Le gouvernement entre un budget des moyens et un budget-programme

Selon toute vraisemblance, la RDC ne migrera pas vers un budget-programme en 2019. Les 14 institutions dont des ministères qui devraient servir de cadres-pilotes pour la gestion de budgets de résultats en 2018 marquent les pas. C’est dire qu’en septembre prochain, ça sera encore un budget dit des moyens.

À DÉFAUT d’un budget pluriannuel, la République démocratique du Congo devrait au moins se doter d’un budget-programme pour l’exercice 2019, selon le chronogramme établi par la loi de finances publiques (LOFIP). Le gouvernement devrait alors présenter en septembre 2018 ce budget d’un genre nouveau devant les deux chambres du Parlement. 

Mais au préalable, certains ministères, services publics, provinces et entités territoriales décentralisées (ETD) devraient s’appliquer à la gestion des budgets des résultats dans le cadre du budget 2018. Cette démarche de performance aurait déjà dû s’étendre à l’ensemble de ministères et institutions, afin de présenter in fine le budget programme à partir l’exercice 2019 comme l’exige la LOFIP.

Le budget-programme désigne un mode de présentation des crédits budgétaires consistant à regrouper les actions d’un même ministère par programme en rapprochant pour chacun d’eux les crédits de toutes natures et les résultats physiques ou financiers attendus, le tout étant complété par une projection indicative portant sur plusieurs années (budget pluriannuel).

Gestion axées sur les résultats 

En RDC, il a été établi qu’après l’administration centrale, un mécanisme d’accompagnement et d’assistance technique aux provinces et ETD sera actionné pour les appuyer à la mise en place des outils de budgétisation par programme à chaque niveau de pouvoir. Hélas, à fin-juin, même les institutions qui devraient servir de tests piétinaient encore pour déclencher le processus. 

Pour l’exercice 2018, les institutions ci-après ont, en effet, été sélectionnées : la Santé, l’Enseignement primaire et secondaire, l’Enseignement technique et professionnel, l’Agriculture, le Développement rural, les Mines, les Hydrocarbures, les Transports et Voies de Communication, la Fonction publique, le Genre, Famille et Enfants, les Hydrocarbures, la Chancellerie des Ordres nationaux, la Cour des Comptes ainsi que les Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction. 

La démarche consiste, en pratique, à instaurer la gestion axée sur les résultats, par la mise en place des cadres de performance dans les ministères et institutions, à travers les projets annuels de performance (PAP), qui ont été conçus pour mieux rendre compte de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique. Le projet annuel de performance décline par programme, la stratégie sectorielle, les objectifs poursuivis, les actions, les coûts associés, les indicateurs, les cibles et les résultats attendus. Il est annexé au projet de loi de finances de l’année pour une meilleure analyse des crédits budgétaires.

Projets et rapports annuels

L’évaluation des PAP devrait donner lieu en 2019 aux rapports annuels de performance (RAP) par programme, annexés au projet de loi portant reddition des comptes. Pour l’exercice 2018, les PAP de 13 secteurs pilotes présentés dans le document « Projets annuels de performance des secteurs pilotes pour l’exercice 2018 » du ministère du Budget, s’inscrivent dans le cadre d’un budget à blanc en mode programme afin d’accompagner, à titre informatif, le projet de loi de finances 2018 et de familiariser députés et sénateurs ainsi que l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion des finances publiques à la nouvelle démarche de gestion axée sur les résultats. 

Hélas, même les chambres parlementaires ont été en déphasage avec la nouvelle (future) procédure d’élaboration du budget. Pourtant, lors du séminaire d’orientation budgétaire 2019 -qui constitue en pratique la première étape de l’élaboration du budget-, un expert du ministère du Budget s’est appesantie sur la gestion axée sur les résultats (GAR) qu’elle a vantée comme étant un système de gestion qui s’appuie sur le cycle de vie d’un programme ou d’un projet. Qu’elle intègre les stratégies, les personnes, les ressources, les processus et les outils de mesure pour améliorer la prise de décisions, la transparence et la reddition des comptes. 

