Le gouvernement fait fi des pressions des environnementalistes

Une zone d’intérêt pétrolier sera déclassée par décret dans les parcs nationaux des Virunga et de la Salonga. La décision avait été prise en conseil des ministres le 18 juin mais elle n’a été rendue publique que le 29 juin dernier. La ZIP en question concerne 172 075 ha du parc des Virunga, soit 21,5 % de sa superficie, et rien n’a été signalé à propos du parc de la Salonga.

Les raisons économiques passent avant toute chose. Les États le savent. Sous le prétexte de la « raison d’État », de l’« intérêt public » et au nom de la « real politik », des montagnes, des cours d’eau ont été déplacés ; des forêts, des quartiers, des édifices ont été rasés pour laisser la place à des routes, chemins de fer et à des ouvrages d’intérêt public. Les exemples autour de nous sont légion. Ceux de ma génération savent qu’au début des années 1980, l’Hôpital Bonzola de la Minière de Bakwanga (MIBA) à Mbuji-Mayi a été délocalisé parce qu’une grosse gemme (diamant de grande valeur) avait été repéré sous l’édifice. Et nous en passons…

Ce ne sont donc pas les « gesticulations » de la société civile, encore moins les « pressions » des ONG pro environnement avec à leur tête Global Witness qui pouvaient mettre un arrêt au projet du gouvernement d’exploiter le pétrole enfoui dans les parcs nationaux. Et cela ne pouvait durer, analysent des observateurs. En effet, début 2018, Aimé Ngoy Mukena, le ministre des Hydrocarbures, avait déjà annoncé que l’arrivée de nouveaux producteurs pétroliers et la signature de nouveaux contrats cette année. Pour lui, la raison est simple : le gouvernement a l’intention de relancer la production pétrolière nationale. 

D’après les mêmes observateurs, que le gouvernement ait décidé d’officialiser son projet d’exploitation du pétrole dans les parcs naturels des Virunga (Nord-Kivu) et de la Salonga (Équateur, Centre du pays), ça n’est pas une surprise. Concrètement, le gouvernement a décidé de « déclasser » partiellement, par décret du 1ER Ministre, une zone d’intérêt pétrolier (ZIP) dans les deux sites naturels. Par déclassement, il faut comprendre « l’ensemble des opérations administratives et réglementaires destinées soit à classer une installation dans une catégorie inférieure, soit à en supprimer le classement initial ». Dans le cas d’espèce, expliquent ces observateurs, il est bien question de revenir sur le classement initial.

Ainsi, la ZIP projetée va s’étendre sur 172 075 ha du parc des Virunga, le plus ancien d’Afrique et classé au patrimoine mondial par l’Unesco, soit 21, 5 % de sa surface totale (7 800 km²). En ce qui concerne le parc de la Salonga, aucun chiffre n’est encore avancé. Est-ce une diversion ? Ou c’est parce qu’on ne dispose pas encore des données fiables sur les réserves dans ce parc. La décision de déclassement d’une ZIP a été approuvée en conseil des ministres du 18 juin mais rendue publique le 29 juin.

Au cours de la réunion et après délibérations, le ministre des Hydrocarbures a été « autorisé de constituer », avec le ministre de l’Environnement et du Développement durable, « une commission interministérielle ayant pour mission de préparer le dossier du bloc 2 (Salonga) ainsi que des bloc 4 et 5 du Graben Albertine (Virunga) à soumettre au conseil des ministre pour le déclassement par décret d’une ZIP dans les deux parcs. 

Pour rappel, le projet de ce déclassement partiel de ces deux sites naturels et touristiques de la République démocratique du Congo avait été ébruité par l’ONG Global Witness en mai. L’ONG avait demandé à cette occasion « l’arrêt » de ce projet en dénonçant « des conséquences catastrophiques » pour l’environnement. Dans son communiqué, Global Witness soulignait que « le parc de la Salonga abrite près de 40 % de la population mondiale de bonobos, tandis que celui des Virunga constitue un habitat vital pour de nombreuses espèces protégées, les hippopotames, les éléphants et certains des derniers gorilles des montagnes au monde.

