WAMKELE Mene est le secrétaire général de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). D’après lui, l’Afrique est encore enfermée dans le modèle économique colonial. Il estime que la ZLECAF est un « outil incontournable de la transformation économique du continent africain et du développement industriel sur le long terme ». Pour sa part, Mahamadou Issoufou, le président nigérien à qui a été confiée la mission de piloter l’initiative, exhorte les États africains et les unions douanières à soumettre leurs offres tarifaires d’ici juin 2021. À l’occasion du 13è sommet extraordinaire de l’UA, le compte officiel (tradebarriers.africa) du processus d’érection des barrières non tarifaires en Afrique a été lancé. Le secrétaire général de la ZLECAF l’a présenté comme « le premier outil pour la mise en œuvre de la ZLECAF ».
Les perspectives
La libéralisation des tarifs douaniers et la réduction des barrières non tarifaires, comme les quotas et les règles d’origine, vont permettre d’augmenter les revenus d’environ 153 milliards de dollars. Quant à elles, les mesures de facilitation du commerce qui limitent les formalités administratives, abaissent les coûts de mise en conformité pour les sociétés commerciales, et facilitent l’intégration des entreprises africaines dans les chaînes logistiques mondiales, pourraient engendrer 292 milliards de dollars. Cela représente une hausse de 7 %.
La mise en œuvre réussie de l’accord de libre-échange pourrait accélérer l’augmentation de la rémunération des femmes et sortir 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté en Afrique d’ici 2035, indique un rapport de la Banque mondiale. « La ZLECAF a la capacité d’accroître les possibilités d’emploi et les revenus, ce qui contribue à élargir les perspectives de tous les Africains », fait remarquer Albert Zeufack, économiste en chef à la Banque mondiale pour l’Afrique. Elle devrait permettre de sortir de la pauvreté modérée environ 68 millions de personnes et de rendre les pays africains plus compétitifs. »
La Banque africaine de développement (BAD) soutien l’opérationnalisation de la ZLECAf. L’appui de la BAD consiste au renforcement des capacités afin de pouvoir tirer parti des opportunités offertes par la libéralisation des échanges. « À l’avant-garde de la promotion de politiques industrielles intelligentes et de la mobilisation de fonds de développement des infrastructures pour l’Afrique, la BAD exhorte le continent à accélérer l’industrialisation pour la transformation des économies africaines », a fait savoir cette institution financière dans un communiqué.Cet appel a été lancé à l’occasion de la célébration de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique, le 20 novembre, placée cette année sous le thème « l’industrialisation inclusive et durable à l’ère de la ZLECAF ». Pour la BAD, « l’événement offre aux gouvernements et aux partenaires de développement la possibilité d’explorer ou de mettre en évidence des initiatives qui font progresser l’industrialisation de l’Afrique ».
Dans la Revue annuelle de l’efficacité du développement (ADER 2020) de la BAD, on peut lire ce passage : « Lorsque les entreprises peuvent commercer au-delà des frontières, l’industrie peut se développer, les économies peuvent se diversifier et les pays peuvent progresser dans la chaîne de valeur. » La BAD entreprend une étude novatrice pour élaborer un plan qui « mettra en évidence les opportunités, les défis, les réformes politiques requises, les fenêtres de financement et les partenariats stratégiques à forger pour y parvenir ».
Les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 devraient entraîner jusqu’à 79 milliards de dollars de pertes de production cette année en Afrique. La pandémie a déjà provoqué des perturbations majeures dans les échanges commerciaux en Afrique, notamment pour des biens essentiels tels que les fournitures médicales et les denrées alimentaires. « La mise en œuvre réussie de la ZLECAF contribuerait à amortir les effets négatifs du coronavirus sur la croissance économique, en soutenant le commerce régional et les chaînes de valeur grâce à la réduction du coût des échanges », souligne la Banque mondiale.
« À plus long terme, l’accord continental ouvrirait aux pays africains des possibilités d’intégration et de réformes favorables à la croissance. En remplaçant la mosaïque d’accords régionaux, en rationalisant les procédures aux frontières et en donnant la priorité aux réformes commerciales, la ZLECAF pourrait aider les pays africains à renforcer leur résilience face à de futurs chocs économiques. »
La Banque mondiale précise également que la ZLECAF pourrait permettre de réorganiser les marchés et les économies de la région, entraînant la création de nouvelles industries et l’expansion de secteurs clés. « Les gains économiques d’ensemble seraient variables, les plus importants bénéficiant aux pays qui supportent actuellement des coûts d’échanges élevés. Ainsi, la Côte d’Ivoire et le Zimbabwe, où les coûts commerciaux sont parmi les plus lourds de la région, enregistreraient les résultats les plus favorables avec une augmentation de 14 % des revenus dans chaque pays. »
La mise en œuvre de l’accord entraînerait également des hausses de salaire plus importantes pour les femmes que pour les hommes d’ici à 2035, avec des augmentations respectives de 10,5 % et de 9,9 %. Elle permettrait également d’augmenter de 10,3 % le salaire des travailleurs non qualifiés et de 9,8 % ceux des travailleurs qualifiés. »
Le défi majeur
La mise en œuvre de la ZLECAF est en soi un défi majeur pour l’Union africaine. C’est par ailleurs une opportunité pour tous les opérateurs économiques du continent d’investir. Les objectifs de cette zone se résument en l’augmentation des échanges intra-africains et le développement des partenariats. Pour Moussa Fakki Mahamat, le président de la commission de l’UA, la croissance économique du contient devra « être plus rapide vu son remarquable potentiel ». À en croire les chefs d’État et de gouvernement africains, l’adhésion à la ZLECAF est surtout motivée par la volonté de contribuer au développement d’un grand marché mondial. L’ambition est qu’ensemble, les États membres de l’UA puissent bâtir et développer ce plus grand marché mondial.
Dans le concret, la ZLECAF signifie que les entreprises, les commerçants et les consommateurs africains ne paieront plus de droits de douane sur une grande variété de biens échangés entre pays africains. Les commerçants entravés par des barrières non tarifaires, notamment des procédures douanières ou des formalités administratives excessives, disposeront d’un mécanisme visant à éliminer ces charges. La coopération entre les autorités douanières en matière de normes et de réglementation s’appliquant aux produits, ainsi que le transit et la facilitation du commerce favoriseront la circulation des marchandises entre les frontières africaines…
Grâce à la libéralisation progressive des services, les fournisseurs de services auront accès aux marchés de tous les pays africains, à des conditions non moins favorables que les fournisseurs nationaux. La reconnaissance mutuelle des normes, l’octroi de licences et la certification des fournisseurs de services permettront aux entreprises et aux particuliers de satisfaire plus facilement aux exigences réglementaires des différents marchés. L’assouplissement du commerce entre les pays africains facilitera l’établissement de chaînes de valeur régionales dans lesquelles les intrants proviendront de différents pays africains en vue de la création de valeur ajoutée avant l’exportation hors du continent.
Dès lors, comment la RDC qui est à la croisée des chemins par rapport à tous les échanges que va générer la ZLECAF, va-t-elle tirer profit de l’initiative, en termes de développement, d’infrastructures et d’industrialisation pour ne pas être qu’un marché de consommation ? Les ressources extractives représentent plus de 75 % des exportations hors continent de l’Afrique, alors qu’elles comptent pour moins de 40 % du commerce intra-africain. Le grand risque associé à des produits comme le pétrole et les minéraux est leur volatilité. La situation budgétaire et économique d’un trop grand nombre de pays africains dépend des aléas des cours de ces produits.