La gestion axée sur les résultats est, en pratique, a-t-il fait comprendre, un outil employé pour améliorer l’efficacité et les pratiques relatives à l’obligation de rendre compte en matière de projets et d’organisations, en mettant l’accent sur l’atteinte de résultats concrets et réalistes. Elle repose sur une comptabilité clairement définie des résultats, et prévoit un suivi systématique, une autoévaluation et l’établissement de rapports sur les progrès accomplis. 

Cinq ans d’apprentissage pour rien.

Pour concrétiser cette exigence, le gouvernement effectue depuis 2014, avec le concours des partenaires techniques et financiers, des séminaires de formation, des travaux de structuration des programmes et diverses actions dans différents secteurs en vue d’assurer la migration du budget des moyens vers les budgets-programmes avec une gestion axée sur les résultats, pour la mise en œuvre des politiques publiques.

À cet effet, la nouvelle nomenclature budgétaire, édition 2015, a réservé quatre positions numériques pour la classification programmatique, en vue de codifier les programmes et les actions y afférentes. Les rapports annuels de performance devraient, en effet, rendre compte pour chaque programme, de l’exécution des engagements pris dans les PAP. Ils présentent et expliquent les réalisations effectives de l’ensemble des moyens alloués à un programme et permettent d’apprécier la qualité de la gestion des politiques publiques. 

Hélas, la RDC n’est visiblement pas prête pour migrer en 2019 de budget au budget-programme. En témoigne l’exécution du budget 2018 du ministère des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction. Ce ministère compte, en effet, parmi les institutions-pilotes en vue de la gestion du budget des résultats.  

Sur papier, la politique du gouvernement dans le secteur des infrastructures et travaux publics, pour la période 2018-2020, vise à développer un système intégré de transport multimodal performant, à construire, réhabiliter et rentabiliser les routes d’intérêt général et des voiries urbaines et à aménager des espaces ainsi qu’assainir les bâtiments et édifices publics. 

Le gouvernement s’est, en effet, engagé à construire et réhabiliter des routes d’intérêt général dans les villes de Matadi, Kindu, Bukavu, Mbandaka, Kikwit et Kalemie. Aussi entend-il poursuivre le projet de construction des logements sociaux. Mais les ITPR ne disposent pas d’un document de stratégies sectorielles sur lesquels devraient se fonder les projets suscités. « L’absence d’un document de politique sectorielle aux ITPR ne favorise pas la GAR qui est la condition sine qua non pour le basculement vers le budget programme prévu en 2019 », lit-on dans un rapport du REGED (Réseau gouvernance économique et démocratie). 

Il se constate, par ailleurs, la baisse du budget des ITPR de 14 % en 2017 à 4,5 % en 2018. La grande partie de cette enveloppe, soit 52 % provient des ressources extérieures. « Le fait que le budget 2018 des ITPR soit largement tributaire des partenaires techniques et financiers constitue un risque de non-exécution au cas où les partenaires ne libéraient pas les fonds prévus. Aussi faut-il renseigner que le taux d’exécution de la rubrique investissement sur ressources extérieures est resté faible, soit 2,6 % en 2017 »,…

commente cet expert de l’Observatoire de la dépense publique. 

Dans la rubrique « Subvention aux organismes auxiliaires », force est de constater qu’une très faible allocation (0,3 %) est accordée aux services techniques du ministère tel que le Bureau d’études et d’aménagement urbain (BEAU), l’Office des Routes (OR), l’Office des voiries et drainage (OVD), le Bureau technique de contrôle (BTC), etc. Conclusion du REGED : la modicité du budget alloué aux ITPR ne permet pas aux services sectoriels de réaliser les actions prévues. Par exemple, l’OVD envisageait de réhabiliter 5 km de voirie dans chaque province et 10 km à Kinshasa. 

Toujours à Kinshasa, l’OVD comptait procéder au curage de 18 rivières. Ces travaux tels que planifiés devait coûter 2 millions de dollars par km avec un coût total de 270 millions de dollars. Mais en comparant les crédits prévus dans la rubrique investissement sur transfert aux provinces (106 554 056 288 FC), il se dégage un coût de 58 772 231,81 dollars, ce qui est quatre fois inférieur au coût prévu par l’OVD et ne permettra d’améliorer les voiries urbaines, tant dans la capitale que dans les agglomérations de l’arrière-pays. 

