Déficit d’électricité : le marché a été ouvert mais il se pose le problème de la capacité de nouvelles unités de production

Des interrogations demeurent pendantes sur le projet Grand Inga parce que le gouvernement peine à mobiliser les fonds nécessaires. Entretemps et en attendant la matérialisation de ce giga projet, les spécialistes préconisent des « solutions intermédiaires », notamment les énergies renouvelables.

SELON des opérateurs miniers approchés à Kolwezi, « tout est problème de vision ». Politique, cela s’entend. Certes, le marché est très ouvert parce qu’il y a déficit des producteurs. Mais le futur est dans la capacité de nouvelles unités de production, font-ils remarquer. C’est pourquoi, pensent certains spécialistes, il ne faudra pas abandonner la piste des micros centrales plus proches de l’exploitation minière. 

En mai dernier, en marge des assises sur l’électricité en République démocratique du Congo, Jean Marie Ingele Ifoto, le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, a justifié leur organisation par le contexte énergétique du moment dans le pays. En effet, le secteur de l’électricité en RDC est à un tournant, a-t-il dit. Afin de dynamiser le développement du secteur, le gouvernement a encouragé, d’une part, sa libéralisation au travers de la loi 14/011 du 17 juin 2014, et, d’autre part, la revitalisation de l’opérateur public, la Société nationale d’électricité (SNEL).

D’après Ingele, la construction d’une « vision partagée par l’ensemble des acteurs » est une « étape essentielle pour accélérer l’électrification du pays ». Le taux de desserte nationale en électricité atteint à peine 17,1 %, contre une moyenne africaine de 42 %. Seulement 2,5 % des 100 000 MW estimés du potentiel hydroélectrique sont exploités pour la production de l’électricité. Près de la moitié des équipements des centrales qui devaient fournir les 2 500 MW sont en panne ou en cours de réhabilitation. 

Les obstacles structurels

Les premières centrales publiques (Katende, Kakobola, Zongo II et Manono/Ankoro pour l’État ; Matebe, Ivugha et Kananga pour les privés) et environ 4 lignes électriques à haute tension (HT) pour le renforcement du réseau existant sont en cours d’aménagement. Vingt-quatre ans après la mise en service de la centrale hydroélectrique de Mobayi (Équateur) en 1982, il n’y a pas eu de nouvelles infrastructures dans le secteur.

Autres problèmes : le manque d’études bancables et la faible capacité du pays à mobiliser des fonds importants dont a besoin ce secteur si stratégique pour le progrès du pays. 

Le retard dans l’application effective de la loi 14/011 du 17 juin 2014 à travers les mesures et les textes pourtant déjà élaborés. Ce retard ne facilite pas la venue des privés dans le secteur. La faiblesse des investissements et le retard dans la planification. 

La SNEL, opérateur majeur, se trouve plombée par la réforme structurelle et d’énormes problèmes de gestion qui l’empêchent de jouer effectivement et pleinement son rôle de « bras armé » du gouvernement. La décentralisation, la croissance démographique et l’augmentation de la demande des miniers ont accentué le déficit, obligeant le gouvernement à importer de l’électricité de la Zambie et bientôt de la République du Congo voisine. Lesquelles furent pendant de nombreuses années importatrices de l’électricité de la RDC.

Tous ces obstacles « structurels et anachroniques », mis ensemble, rendent difficile la relance du secteur afin de lui faire jouer son rôle de moteur de développement, de relance économique, laisse entendre le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques dans sa communication à l’attention des participants à la 3è édition de la Conférence minière de la RDC. 

Dans tous les cas, le succès dépendra très largement de l’engagement de chaque acteur à assumer sa part de responsabilité. Il y a donc nécessité d’une politique énergétique « conséquente et volontariste » par rapport à l’objectif 2030.

Cela, en vue d’identifier les solutions concrètes pour la relance du secteur et les opportunités d’investissement ; mettre en relation des partenaires potentiels et élaborer une feuille de route avec des actions précises pour assurer la croissance du taux de desserte en électricité et satisfaire les besoins de tous les acteurs sociaux et économiques. Et enfin, pour « jeter les bases solides pour un nouveau départ », selon le ministre de l’Énergie et des Ressources énergétiques.

