Le Covid-19 est aussi une crise économique aux conséquences dramatiques

Quels sont désormais les secteurs les plus touchés par l’épidémie de Covid-19 ? Tout s’est subitement dégradé la semaine du 2 au 8 mars alors que la crise du coronavirus concernait jusqu’alors des secteurs très liés avec la Chine comme le luxe et le commerce.

LES SECTEURS de l’événementiel, de la restauration, du transport en autocars et du tourisme « sont très impactés », a reconnu, le lundi 9 mars, Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance. Il a révélé que la banque publique française intervenait « massivement » en garantie de trésorerie auprès des TPE, mais aussi des PME. Les appels au secours se multiplient. « La crise sanitaire est aussi une crise économique aux conséquences dramatiques, affirme Bernard Stalter, le président de CMA France qui réunit les artisans. Des défaillances en cascades sont inévitables. »

Événementiel

« Que des dossiers d’annulation », soupire cet entrepreneur qui gère seul sa société dans l’événementiel, depuis plus de dix ans. Son téléphone n’a pas arrêté de sonner : suppression d’une convention ressources humaines, du recours à un philosophe dans un congrès professionnel, d’un forum pour les commerciaux… Il ne reste plus rien. « Ma crainte ? Qu’aucune organisation ne soit relancée avant septembre, avec l’approche des ponts de mai puis la trêve estivale, détaille Benoît. D’autant que je sens bien derrière certaines annulations la patte de chasseurs de coûts, qui profitent du coronavirus… Comme je n’ai pas de trésorerie, je ne vois pas comment éviter de mettre la clé sous la porte. »

Le salon mondial du tourisme, Global Industrie du Bourget, le rendez-vous de l’industrie alimentaire à Rennes, Body Fitness à Paris, le salon des sports mécaniques à Angers… toutes ces rencontres ont été annulées ou reportées avant même l’interdiction de réunion de plus de 1 000 personnes en France. L’événement, association professionnelle du secteur demande au gouvernement français un « plan d’urgence » pour sauver les 335 000 emplois de la profession. Pour l’heure, Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des Finances, s’en tient à un discours d’entraide : « Je sais à quel point l’événementiel est l’un des secteurs les plus touchés. J’appelle toutes les grandes entreprises à faire preuve de solidarité et à régler les prestations, même s’il n’y a pas de prestation », a-t-il déclaré la 9 mars. Pas certain que cela soit suffisant…

D’autant que les groupes plus importants du secteur sont également touchés en Asie. Pour Auditoire, la Chine comptait ainsi l’an passé 35 % des 175 millions d’euros de chiffre d’affaires. Or, pour l’heure, seuls 15 % des effectifs sur place ont pu reprendre le chemin du travail. « Et encore, il faut prendre en compte les difficultés techniques et administratives qui demeurent sur place et compliquent le travail », explique Cyril Giorgini, le président de la société. 

Il prévoit une chute de moitié des revenus issus de la Chine, si les difficultés s’estompent d’ici juin. « Et pour l’ensemble du groupe, également impacté en France et au Moyen-Orient, ce serait une année blanche, sans bénéfice, dans un tel scénario », continue le dirigeant. Il vient de faire une demande de passage en chômage partiel, à 24 heures mensuels pour ses salariés.

Combien de chiffre d’affaires en moins, voire d’embauches gelées, pour un employé contaminé ? Lundi 9 mars, Disneyland Paris a annoncé qu’un membre d’une équipe de maintenance avait été détecté positif au coronavirus. Ainsi, malgré toutes les précautions de langage, évoquant un salarié de maintenance, qui travaillait « en coulisses » et qui « n’était pas en contact avec les visiteurs », les conséquences pourraient être désastreuses pour le parc qui accueille 15 millions de visiteurs par an. 

En particulier pour les 7 à 8 000 travailleurs saisonniers recrutés chaque année, au printemps, quand la saison haute commence. Le 10 mars, la Grande foire aux CV organisée en partenariat Pole emploi Ile de France pour recruter des techniciens du spectacle a bien été maintenue mais le nombre des embauches dépendra de visiteurs au Royaume de la belle au bois dormant dans les prochaines semaines.

Grands magasins

Dans les grands magasins, on ne parle plus des conséquences du virus au conditionnel mais à l’indicatif présent. En particulier, ceux du boulevard Haussmann, qui ont fait de la clientèle asiatique le moteur de leur développement. La situation est « horrible », souffle ainsi un acteur du secteur. Les autocars qui déversent quotidiennement des hordes de clients chinois ont quasiment disparu. Ils représentaient à eux seuls un quart des ventes. 

