La dédollarisation mondiale annonce des secousses et des crises pour l’économie des USA

L’agressivité tous azimuts actuelle de l’administration Trump a-t-elle un rapport avec la dédollarisation en cours dans le monde - qu’au passage, elle ne fait qu’accélérer, dans un cercle vicieux de la plus belle eau - et quelles seront les répercussions de ladite dédollarisation sur le système financier mondial ? 

C’EST qu’à Bretton Woods, le bâton de commandement avait été transmis de la livre sterling au dollar américain, des monnaies de deux systèmes libéraux occidentaux complices, alors qu’aujourd’hui, il passe au yuan, une monnaie issue d’un système très différent et à terme, capable de se dégager des méthodes et visées occidentales. Allons-nous vers une refonte totale des équilibres économiques mondiaux, avec l’Asie et non plus l’Occident dans le rôle du centre d’arbitrage ? Pour commencer, à quels effets s’attendre pour les USA ?

La bellicosité de l’administration Trump, conjuguée à la volatilité de l’économie mondiale, a accéléré ce qui est devenu un mouvement international : l’abandon du dollar comme monnaie de réserve mondiale. En janvier, sur Twitter, le président Donald Trump avait mis en doute l’engagement du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme. Vingt-quatre heures plus tard, la Banque centrale du Pakistan a annoncé qu’elle n’utiliserait plus le dollar américain dans les transactions internationales et qu’elle opterait plutôt pour le yuan chinois. 

Quatre mois plus tard, en réponse au retrait des États-Unis du pacte nucléaire avec l’Iran annoncé par l’administration Trump, l’Union européenne a déclaré qu’elle utiliserait sa propre monnaie, l’euro, pour payer le pétrole brut iranien. Plus tôt ce mois-ci, Moscou et Pékin ont annoncé un plan pour utiliser leurs propres monnaies nationales dans leur commerce bilatéral. 

Mauvais augure

Le président russe Vladimir Poutine a déclaré aux journalistes que cette mesure « renforcerait la stabilité du service des banques pour les opérations d’exportation et d’importation, dans un contexte de risques persistants sur les marchés mondiaux ». 

Lorsque Trump est arrivé au sommet de l’État US, le billet vert était utilisé dans près de 90 % des transactions internationales ; aujourd’hui, ce chiffre est tombé à environ deux tiers, selon Shabbir Razvi, le directeur de International Finance Solutions Associates. Comme l’a dit récemment l’économiste Peter Schiff à RT : « Je pense que le monde est engagé dans une tentative de dédollarisation. » 

L’argent fait tourner le monde, surtout si vous pouvez en imprimer à volonté. La perspective est de mauvais augure pour l’économie américaine qui, de l’avis de beaucoup d’observateurs, s’approche peut-être de la pire récession de l’histoire de l’humanité. Le statut de réserve internationale était étroitement lié à la réserve d’or et la livre sterling était la monnaie de réserve internationale pour tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle – jusqu’à ce que la conférence de l’après-guerre de 1948 de Bretton Woods, dans le New Hampshire, consacre le dollar comme principale monnaie pour le commerce international. 

Lorsque l’administration Nixon a découplé le dollar américain de l’étalon-or [entre 1971 et 1973, NdT], les États-Unis ont négocié un accord pour acheter du pétrole à l’Arabie saoudite et fournir au royaume une aide et du matériel militaires en échange d’investissements de pétrodollars saoudiens en bons du Trésor américain. À la fin du mois de juin de cette année, l’Arabie saoudite détenait 164,9 milliards de dollars américains de dette du gouvernement américain. 

Le statut spécial du dollar est à l’hégémonie américaine ce que les cheveux de Samson étaient à sa force colossale. Si le dollar perdait son statut de monnaie de réserve internationale, les États-Unis ne pourraient plus payer leurs factures simplement en imprimant de l’argent. Le résultat, pour un pays qui n’est plus le premier exportateur mondial sur le marché international, pourrait provoquer un gel de l’économie et, possiblement, des pénuries apocalyptiques de carburant et de nourriture. 

