Dans le township de Soweto. Samedi 14 avril. Des dizaines de milliers de personnes ont acclamé la dépouille de Winnie Madikizela-Mandela lors d’obsèques nationales, après dix jours de deuil national. Escorté par des motards, le cercueil de « Mama Winnie », recouvert du drapeau sud-africain, a quitté le matin son domicile de Soweto, la banlieue pauvre de Johannesburg à laquelle elle est restée fidèle toute sa vie. Arrivée au stade d’Orlando, à quelques kilomètres de là, la dépouille a été saluée par quelque 20 000 personnes en deuil qui, le poing levé, ont entonné à pleins poumons une chanson de la lutte « Il n’y a personne comme Winnie Mandela ».
De grâce, ne pas diaboliser
Plusieurs dirigeants étrangers, dont les chefs d’État congolais, Denis Sassou Nguesso, et namibien, Hage Geingob, ont fait le déplacement en Afrique du Sud. Jesse Jackson, militant emblématique des droits civiques aux États-Unis, et le top model britannique Naomi Campbell ont été aussi présents aux obsèques de Winnie Mandela. Une icône qui s’est dégradée au fil des années. Prenant la parole à cette occasion, sa fille, Zenani Mandela-Dlamini, s’en est prise violemment à ceux qui ont « diabolisé » l’image de sa mère. Elle qui a combattu et « triomphé » de « l’un des régimes les plus puissants et cruels du siècle dernier ».
Pour rappel, Winnie Mandela a été mise en cause dans les exactions commises par sa garde rapprochée, le « Mandela United Football Club », qui a fait régner la terreur à Soweto à la fin des années 1980. Par exemple, elle avait été condamnée en appel à deux ans de prison avec sursis et une amende pour l’enlèvement en 1988 de quatre jeunes hommes, dont l’un, Stompie Seipei, est ensuite décédé. Près d’un quart de siècle après la fin officielle de l’apartheid en 1994, les motivations de ce groupe restent toujours mystérieuses. Selon un ancien policier repenti, le régime blanc l’avait infiltré. À l’époque, l’ANC, fer de lance de la lutte anti-apartheid, avait fait part de son inquiétude. Winnie Mandela avait ignoré ses appels.
Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a quant à lui demandé à ne pas « diaboliser » Winnie. « Mama n’était pas une personne parfaite », a reconnu auprès de l’AFP la ministre de la Communication, Nomvula Mokonyane. « Beaucoup d’entre nous ont fait des choses bien, mais aussi des choses terribles pendant la lutte. Il ne faut jamais oublier le contexte », a-t-elle insisté, estimant que la militante était critiquée « parce qu’elle est une femme ». Le cortège funéraire s’est ensuite dirigé vers le cimetière de Fourways, un quartier résidentiel de Johannesburg, où l’égérie a été enterrée aux côtés d’une de ses petites-filles.
L’ex-épouse de Nelson Mandela qu’on avait surnommée le « roc », « la Mère de la nation », la « libératrice » ou l’« héroïne » et tout ce que vous voulez, est décédée le 2 avril à 81 ans des suites d’une longue maladie. Pendant les vingt-sept années de détention de son mari de l’époque Nelson Mandela, Winnie Madikizela-Mandela a entretenu la flamme de la résistance à l’apartheid, malgré les tortures, les humiliations et les séjours en prison. La photo du couple, main dans la main, à la libération de Nelson Mandela en 1990 symbolise la victoire sur le régime raciste blanc, qui tombera officiellement quatre ans plus tard. Leur couple, lui, ne survivra pas. Ils se sont séparés en 1992, deux ans avant l’accession à la présidence du prix Nobel de la paix, auréolé de toute la gloire.