En cas de scénario catastrophe, l’État a-t-il les moyens de faire face à la pandémie ?

Si l’on s’en tient aux projections de l’équipe technique de riposte au coronavirus, le pic de la propagation de la maladie serait atteint vers la mi-mai. Ce qui correspond à peu près à la fin de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Dans la pire des hypothèses, le gouvernement est-il vraiment en capacité financière d’apporter des réponses et des remèdes ?

LA question a été mise sur la table, et a été posée au ministre de la Santé au conseil des ministres présidé en télévision par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, le vendredi 24 avril. Comme devant un jury, Eteni Longondo, le ministre de la Santé, a fait l’économie de la situation épidémiologique (lire notre article en page 8 sur l’état de la pandémie dans le monde), avant d’informer le gouvernement des résultats du confinement de Gombe à Kinshasa. 

Selon ce qu’en a déclaré David Jolino Diwanpovesa Makelele ma-muzingi, le ministre d’État, ministre de la Communication et des Médias, le bilan fait état de 515 prélèvements sur les 540 personnes contacts listées, 34 nouveaux cas confirmés parmi les personnes contacts et ceux qui vivent avec les cas confirmés, 2 cas positifs interceptés sur les 30 cas suspectés au check-point, 12 346 ménages visités sur 18 647 visés, désinfection de bâtiments publics et rues de cette commune. 

Depuis que l’épidémie de Covid-19 a été déclarée en République démocratique du Congo, le gouvernement a déjà mis sur le compte de ministère de la Santé quelque 2,8 millions de dollars, en faveur des hôpitaux pour la prise en charge des malades, pour la désinfection des bâtiments, tels que l’hôtel du gouvernement ou « Immeuble intelligent » et le Palais du peuple, etc. À ce jour, la capacité d’accueil actuel en termes de lit est de 565, le nombre pourrait passer rapidement à près de 2 000 lits. Par ailleurs, pour la concrétisation du plan général de riposte estimé à environ 135 millions de dollars, le ministère de la Santé compte sur les promesses de dons et autre assistance. 

Cependant, la riposte se heurte à des problèmes qui sont jugés sérieux : la faible adhésion de la population aux mesures sanitaires, notamment les gestes barrières, et une sensibilisation peu appropriée. Pour surmonter l’obstacle, le ministre de la Santé souhaite un recadrage avant d’envisager des mesures de coercition (sanctions). Par ailleurs, le retard dans le diagnostic, jusque-là fait à l’Institut national des recherches biomédicales (INRB), est préjudiciable à la prise en charge rapide. Eteni Longondo a fait savoir que des intrants sont attendus prochainement en vue d’augmenter la capacité de diagnostic.

Inquiétudes

Pour l’avenir, le ministère de la Santé envisage le dépistage des personnes contacts de tous les cas testés positifs à Kinshasa, le confinement de ceux qui seront testés positifs au Covid-19 et leur prise en charge. Apparemment, le ministre de la Santé a parlé sans vraiment convaincre. Son exposé a provoqué des interrogations sous forme d’inquiétudes. À commencer par le président de la République lui-même sur plusieurs points, notamment la capacité de prise en charge des malades et les moyens mis à la disposition du personnel médical. Pour sa part, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, a dit qu’il est prêt à accueillir les chercheurs nationaux pour échanger sur leurs différentes approches.

De cet exposé du ministre de la Santé, des observateurs pensent que l’exécutif n’est pas tout à fait au point sur le plan sanitaire pour faire face à un scénario catastrophe. Mais qu’en est-il de la situation sur le plan des finances publiques, car l’argent, dit-on, c’est le nerf de la guerre ? Eh, oui, nous sommes en guerre contre le coronavirus !

Samedi 25 avril, le 1ER Ministre a réuni à son cabinet de travail Jean Baudouin Mayo Mambeke, le vice-1ER Ministre, ministre du Budget ; José Sele Yalaghuli, le ministre des Finances ; et Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC). Image d’Épinal : l’heure est grave ou c’est tout comme. D’après Jean Baudouin Mayo, il a été essentiellement question de se mettre d’accord sur les deux instruments du budget que sont le plan de trésorerie et le plan d’engagement budgétaire pour le deuxième trimestre de l’année 2020, au regard de l’évolution de la pandémie qui imposent des réajustements budgétaires du fait de ses effets pervers. Sylvestre Ilunga a ainsi donné un devoir à domicile à ces trois responsables du pool financier du gouvernement d’élaborer un plan de décaissement, service par service public. Ce plan défini dans la transparence permettra à chaque institution bénéficiaire de ressources du Trésor public de savoir ce qui lui est alloué comme ressources et comment elle va les dépenser durant le deuxième trimestre de l’année. 

Les déséquilibres

Déjà dépendante de l’exportation de produits miniers marchands (principalement le cuivre et le cobalt), l’économie nationale, fragile, est frappée de plein fouet par les restrictions mondiales, notamment la fermeture des frontières, l’arrêt de travail, etc. La note d’information, rédigée à cet effet pour la particulière attention du gouvernement (dont nous avons fait écho dans notre édition n°265) par Willy Kitobo Samsoni, le ministre des Mines, est assez édifiante. 

La croissance économique de la RDC étant essentiellement tirée par le secteur minier, la baisse des cours des produits miniers marchands comporte un risque sur les recettes inscrites au budget 2020. Si la crise sanitaire perdure, avec effet de restrictions partout, il y a lieu de craindre une perturbation de l’offre de cuivre et de cobalt de la RDC sur le marché international. Alors, la contraction de la demande aura pour effet la baisse des cours des métaux qui, à son tour, aura un impact sur la production en 2020. 

Contrairement aux pays de l’Amérique latine, tels que le Chili et le Pérou, qui ont des fonds de stabilisation ou souverains, la RDC ne saurait tenir le coup en cas d’arrêt brusque de la production minière des projets phares pour cas de force majeure. Par conséquent, le risque de passer de la crise sanitaire à la crise économique, qui déboucherait, à son tour, sur une crise sociale est craindre. 

Au regard des statistiques provisoires du 1er trimestre 2020, les exportations de cuivre ont augmenté de 12,75 % par rapport au 1er trimestre 2019, bien que l’augmentation n’ait été que de 4,02 % et 9,95 %, respectivement pour les mois de février et mars 2020. Les exportations de cobalt ont connu une baisse de 15,18 %, par rapport à 2019, au cours du premier trimestre, bien qu’une légère augmentation ait été observée sur les exportations de cobalt au mois de mars 2020 par rapport à janvier et février 2020. 

Le prix du cuivre, qui était descendu à 4 617,50 dollars la tonne, le 23 mars, a refranchi la barre de 5 000 dollars la tonne depuis le 7 avril. Le cours du cobalt se stabilise à 29 500 dollars la tonne depuis le 23 mars après une chute à 27 500 dollars la tonne le 12 mars. 

Le ministre du Budget n’a pas sa langue dans la poche : les recettes attendues vont certainement prendre un sacré coup. Désormais, il est question de fixer les niveaux de recettes et de dépenses. Le 1ER Ministre a mis en garde qu’il sera très pointillé sur la traçabilité des décaissements. C’est même une recommandation du Fonds monétaire international (FMI), dont Sylvestre Ilunga se félicite de la réactivité rapide à la demande du gouvernement. 

Le FMI a approuvé un décaissement d’environ 363,27 millions de dollars au titre de la facilité de crédit rapide pour soutenir la RDC face aux effets directs et indirects de la pandémie du Covid-19.