La Chine, grand bénéficiaire

Le principal bénéficiaire de la baisse du dollar est clairement la Chine. 

Exit le dollar, bonjour le yuan. À la fin du deuxième trimestre, les actifs financiers libellés en yuans détenus par des institutions et des particuliers à l’étranger s’élevaient à 4,9 billions de yuans, soit environ 717 milliards de dollars, selon ICBC International, la filiale d’investissement hongkongaise de la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC), une des quatre principales banques chinoises. La part des actions et des obligations libellées en yuan, exprimée en pourcentage de l’actif total détenu par les investisseurs mondiaux, a augmenté jusqu’à environ 2,5 % et 3,0 %, respectivement, par rapport à la même période l’an dernier. 

Poutine appelle publiquement la communauté internationale à dépasser le dollar en tant que réserve internationale depuis plus d’une décennie – avant que l’effondrement du marché du logement en 2008 n’entraîne une récession mondiale – et la politique étrangère belliqueuse de Trump, avec le rétablissement de tarifs douaniers contre la Chine, le Canada et l’UE ont amené une grande partie du monde à se joindre au débat. 

Kay Van Petersen – stratège macroéconomique mondial chez Saxo Capital Markets, basé à Singapour – a déclaré à des journalistes : « La conséquence imprévue de la lutte des États-Unis sur de multiples fronts démontre clairement que le monde a besoin d’une solution de rechange au dollar américain pour le commerce et les transferts. La guerre commerciale de Trump conduira à un redoublement des efforts pour déployer le yuan en écho à ce thème de l’internationalisation. » 

L’utilisation du yuan en dehors de la Chine continentale s’est envolée pendant un certain temps après la crise financière mondiale de 2008, puis a rapidement diminué, avant de reprendre cette année. Et le remplacement du dollar par le yuan fait clairement partie de la stratégie à long terme de Pékin, car les dirigeants font pression sur leurs partenaires commerciaux pour qu’ils acceptent le yuan en paiement des exportations chinoises. 

En 2014, la Chine a relié la bourse de Hong Kong à la bourse de Shanghai et, en 2016, a commencé à permettre aux étrangers d’investir sur les marchés financiers chinois continentaux. Les autorités chinoises ont également lancé l’an dernier des contrats d’or libellés en yuans sur les bourses de Hong Kong et de Dubaï, ainsi que, en mars de cette année, de nouveaux contrats à terme sur le pétrole libellés en « Petroyuans » sur la Shanghai International Energy Exchange. 

De nombreux économistes pensent inévitable que la Chine, le plus grand importateur mondial de pétrole, détrône les États-Unis en tant que superpuissance financière mondiale. 

En représailles au rétablissement par l’administration Trump des droits de douane sur les importations chinoises, le pays a imposé des droits de douane sur des marchandises américaines pour une valeur de 50 milliards de dollars. 

Selon Hayden Briscoe, responsable des titres à revenu fixe de la zone Asie-Pacifique chez UBS Asset Management : « Nous pensons aujourd’hui que ces pays producteurs de pétrole, qui vendent du pétrole dans le cadre de ces contrats et qui sont payés en yuans, commencent à recycler leurs profits en obligations du gouvernement chinois, et que cela va continuer pendant des décennies. » 

Les financiers ont parfaitement conscience des stratégies visant à détrôner le dollar américain et de l’impact qu’elles ont sur Wall Street. Nous ne manquons pas d’économistes et de politologues selon qui la proposition de Mouammar Kadhafi de créer une monnaie panafricaine adossée à l’or avait convaincu l’administration Obama d’intervenir militairement pour renverser le gouvernement du dictateur libyen. 

Le déclin du dollar prendra probablement des années pour arriver à son terme, mais il reflète celui des États-Unis en tant qu’unique superpuissance mondiale. Comme l’a récemment déclaré un économiste au réseau RT : « À terme, l’évolution de la finance mondiale sera étroitement liée à l’évolution de l’équilibre des pouvoirs au niveau mondial. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. 

Il faudra du temps et cela engendrera beaucoup plus de crises et de changements d’équilibre. Et personne ne sait vraiment à quoi ressemblera le nouveau système. »