revenus et d’emplois durables.

Programme ambitieux

En 2012, le gouvernement a défini dans le cadre du quinquennat, un programme, qui visait à renforcer la contribution de l’agriculture à la croissance économique, restaurer la sécurité alimentaire du pays, réduire la pauvreté et la précarité dans les milieux ruraux, accroître la production des produits vivriers et pérennes. Pour atteindre tous ces objectifs, le gouvernement s’est doté de stratégies et politiques agricoles et rurales qui touchent à la sensibilisation, la production, l’évacuation, le stockage, la transformation et la commercialisation.

Au niveau de la production végétale, l’objectif gouvernemental a été d’intensifier la production vivrière en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en denrées de base en 2015.

Pour cela, il a fallu renforcer la mécanisation agricole, améliorer les infrastructures de recherche agronomique, disponibiliser les intrants agricoles aux agriculteurs et promouvoir la technologie appropriée post récolte.  Un autre objectif, c’était de redynamiser l’agriculture à la base, par la mobilisation et l’encadrement des populations rurales, de manière à atteindre l’objectif de superficie de 1 ha par ménage. Il s’est agi principalement de promouvoir la professionnalisation des acteurs agricoles (incubateurs), des jeunes désœuvrés, des retraités et des démobilisés dans la production agricole en vue de leur auto-prise en charge.

Dans ce cadre, la stratégie du gouvernement prévoit d’étendre l’expérience de relance de la production agricole dans l’hinterland du Grand Katanga à travers des grands blocs de champs mécanisés réalisés avec l’implication des privés et l’allocation d’un appui budgétaire important des gouvernements provinciaux. La stratégie consiste également à intensifier la production du maïs, notamment à Mweka, Kabinda et Ngandanjika (Kasaï), au Sud-Ubangi et Businga (Équateur)…

Le gouvernement a également prévu de mobiliser et encadrer des planteurs dans les champs en couloirs pour la production du riz (Maniema), dans la Mongala, la Tshopo et au Sankuru ainsi que dans la vallée de la Ruzizi au Sud-Kivu. D’intensifier aussi la production du manioc (Province Orientale, Équateur, Maniema, Kongo-Central et Bandundu) par la disponibilisation du matériel végétal amélioré couplée au processus de transformation, la production des pommes de terre et haricots (Nord-Kivu).

En ce qui concerne le renforcement du programme de mécanisation agricole, le programme prévoyait les acquisitions annuelles de nouveaux lots de 750 à 1000 tracteurs/an avec accessoires et pièces de rechange, ainsi que des paires de bœufs pour la traction animale ; la création des brigades agricoles mécanisées dans toutes les provinces, avec objectif judicieux d’exploitation de 100 ha en moyenne par tracteur/campagne ; le développement des cultures industrielles, par la relance de 1 790 exploitations agroindustrielles existantes et/ou abandonnées, la sensibilisation des privés à la création de nouvelles unités et le développement de petites et moyennes exploitations paysannes. À cet effet, le programme devait se pencher plus particulièrement sur la relance de la culture du café (Province Orientale, Nord-Kivu et Équateur), la reprise de l’exploitation de l’hévéa (Équateur et Province Orientale), celle du sucre à Kiliba (Sud-Kivu) et Lotokila (Province Orientale) ;  la restructuration et l’appui au Service national (SN) et à la Réserve stratégique générale (RSG) avec des équipements agricoles et intrants, pour la réalisation de grands centres de production agricole intensive à travers le pays ; la mise en place, au niveau de chaque province, d’un programme spécial pour la réhabilitation et l’entretien d’au moins 50 km de pistes rurales dans chaque territoire…

Secteur paralysé

Si ce programme ambitieux était difficilement réalisable dans le cadre d’un quinquennat, au moins il avait l’avantage de s’inscrire dans la durée. Jadis florissant, avec une production plus réduite, le secteur agricole est aujourd’hui totalement paralysé. Plus de 70 % de la population vit en insécurité alimentaire et les importations de denrées alimentaires (produits de première nécessité) augmentent tandis que les exportations de produits de rente baissent.

La production agricole s’est en effet réduite, depuis quelques années, à des activités de subsistance malgré des conditions naturelles favorables (environ 97 % des terres arables bénéficient d’une saison culturale de plus de huit mois dans l’année. De plus, 34 % du territoire national sont de terres agricoles, dont 10 % seulement sont mises en valeur).

Ce problème sectoriel, partiellement lié à la faiblesse de la productivité, relève de problèmes d’accès au marché, d’évacuation des produits, de conservation, de la perte de main-d’œuvre agricole (à la suite des conflits et aux maladies endémiques) et des semences de qualité, de l’utilisation de techniques inappropriées, et du manque d’instruments de travail adéquats. Les principales productions exportées sont le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le coton, le sucre, le thé et le cacao. Tandis que les cultures vivrières concernent essentiellement le manioc, la banane plantain, le maïs, l’arachide et le riz.