La SNEL, cible des critiques

Selon Jean-Christophe Carret de la Banque mondiale, l’institution de Bretton Woods partage avec les autorités du pays l’engagement de répondre aux besoins impératifs et urgents de la population à accéder à une électricité fiable et abordable. La Banque mondiale accompagne la RDC depuis 10 ans avec un portefeuille de 1,7 milliard de dollars, notamment dans la mise en œuvre des deux projets. 

Il s’agit d’abord du Projet des marchés de l’électricité en Afrique australe (SAPMP). Il avait été approuvé le 11 novembre 2003, financé par l’IDA (une structure de la Banque mondiale : prêt IDA 177,5 millions de dollars, dons IDA 160,4 millions et 201,5 millions de dollars), la Banque européenne d’investissement (prêt BEI 57 millions de dollars) et la SNEL (11,9 millions de dollars) pour un coût total de 539,4 millions de dollars. 

Le projet qui a démarré le 17 mai 2004 et qui devait en principe se clôturer le 30 septembre 2016, a pour ambition de porter de 280 MW à 560 MW la capacité de transit du corridor d’exportation de l’électricité de la RDC vers les pays de l’Afrique australe. 

Exécuté par la Coordination des Projets/SNEL, les principaux marchés de ce projet ont consisté en la réhabilitation du système courant continu Inga-Kolwezi, des postes 220 kV du Katanga (100 %), la construction de nouvelles lignes 220 kV, la réhabilitation des lignes THTCC et HTCA du Katanga. 

Ils portent aussi sur la fourniture et l’installation de la fibre optique d’Inga à Kasumbalesa, et l’installation des équipements de télécommunication, la construction des infrastructures communautaires dans 7 villages au Katanga, la commercialisation de la capacité excédentaire de la fibre optique. Le marché est attribué à Airtel pour une paire de fibre. 

Les difficultés sont pour le moment le retard pris dans plusieurs marchés à cause des problèmes d’interface, de l’incapacité technique et financière de certains contractants, de la mauvaise performance d’autres contractants, du non-respect des obligations contractuelles par certains contractants, de l’obtention tardive des licences d’importation…

Il s’agit ensuite du Projet de développement des marchés pour la consommation domestique et à l’exportation (PMEDE). Le PMEDE est aussi financé par l’IDA, la BEI mais également par la BAD pour un montage financier de 681 millions de dollars (dons IDA 269,4 millions et 239,8 millions de dollars, prêt BEI 75,8 millions de dollars, KfW 26,5 millions de dollars, BAD 56,7 millions de dollars et SNEL 12,8 millions de dollars). Le projet a été approuvé en 2007 et mis en route le 2 avril 2008. Date limite prévue : le 30 juin 2018. 

Le PMEDE vise à améliorer l’efficacité opérationnelle du secteur de l’électricité, renforcer la capacité de production de l’électricité, de transport et de distribution, afin de mieux satisfaire la demande intérieure en électricité et favoriser l’intégration du marché régional de l’électricité. C’est la Coordination des Projets/SNEL qui exécute les travaux.

Promoteurs privés

Déjà, quatre promoteurs privés ont finalisé leurs projets de construction de centrale hydroélectrique pour la production de 40 MW, principalement dans l’Est du pays. Des obstacles majeurs retardent encore l’entrée d’autres promoteurs privés dans le secteur :  la faible incitation à l’électrification faute d’études et de dossiers bancables dans les zones d’implantation, le manque d’instruments juridiques et financiers d’atténuation des risques et des difficultés d’accès au crédit financier, et l’inaccessibilité des ménages à faible revenu au raccordement au réseau (frais élevés). À cela s’ajoute le manque de financements publics et extérieurs à des taux concessionnels en faveur de la SNEL pour lui permettre de renforcer ses infrastructures dans les zones industrielles.