La colère monte chez les importateurs à cause des pénalités à Matadi

Alors que les propriétaires des marchandises, bloquées dans les entrepôts logistiques de MGT, invoquent le cas de force majeure du fait des mesures de l’état d’urgence sanitaire, le port privé qui accueille les navires fait tourner son compteur.

LES IMPORTATIONS sont devenues beaucoup plus considérables que les exportations en République démocratique du Congo. En dehors des opérateurs économiques, importateurs classiques, des Congolais, hommes et femmes,  sans vraiment le statut d’opérateur économique, importent de plus en plus. Le fret au container (ou conteneur) fait désormais tendance chez ces importateurs occasionnels. 

Au pays émerge une race de femmes commerçantes très en verve. On les surnomme très affectueusement : « Ba mamans ya Chine » ou « Ba mamans ya Dubaï », ou encore « Ba mamans ya Japon ». Ces dames, sans distinction des couches sociales, remplissent les avions des compagnies aériennes, telles que Kenya Airways, Ethiopian Airlines, Rwandair, etc., pour aller acheter des marchandises en Chine, en Turquie, à Dubaï et au Japon. Pour la plupart, ce sont des containers de quincaillerie, meubles, matériaux de construction, véhicules d’occasion et vêtements pour hommes, femmes et enfants qu’elles envoient au pays.

Marianne Losenge, originaire de Kisangani vivant à Kinshasa, fait partie de cette génération montante de jeunes femmes d’affaires, fières de l’être, et qui aspirent à la richesse. Elles sont soit célibataires, soit mères au foyer, mais leur dénominateur commun, ce sont les affaires pour subvenir aux multiples besoins de leurs familles et surtout se hisser dans la hiérarchie sociale. Marianne importe de Chine et de Japon depuis plusieurs années. La pandémie de coronavirus l’a surprise en Chine et l’a contrainte au confinement. Elle y est bloquée jusqu’à ce jour à cause de la fermeture des frontières de la RDC. Cependant, les containers de ses marchandises sont déjà arrivées à Matadi depuis le mois de février, entreposés au port privé Matadi Gateway Terminal (MGT).

En Europe, les émigrés congolais et leurs enfants ont marre d’être toujours cette vache à lait pour les familles restées au pays. La plupart des Congolais installés en France ou en Belgique se lancent dans le business pour s’affranchir du poids de la famille. Et quelle famille ! 

Marié à une Française, père de deux enfants, Éric Lubanzadio raconte qu’il se partageait entre son foyer et les bureaux de Western Union, d’où il envoyait la quasi-totalité de son salaire à sa famille à Kinshasa. Aîné de 11 enfants, frères et sœurs, sans compter les oncles, les tantes, les neveux, etc., il est considéré comme « l’espoir » de toute cette parentèle. 

Mariage, enterrement, problèmes de santé, scolarité, Éric incarne le salut pour les siens. L’être qui résout les maux d’argent comme les maux tout court, par la grâce des petits billets verts. Et ce malgré les colères de sa femme Isabelle, qui n’en pouvait plus de ces sollicitations incessantes. C’est ainsi, las de voir son salaire aller systématiquement garnir les poches d’autres personnes au détriment du confort de ses propres enfants, et sentant la retraite (63-65 ans) proche, Éric a décidé de se lancer dans le business. Depuis quelques années déjà, il remplit des containers avec tout ce qu’il peut trouver en Europe : véhicules, moteurs de véhicules, meubles, appareils électroménagers…

Le torchon brûle

Comme Marianne en Chine, Éric, aussi, a souffert du confinement en France à cause de la pandémie de Covid-19. Pourtant, ses containers, arrivés à Matadi en mars dernier, se trouvent encore entreposés au port privé MGT. Apparemment, leurs mandataires ont des difficultés pour procéder à l’enlèvement des containers. Marianne et Éric ne sont pas les seuls dans cette situation. 

Les propos et les échos qui nous parviennent, illustrent parfaitement l’état d’esprit de nombre d’importateurs congolais, surtout les femmes commerçantes et les Congolais de la diaspora. En effet, le torchon brûle entre les entrepositaires et le concessionnaire portuaire MGT. 

Les femmes commerçantes et les Congolais de la diaspora se plaignent de « lourdes pénalités » que leur inflige MGT pour l’enlèvement des containers, alors que ceux-ci sont arrivés à Matadi pendant la période de l’état d’urgence sanitaire. Les démarches administratives, voire politiques, individuelles ou collectives, pour obtenir l’annulation de ces pénalités pour cause de « force majeure » demeurent sans effet jusqu’à ce jour. « MGT fait la sourde oreille », râle Éric qui nous a contactés au téléphone.

À travers les propos croisés de Marianne et Éric, les importateurs congolais dénoncent donc les pénalités que MGT leur impose avant d’enlever les marchandises de ses entrepôts. « D’habitude, explique Marianne, nous payons 1 800 dollars par container, et depuis la pandémie de Covid-19, il faut ajouter 25 dollars de la taxe Covid-19 ». Pour Marianne et Éric, respectivement en confinement en Chine et en France, ils sont dans la situation de « cas de force majeure ». Et de ce fait, les pénalités ne se justifient pas. « Nous sommes prêts à payer ce que nous payons d’habitude. Mais avec le confinement où voulez-vous qu’on trouve de l’argent pour payer ses pénalités ? », se demande Marianne. Leurs démarches sans cesse pressantes pour obtenir une dérogation, faites sur le ton à peine déguisé de la menace sont sans effet à ce jour. « Aujourd’hui, MGT me demande de payer 10 000 dollars pour un container à cause des pénalités qui grimpent au jour le jour. Malgré les lettres que nous leur avons adressées, les autorités à Kinshasa restent silencieuses. Dites-moi, que devrons-nous faire face à l’intransigeance de MGT dont les responsables déclarent qu’ils n’ont pas de leçons à recevoir de qui que ce soit ? », fulmine de colère Marianne. « Nous nous demandons finalement à qui appartient MGT et quel arrangement existe entre les armateurs (compagnies maritimes) et MGT pour que tous les bateaux accostent à ce port privé alors que celui de l’ex-ONATRA (Office national des transports) est vide », renchérit Éric.

Un expert maritime nous a fait comprendre que la concession portuaire tend à devenir la norme en Afrique. « Elle comprend à la fois l’autorisation d’occuper le domaine public et l’obligation d’aménager et d’exploiter le périmètre et les ouvrages pendant au moins 25 ans en moyenne, contre une redevance et un droit d’accès qui renchérissent le fret », explique-t-il. Ainsi, poursuit-il, les terminaux africains dégagent des coûts logistiques de passage autour de 1 500 dollars (manutention, stockage, livraison locale), contre 250 à 300 euros en Europe. Par ailleurs, les coûts portuaires (remorquage, pilotage, lamanage, droit de port…) vont de 6 552 dollars à Lomé (Togo) jusqu’à 26 371 dollars à Dakar (Sénégal).

D’après cet expert, les containers sont généralement immobilisés pendant 20 jours. La productivité horaire des portiques à containers est comprise entre 7 et 22 containers en Afrique, contre 20 et 30 dans les grands ports mondiaux de référence. Les porte-containers dépassent rarement les 2 000 TEU. En Afrique, 60 % des capacités des ports sont exploités en Afrique de l’Ouest, contre 75 % en Afrique australe. 

Les ports de Lagos-Apapa, Luanda et Dar es-Salaam atteignent leur pleine capacité. Selon les statistiques de la Banque centrale du Congo, le volume de marchandises embarquées et débarquées au port de Matadi en 2018 était d’un millier de tonnes seulement.