Depuis le début de la crise, leur chiffre d’affaires serait en recul 10 à 20 %. « Nous avons commencé à regarder les coûts de très près, à couper, confie la porte-parole d’une enseigne. Il a été demandé à l’ensemble des équipes de toutes les directions d’évaluer tous les projets. Nous réalisons des arbitrages entre ceux qui sont prioritaires ou pas, ceux qui ont été déjà engagés ou non. Nous réduisons notamment la voilure sur l’événementiel, les opérations d’image. Pour notre prochaine opération commerciale en magasin, il n’y aura pas, comme d’ordinaire, de personnalités invitées pour lancer ce temps fort, ni de cocktail organisé. »

Déjà pénalisé par le mouvement des gilets jaunes, tout le commerce, et ses 3,6 millions de salariés, tousse désormais. Et le «plan Orsec» est enclenché pour pallier à l’effondrement des recettes. Les investissements marketing sont redimensionnés, notamment la publicité, mais des opérations plus stratégiques sont aussi stoppées brutalement. La convention annuelle de l’enseignement d’ameublement But, par exemple, qui devait réunir cette semaine 800 fournisseurs et vendeurs pendant 5 jours, à l’hippodrome de Vincennes, est annulée. Elle est reportée en juillet. Quant à James Dyson, qui devait présenter le 12 mars, une nouvelle technologie beauté, devant 400 médias du monde entier au Carreau du Temple, à Paris, il a préféré faire le show, finalement, en vidéo live. À distance.

« On observe depuis le passage en stade 2, le 29 février, une accélération rapide de la baisse de fréquentation et des chiffres d’affaires sur l’ensemble du territoire, écrivent dans un communiqué daté du 6 mars cinq grandes fédérations de la distribution. Aussi bien dans les magasins implantés dans les grandes villes que dans des zones plus rurales. Dans les zones touristiques et celles directement impactées par le virus, cette baisse entraîne déjà des fermetures partielles ou totales de magasins. » Et le pire reste à venir. « Nous nous attendons à un choc d’activité dans les 15 prochains jours », a indiqué Yohann Petiot, le directeur général de l’Alliance du commerce. 

Il réclame aux bailleurs, comme les foncières des centres commerciaux, d’ajuster les loyers aux baisses de recettes. Sans succès pour l’instant. Côté salaires, le principal poste de dépenses dans le commerce et les services, les entreprises confrontées à des difficultés pourront demander le report des charges sociales par simple envoi d’un mail. Et des dégrèvements d’impôts directs pourront être décidés au cas par cas pour les entreprises menacées de disparition. De même, le dispositif de chômage partiel sera renforcé.

Restauration et Hôtellerie

La restauration devrait aussi y avoir recours. Le traiteur parisien Té (2 000 salariés) qui gère le pavillon Elysée sur les Champs Elysées, et qui organise des événements au Palais des Congrès, à la Seine Musicale et à la Maison de la Radio, a vu s’envoler un million d’euros de chiffre d’affaires à cause des annulations en deux semaines. « Nous avons fait une demande de chômage partiel pour nos salariés », explique Jean-Marc Borello, le président du Groupe SOS, propriétaire de Té. L’un de ses concurrents parisiens témoigne sous couvert d’anonymat : « Nous avons enregistré tellement d’annulations que nous envisageons de licencier nos salariés et d’assurer les quelques prestations sauvées avec des extras, les clients ne verront pas de différence. La marque restera présente. »

L

e groupe hôtelier Hyatt qui a ouvert ou repris plusieurs hôtels en France ces derniers mois dont le Martinez à Cannes et l’hôtel du Louvre à Paris a vu son activité baisser de 20 %. « C’est l’occasion pour nous de faire la preuve de notre philosophie de bienveillance à l’égard de nos clients, positive Michel Morauw, le directeur général de Hyatt France. Nous remboursons les annulations qui ne peuvent être reportées. » 

De son côté, Costa Croisières lance une opération commerciale sans précédent avec l’annulation sans frais et une réduction de 50 % sur le deuxième passager pour ceux qui réservent avec le 1er mai. Quant au Club Med, il a préféré réduire ses spots publicitaires en attendant des jours meilleurs. Le slogan de sa nouvelle campagne, intitulée « Revenez avec bien plus que des souvenirs », sonnant particulièrement faux.

Transport 

Pourtant habitué aux crises, le transport aérien n’a jamais un tel trou d’air. Pour Alexandre de Juniac, le directeur général de l’Association internationale du transport aérien, « la situation qui résulte du Covid-19 est presque sans précédent. 

En un peu plus de deux mois, les perspectives du secteur dans la plupart des régions du monde se sont radicalement assombries ». Selon lui, le manque à gagner pour les compagnies pourrait atteindre jusqu’à 113 milliards de dollars cette année en raison de l’épidémie. Le scénario le plus critique représente une baisse de 19 % des revenus mondiaux du transport aérien de passagers.

À Air-France-KLM, l’impact de la baisse du trafic est désormais évalué à près de 200 millions d’euros. Faute de passagers, la compagnie franco-néerlandaise a dû abaisser ses capacités de 25 % sur l’Europe et « de plus de 50 % sur l’Italie », selon un porte-parole. Les vols domestiques ne sont pas épargnés, avec une voilure réduite de 17 %, notamment sur les navettes dont les fréquences sont moins nombreuses. 

