Les chefs d’État africains veulent donner un coup de fouet au projet Grand Inga

C’est officiel. Une réunion de haut niveau des dirigeants africains va se tenir sur l’hydroélectricité en RDC et sa connectivité. La conférence est prévue en deux temps : en juin et en septembre-octobre.

LES chefs d’État africains vont se pencher au cours de cette session sur « les opportunités actuelles et futures » du giga barrage hydroélectrique dénommé « Grand Inga » et sur comment « promouvoir tout le potentiel hydroélectrique » de la République démocratique du Congo, de manière à encourager les appels à manifestation d’intérêts pour l’énergie qui y sera produite. L’annonce de cette réunion de haut niveau a été faite en Conseil des ministres, le vendredi 12 juin, par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, lui-même. 

Pour donner une idée de l’envergure de l’ouvrage, Grand Inga (plus de 42 000 MW), c’est deux fois la production du barrage des Trois Gorges en Chine, plus de tiers de l’électricité totale produite actuellement en Afrique. C’est une constellation de six barrages (d’Inga III à Inga VIII) qui seront implantés dans la partie inférieure du fleuve Congo. En chiffres : la réalisation d’Inga III, c’est 10 000 emplois directs créés, +1.5 milliard de dollars de gain en impôts et taxes par an. Si le projet aboutit, Inga III deviendra la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique subsaharienne.

Il faut dire que des interrogations demeurent sur ce projet giga projet de production d’électricité. Pourquoi, malgré sa pertinence économique, Grand Inga n’attire-t-il pas des financements ? Pourquoi des experts et des opérateurs économiques, notamment miniers, préconisent-ils des « solutions dites intermédiaires », notamment les mini-centrales et les énergies renouvelables ? Selon des opérateurs miniers, approchés à Kolwezi, le marché de l’énergie de la RDC est très ouvert, parce qu’il y a déficit des producteurs. Mais le futur est dans la capacité de nouvelles unités de production, font-ils remarquer. C’est pourquoi, pensent certains spécialistes, il ne faudra pas abandonner la piste des micros centrales plus proches de l’exploitation minière. 

Une vision partagée

En mai 2018, le gouvernement avait organisé des assises nationales sur l’électricité en RDC. Pour quel objectif ? Deux ans après, c’est comme si rien ne s’était passé. Pourtant, depuis plus de deux décennies, le secteur de l’électricité en RDC est un casse-tête.  La loi de libéralisation du secteur de l’électricité (loi n°14/011 du 17 juin 2014, dont les mesures et les textes d’application existent déjà) patauge. L’opérateur public, la Société nationale d’électricité (SNEL), se trouve plombée par la réforme structurelle et d’énormes problèmes de gestion qui l’empêchent de jouer effectivement et pleinement son rôle de « bras armé » du gouvernement. En réalité, c’est une entreprise qui n’a plus sa raison d’être, parce que n’étant plus en capacité de rendre service comme il se doit. 

Par conséquent, le taux de desserte nationale en électricité atteint à peine 17,1 %, contre une moyenne africaine de 42 %. Seulement 2,5 % des 100 000 MW estimés du potentiel hydroélectrique sont exploités pour la production de l’électricité. Près de la moitié des équipements des centrales qui devaient fournir les 2 500 MW sont en panne ou en cours de réhabilitation. 

La décentralisation territoriale, la croissance démographique et l’augmentation de la demande de miniers en énergie ont accentué le déficit, obligeant le gouvernement à importer de l’électricité de la Zambie et de la République du Congo voisine. 

Pourtant, ces deux pays furent pendant de nombreuses années importatrices d’électricité de la RDC. Et n’ayons pas honte de le dire : la mauvaise gouvernance politique au pays, le manque d’études bancables et l’incapacité du pays à mobiliser des fonds importants dont a besoin ce secteur si stratégique pour le progrès du pays sont aussi à la base de la situation actuelle. 