Relance de la production

Le ministre des Hydrocarbures a fait savoir que dans le parc des Virunga, les réserves pétrolières sont estimées à 6 758 milliards de barils, soit des recettes additionnelles de l’ordre de 7 milliards de dollars. C’est en vue de l’émergence à l’horizon 2030 que le gouvernement avait prévu en 2012 de relancer et/ou, selon le cas, de développer les secteurs économiques clés (agriculture, énergie, mines, hydrocarbures et gaz, télécommunications et nouvelles technologies de l’information et de la communication, forêt, environnement et tourisme) et de les réformer afin d’améliorer leur contribution à la formation du Produit intérieur brut (PIB) et des revenus.

Dans le secteur des hydrocarbures et du gaz naturel, la RDC regorge d’énormes potentialités peu exploitées à ce jour. Selon Aimé Ngoy Mukena, « toutes les 26 provinces du pays sont minières et pétrolières, excepté deux provinces où les indices ne sont pas encore prouvés ». Depuis 1970, la production pétrolière nationale a officiellement oscillé entre 21 000 et 22 000 barils/jour. L’objectif du gouvernement est de porter de cette production à 30 000 barils/jour et d’entamer celle du gaz naturel dès cette année sur le lac Kivu. 

Le niveau actuel de la production nationale reste largement en-deçà des potentialités du pays, soit plus ou moins 1 million de barils/jour, voire plus, selon certains spécialistes. Le plan quinquennal 2012-2016, concocté par le gouvernement Matata Ponyo, prévoyait justement la relance non seulement de la production des hydrocarbures, mais aussi celle du gaz naturel et des biocarburants en vue de réduire le déficit énergétique actuel et favoriser la croissance. Il s’était fixé pour objectifs notamment d’accélérer la prospection, la cartographie et la mise en valeur de l’ensemble de bassins sédimentaires du pays (bassin côtier, bassin de la cuvette centrale, les Grabens Albertine, Semuliki, Tanganyika, Moero et Upemba) ; démarrer la production du gaz naturel par la mise en exploitation du gisement du lac Kivu; démarrer la production des biocarburants ; accroître les capacités de transformation en construisant notamment une raffinerie moderne à l’Ouest et en réalisant des études de faisabilité d’une autre à l’Est. 

Autres objectifs : améliorer le réseau de transport, de stockage et de distribution par la construction d’un réseau de gazoducs reliant les zones de production aux points d’exportation ainsi qu’un réseau national de pipe-lines ; améliorer l’approvisionnement du pays (surtout de l’arrière-pays) en produits pétroliers ; accélérer l’adoption et la promulgation du code des hydrocarbures (loi 15/012 du 1er août 2015) ; et restructurer les entreprises publiques du secteur des hydrocarbures. 

En 2012, les objectifs spécifiques ont été par ailleurs de porter le taux de production pétrolière de 25 000 barils/jour (en 2010) à 225 000 barils/jour (en 2014) et le taux d’approvisionnement en produits pétroliers de 70 % à 98 % ; accroître le volume du pétrole raffiné à 100 000 barils/jour en 2016. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement Matata entendait améliorer la gouvernance et la transparence dans ce secteur en mettant en place un cadre juridique approprié et en organisant un audit fonctionnel et financier des sociétés pétrolières installées en RDC. Il était question également d’accroître la production des hydrocarbures du bassin côtier atlantique, par la finalisation du dossier relatif aux frontières maritimes entre la RDC et l’Angola ; et du Graben Albertine, dont les contrats de partage de production (CPP) avaient déjà été approuvés ; mettre en valeur le gisement gazier du lac Kivu ; accroître le niveau des investissements publics et privés dans ce secteur…

Chacun peut faire le bilan de ce plan quinquennal pour sérier les objectifs qui ont été atteints et ceux qui ne l’ont pas été. Il restera toujours des raisons pour justifier ce bilan, certes. Mais il apparaît en filigrane que le système de dépendance aux ressources naturelles (système léopoldien) ne contribue pas à réduire la pauvreté dans le pays. Au contraire, ce système profite aux entreprises étrangères productrices et aussi à la minorité au pouvoir. D’où l’opacité des chiffres et les contrats léonins que dénoncent des associations de la société civile.