Quant au long courrier, outre la Chine continentale à l’arrêt, la compagnie va également suspendre les liaisons vers Hong Kong et Taipei.Dans ce contexte, l’heure est aux économies : si la direction n’envisage pas comme Lufthansa ou Emirates de demander aux salariés qu’ils prennent des congés sans solde, l’utilisation des jours de RTT ou du compte épargne temps est recommandée sur la base du volontariat. Par ailleurs, tous les nouveaux investissements, notamment de marketing « hormis ceux liés aux opérations et à la sécurité » sont suspendus.

Même la SNCF est sévèrement impactée avec une baisse des ventes de 10 à 20 %, selon les destinations, principalement pour des voyages en mars. « Ayant constaté un ralentissement en mai et juin dans le courant de la semaine dernière, nous avons pris l’initiative de rassurer nos clients dans le cadre de la préparation de leur voyage avec des mesures exceptionnelles d’après-vente lundi 9 mars », explique un cadre. Jusqu’au 30 avril, les frais d’échanges et de remboursements des billets TGV INOUI, INTERCITÉS et OUIGO sont gratuits. Cette mesure s’applique également aux trains TER en correspondance.

Dans son domaine, Jean-Charles Decaux, patron du célèbre afficheur, constatait pour sa part sur BFM Business : « Aujourd’hui il y a moins de monde dans les métros de Pékin ou de Shanghai, autour de 1,5 million – 2 millions au lieu de 14 millions » en temps normal. Le groupe, qui a remporté l’an dernier le marché de la publicité sur les bus de Wuhan, tente de limiter les dégâts en consentant des ajustements tarifaires aux annonceurs et en obtenant des réductions de loyer pour sa part. JCDecaux anticipe toutefois une baisse de 10 % de chiffre d’affaires au premier trimestre.

Industrie

Les entreprises françaises continuent ainsi de faire leurs comptes sur ces répercussions de leurs business en Asie. 

Le groupe pharmaceutique Servier, a certes repris courant février son activité à 100 % en Chine, son premier marché au monde, « avec des plans de production tels qu’ils avaient été définis avant la crise », assure Gilles Belloir, directeur des opérations industrielles du groupe. En revanche, l’inauguration et la mise en service d’une extension à son usine de Tianjin, initialement prévue début juin, sera vraisemblablement repoussée à la rentrée. « Non pas en raison de nos retards, mais de ceux de certains de nos fournisseurs européens qui ont arrêté ou suspendu leurs livraisons vers la Chine », détaille le responsable.

Les entreprises françaises s’organisent aussi désormais sur le territoire national : annulation d’une convention ressources humaines chez Renault ; équipement du personnel en ordinateurs portables pour basculer sur le télétravail chez Servier ; filtrage des entrées chez Air Liquide, avec une fiche coronavirus à remplir par les visiteurs ; interdiction de toutes les réunions internes, dans des espaces fermés, de plus de 50 personnes chez Total…

Le coronavirus a certes ainsi raison d’une autre épidémie, la réunionite. Mais des rencontres plus opérationnelles passent également à la trappe. 

« On sent bien qu’avec ce mode de fonctionnement à distance, on va perdre en fluidité dans les décisions », relève pour sa part un cadre d’un grand énergéticien. Ce dernier réfléchit à allonger les délais pour un appel d’offre en cours, en matière de big data. Il devait boucler le projet avant l’été. « Mais sans doute vaut-il mieux prendre des marges, estime-t-il. Que se passerait-il en effet si l’une des personnes ressource sur ce dossier était touchée par le coronavirus, que cela soit de notre côté ou du côté des sociétés qui candidatent ? »

Dans l’Est, la direction du Crédit Mutuel Alliance fédérale a annulé la sacro-sainte tournée des chefs d’agences et des directions régionales, qui permet les remontées de terrain essentielles dans cette période agitée pour la banque de détail. Visio-conférences et échanges téléphoniques remplaceront les déjeuner sans fin et les longs débats : un rude coup porté à la culture mutualiste !

Spectacle

Enfin, le monde du spectacle retient son souffle. « Paradoxalement, les théâtres ont fait de bonnes recettes le week-end des 7 et 8 mars, car les réservations étaient faites depuis longtemps et qu’il n’était pas possible de rembourser les billets, témoigne Jean-Marc Dumontet, à la tête de plusieurs salles parisiennes. Mais le rythme de réservation a chuté brutalement d’au moins 30 %. 

Nous savons déjà que nous aurons des semaines très difficiles. » Alors le directeur de Bobino, le Point Virgule, le Théatre Libre et le Théâtre Antoine a décidé de multiplier les interventions dans les médias et a adressé une newsletter spéciale à l’ensemble de son fichier clients qui compte un million de contacts. Son message : « N’ajoutons pas une crise économique à la crise sanitaire ! » Pas sûr que cela suffise à convaincre le public mais cet ami du couple Macron a fortement apprécié la venue de Brigitte et Emmanuel, le 6 mars à la pièce jouée par François Berléand et François-Xavier Demaison, « Par le bout du nez ».