Par ailleurs, d’autres projets du gouvernement dans le domaine du génie-civil accusent des contradictions sur le plan de leur financement. Le gouvernement s’est engagé à construire deux ponts courant 2018, à savoir Iyanza-Bazimba et Mbongo/Nzalimboka au coût de 350 000 000 FC chacun, indique le gouvernement dans le document « Annexe explicative d’analyse des prévisions des dépenses du projet de loi de finances 2018 ».

Projets sans financement

Mais dans le Cadre budgétaire à moyen terme 2018-2020, seul le projet Iyanza-Bazimba y est repris avec un coût de 700 000 000 FC. Les crédits prévus sur la ligne « construction des routes et pistes, aéroports, ports et rails » évalués à 475 000 000 FC, soit 245 000 dollars, non seulement qu’ils n’ont pas encore connu un début de décaissement mais ne cadrent pas également avec le principe de GAR car trop modiques, notent des experts. Si le gouvernement exprime dans le CBMT la volonté de poursuivre à travers les ITPR le projet de construction des logements sociaux, la Société civile constate cependant qu’aucune ligne budgétaire n’est prévue pour financer cette politique. Le budget accordé aux ITPR, soit 402 045 884 276 FC, ne représente que 42 % des besoins réels sollicités par le ministère qui sont de l’ordre de l’ordre de 951 948 440 499 FC. 

Ce qui prouve à suffisance que le gouvernement a plutôt fait le budget des moyens que des résultats. Ce qui laisse transparaître une certaine désinvolture dans la gestion de la chose publique. Aucune province n’est prise en compte dans la rubrique « investissement sur transfert aux provinces et ETD » en dehors de la province du Haut-Katanga. 

Pourtant, dans le CBMT, le gouvernement compte plutôt construire et réhabiliter des routes d’intérêt général dans les villes de Matadi, Kindu, Bukavu, Mbandaka, Kikwit et Kalemie. La prise en compte de construction et réhabilitation des routes d’intérêt général traduit pour la société civile une volonté politique de mettre en œuvre l’Objectif pour le développement durable (ODD) n°9 qui recommande de « bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation soutenable qui profite à tous et encourager l’innovation ». Cette infrastructure de qualité, fiable, durable et résiliente couplée à une infrastructure régionale et transfrontalière doit favoriser le développement économique et le bien être humain, en mettant l’accent sur un accès universel, à un coût abordable et dans les conditions d’équité, note le REGED. 

Mais le taux d’exécution du budget des ITPR est resté faible, soit 5,4 % seulement en 2017 et moins de 2 % à fin juin 2018. La part budgétaire du secteur des infrastructures de la RDC (402 045 884 276 FC, soit 221 757 244,44 dollars) est de loin inférieure à celles de beaucoup de pays africains pourtant moins étendus. La Côte d’Ivoire a alloué, en 2018, sur un budget global de 8 723,5 milliards, un montant de 2 043 milliards de FCFA, soit 30 % du budget global. Le Cameroun a prévu, sur un budget global de 4 513 5 milliards de FCFA, un montant de 325 969 millions de FCFA, soit 7,2 % du budget global. Et le Rwanda alloue sur un budget global de 2,5 milliards de dollars, un montant de 170 000 000 dollars, soit 6,8 % du budget global.  

Lors du Séminaire d’orientation budgétaire 2019 qui s’est tenu fin juin 2018 à Kinshasa, des experts ont notamment déploré le fait que des attributions officiellement reconnues au secteur des infrastructures, travaux publics, reconstruction continuaient à lui échapper. Il s’agit notamment de conception, construction, modernisation, développement, aménagement et entretien des infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, ferroviaires, hydroélectriques non concédées. 

Ou encore des infrastructures sanitaires, sociales, scolaires et sportives et des bâtiments et des édifices publics en collaboration avec les ministères sectoriels concernés par le projet d’infrastructures. Ce faisant la société civile note une faible volonté du gouvernement à booster réellement le secteur des infrastructures et à adopter effectivement la gestion axée sur les résultats.