« Le capital au XXIe siècle » : 10 idées à retenir

Publié en 2013, l’essai de Thomas Piketty, « Le Capital au XXIe siècle » est très rapidement devenu un véritable succès planétaire, notamment aux États-Unis. 

Thomas Piketty, auteur du « Capital au XXIe siècle ».
Thomas Piketty, auteur du « Capital au XXIe siècle ».

Rapidement considéré comme une nouvelle référence économique dans le domaine du partage des richesses et de la croissance, il est un des rares ouvrages de presque mille pages à devenir un best-seller. Pourtant, sa taille et sa complexité rendent peut-être difficile un accès au grand public des principales thèses et études développées dans le livre. Ci-après un rapide résumé des dix idées qui paraissent les plus déterminantes et dignes d’être enseignées.

1. Le XXe siècle a été une période exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité.

Le XXe siècle est une période exceptionnelle au regard de l’histoire de l’humanité sur plusieurs aspects. Évidemment, sur le plan technologique, nous avons accompli plus de prouesses en ces quelques années qu’en des siècles auparavant. Mais, ce que souligne Thomas Piketty, statistiques et études historiques à l’appui, c’est que le XXe siècle a été une phase de forte croissance économique et démographique et de faibles inégalités tout à fait inédites dans l’histoire. Ainsi, Piketty rapporte que la croissance du PIB mondial a progressé en moyenne de :

  • 0,06 % par an entre 0 et 1700
  • 0,5 % par an entre 1700 et 1820
  • 1,5% par an entre 1820 et 1913
  • 3% par an entre 1913 et 2012

L’époque moderne est même la seule période de l’histoire où la croissance économique a été sensiblement supérieure à la croissance démographique, permettant un enrichissement global de la population.

2. 1 % de croissance, c’est énorme !

On l’a vu, le XXe siècle est une période exceptionnelle. Mais elle a pris fin. Comme nous avons pu le voir sur ce site, la croissance a tendance depuis les années 70 à baisser sensiblement. Autour de 5% en moyenne dans les années 60, elle a chuté à 2% dans les années 80 puis à 1% dans les années 2000. Pourtant, toutes les politiques publiques et tous les programmes de nos candidats sont basés sur une moyenne de 2, voire 2,5% (ce fut, en France, notamment le cas pour Hollande et Sarkozy).

Pour le grand public, une croissance de 2,5 % est le minimum syndical. En réalité, ce chiffre est très élevé sur le long terme, de par ses effets cumulatifs. En effet, ce taux revient déjà à plus de 10 % de croissance au bout de seulement 4 ans. En d’autres termes, on double la richesse d’une nation en l’espace d’une génération. C’est un rythme effréné qu’il est impossible de tenir sur le long terme.

3. La « parenthèse » des Trente glorieuses appartient au passé.

Troisième enseignement : un pays ne peut atteindre des niveaux exceptionnels de croissance (de 5 à 10 %) que dans deux cas : une reconstruction au sortir d’une guerre fortement destructrice (cas de l’Europe) et un rattrapage (cas des pays en développement).

Dans tous les autres cas, dans l’histoire, aucun pays, avec aucune politique économique, n’a réussi à atteindre ce niveau. Un retour à cette période dorée des Trente glorieuses ne peut donc pas être un objectif réaliste pour aucun homme politique. Une croissance élevée ne peut être que le fruit d’un rattrapage. Elle peut également se faire au détriment de ses voisins (guerre, conquête).

4. La rémunération du capital est toujours plus élevée que la croissance.

Aussi loin que les statistiques de Thomas Piketty puissent remonter, la rémunération du capital, c’est-à-dire ce que vous pouvez gagner en plaçant votre argent, est toujours plus élevé que la croissance. Autrement dit, historiquement, le travail paye toujours moins que d’être riche. Piketty prend l’exemple de Bill Gates, qui ne s’est bien plus enrichi depuis qu’il est retraité que durant toute sa carrière, aussi exceptionnelle fût-elle. Et, dans le même temps, Liliane Bettencourt s’est encore plus enrichie que lui, sans avoir, elle, eu aucun autre mérite que d’être bien née. En conséquence : sans action correctrice, la richesse des riches augmente plus vite que celle des moins riches. Les inégalités sont donc structurellement en croissance.

L’économiste met même en avant que le rendement du capital – donc de la richesse – est assez stable au cours du temps, autour de 5 %. Or, on l’a vu, la croissance est déjà élevée lorsqu’elle atteint 1 %. La seule période de l’histoire où le rapport s’est temporairement inversé est encore la période des Trente glorieuses, où le capital a été très fortement taxé (jusqu’à 90% aux États-Unis, voire totalement au sortir des guerres) et où la croissance a été très forte.

5. Les inégalités progressent.

Le taux de croissance mondial étant en baisse, la concurrence entre les pays limitant les politiques fiscales, il n’y a plus de limites à l’accumulation de richesses. On revient donc progressivement à la situation qui prévalait au XIXe siècle : celle où une minorité de très riches possède la quasi totalité des richesses. Ainsi, aujourd’hui, les 10% les plus riches possèdent 45% de la richesse des États-Unis. Le taux était le même avant 1900. Il est tombé à 30-35% au cours du XXe siècle.

6. La méritocratie n’existe plus.

Elle est toujours le totem de la droite, mais la méritocratie n’existe plus. C’est la conséquence directe du point 4 : un rentier gagnera toujours mieux sa vie qu’un travailleur, même méritant. Les taux d’imposition touchant les plus forts revenus ayant chuté drastiquement dans les années 80 et 90 partout dans le monde, il n’y a plus aucune limite à l’accumulation de richesse, et plus beaucoup de redistribution.

Ainsi, au début du XXe siècle (et c’est une tendance historique lourde), près de 90% des patrimoines proviennent de l’héritage. La quasi totalité des richesses du monde étaient héritées ! Ce taux chute au XXe siècle pour atteindre un point bas à 45% dans les années 70. Aujourd’hui, ce taux remonte rapidement. Il est déjà supérieur à 50% dans les années 90, et les projections le ramènent à ce qu’il était avant le XXe siècle autour des années 2030-2040.

7. Aucun État ne rembourse ses dettes sur le long terme.

C’est actuellement la principale obsession des États européens. Sous l’impulsion de l’Allemagne, l’ensemble des États de l’Union européenne n’ont qu’une idée en tête : s’arranger pour trouver un budget à l’équilibre permettant de diminuer leur dette.

Selon Piketty, l’histoire nous montre que cette politique est intenable sur le long terme, et qu’elle n’est d’ailleurs jamais tenue. Un pays ne parvient pas à maintenir un équilibre budgétaire plus de quelques années : la dérive revient très rapidement. En effet, une telle politique affaiblit les pays – c’est notamment ce qui a fait perdre au Royaume-Uni le statut de première puissance mondiale au cours du XXe siècle – et entraîne une instabilité politique qui balaye les gouvernements.

8. L’austérité est suicidaire pour un pays.

Pour rembourser ses dettes, Piketty avance quatre solutions :

le défaut

l’impôt sur le capital

l’inflation

l’austérité

Le défaut est souvent la dernière solution, utilisée par les pays qui n’ont plus d’autre choix, souvent après des agitations sociales importantes ou des révolutions. Dans un État stable, Piketty déconseille le défaut, pour ses effets indésirables difficiles à estimer, comme une panique bancaire aux conséquences imprévisibles.

L’inflation est la solution la plus utilisée dans l’histoire. Elle a permis de sortir sans heurts des dettes de guerre en 1945, tant en France qu’en Allemagne. Si l’Europe s’y refuse, la solution est largement privilégiée partout dans le monde. Mais le risque d’emballement est toujours possible, ce qui rend cette solution dangereuse sur le long terme.

L’austérité est la solution la plus injuste et la moins efficace : il faut souvent attendre des années, voire des décennies (et on l’a vu, c’est intenable) pour avoir des résultats, au prix d’une augmentation du taux de pauvreté, d’inégalités et d’agitation sociale. L’exemple du Royaume-Uni est sidérant.

Piketty estime donc que, dans les conditions actuelles, la cure d’austérité que connaît l’Europe devra durer 10 ou 20 ans. Deux décennies perdues, donc, sans investissements, où l’Europe aura mille fois l’occasion de se faire dépasser par le reste du monde dans la compétition mondiale.

9. Un impôt sur le capital : meilleur moyen de diminuer la dette publique.

La meilleure solution, selon Piketty, est donc l’impôt sur le capital. Cette solution est immédiatement efficace, peu coûteuse et juste. En effet, l’économiste calcule qu’un impôt proportionnel sur le patrimoine de 15 % suffirait à réduire à zéro les dettes publiques en une année seulement. En réalité, il n’est pas nécessaire d’être aussi gourmand.

Un impôt prélevant 1% des patrimoines entre 1 et 5 millions d’euros, et 2% au-delà rapporterait 2% du PIB européen. Multipliez ces taux par 10, et vous réduisez les dettes publiques de 20% en un an. C’est d’ailleurs la solution qu’a optée la France en 1945, en appliquant un impôt exceptionnel sur le patrimoine allant jusqu’à 20%.

10. Conclusion.

C’est un des points les plus importants de l’enseignement des travaux de Piketty : ce qu’on vous rabâche à longueur de journée comme étant inéluctable et intemporel a de fortes chances de n’être que temporaire et exceptionnel.

Quelques exemples : jusque dans les années 80, le salaire minimum était plus élevé aux États-Unis qu’en France ; les impôts sur les plus riches étaient plus élevés aux États-Unis qu’en Europe ; l’austérité n’a jamais été une solution pour rembourses ses dettes ; les très hauts salaires des dirigeants d’entreprises ne sont pas du tout justifiés par leur compétence ou leur productivité ;…

Ainsi, quand on vous affirme une « loi économique » comme étant universelle et intemporelle, méfiez-vous et informez-vous le plus largement possible. Bien souvent, elle n’est que le fruit des plus récentes tendances économiques, qui ont été très fluctuantes ces dernières années.

Ce résumé est évidemment imparfait. Premièrement, on peut difficilement tirer la substantifique moelle de plus de 950 pages d’analyses et de statistiques. Ensuite, il est forcément subjectif, au risque de trahir les intentions de l’auteur. Aussi, je vous invite à parcourir ce monument de science économique qui sera déterminant pour les années à venir. Et si la lecture d’un aussi épais pavé vous rebute, je ne peux que vous inviter à ne lire que les 200 pages du dernier chapitre et la conclusion.