Tous ces problèmes structurels et anachroniques, mis ensemble, rendent difficile la relance du secteur afin de lui faire jouer son rôle de moteur de développement et de relance économique. Dans tous les cas, il y a donc nécessité d’une politique énergétique « conséquente et volontariste » par rapport à l’objectif 2030. Sinon, les investissements privés ne viendront dans ce secteur. 

Les problèmes étant identifiés, il faut maintenant une « vision partagée » par l’ensemble des acteurs pour accélérer l’électrification du pays, voire de l’Afrique. Il faut des solutions concrètes pour la relance du secteur et des opportunités d’investissement, mettre en relation des partenaires potentiels, recommandent des spécialistes. Bref, il faut un nouveau départ.

En janvier dernier, à Abidjan, plusieurs perspectives ont été dégagées, dont la mise en place d’une équipe conjointe RDC-BAD. Celle-ci devrait travailler notamment sur un accord formel de développement d’Inga, une matrice détaillée et un calendrier de mise en œuvre de différentes actions. Et en février, un atelier était organisé à Kinshasa pour matérialiser ces perspectives. Eustache Muhanzi Mubembe, le ministre d’État, ministre des Ressources hydrauliques et de l’Électricité, avait sollicité du gouvernement le mandat de piloter ce grand projet intégrateur et continental. Celui-ci devra permettre à la RDC de « jouer un véritable rôle de moteur de développement du continent africain ». 

Le projet de réalisation du barrage Inga III, première phase de Grand Inga, est dans les tiroirs depuis des lustres. 

En réchauffant le projet, les nouvelles autorités du pays ont décidé de revoir à la baisse la capacité de la centrale hydroélectrique Inga III pour l’accroître plus tard. L’infrastructure aura initialement une puissance de 4 800 MW qui sera portée à 7 500 MW, puis à 11 000 MW éventuellement, avait annoncé le président Tshisekedi. 

Avec cette nouvelle option, il estime que le projet avancerait plus rapidement en procédant par étapes, étant donné l’urgence des besoins en énergie du pays et de la région. La grande partie de la production d’Inga III sera destinée à l’exportation vers l’Afrique du Sud (plus de 2 500 MW) et l’Angola (5 000 MW d’ici 2025), à l’alimentation des populations de la région (1 000 MW) et à l’approvisionnement de l’industrie minière du pays (1 000 MW). Coût de réalisation de l’infrastructure : environ 12 milliards de dollars. 

À propos de la construction de cet ouvrage, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. En 2013, la Banque africaine de développement (BAD) avait financé la réalisation d’une étude de faisabilité pour un barrage de 4 800 MW. Le gouvernement précédent avait décidé de lancer les travaux de construction en 2017. Suite à plusieurs développements, il demandera à un consortium sino-espagnol de soumettre une offre conjointe pour la construction de ce barrage. En novembre 2019, ce consortium avait soumis une offre portant la capacité de l’installation à 11 050 MW pour un coût de 14 milliards de dollars, et insistant sur la non-rentabilité du premier projet. Le projet revu et corrigé avait obtenu l’appui financier de la BAD, le chantier devant être ouvert à partir du premier trimestre de 2020, avait affirmé le président Tshisekedi. Le plan des activités est déjà réalisé.  

Pressions de tous bords

La BAD pousse les autorités congolaises à accélérer la réalisation d’Inga III, même si cela implique de revoir à la baisse la capacité d’installation prévue par les nouveaux développeurs. La BAD semble toujours prête à soutenir le projet malgré le désistement de la Banque mondiale en 2015. Un rapport publié en octobre 2019 par l’ONG Resource Matters et le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) révélait des tensions au sein du consortium. Selon Lambert Opula, le coordinateur des projets de l’Agence congolaise de développement économique (ADEC) et professeur d’entrepreneuriat, « la guerre des alternatives pour construire Inga III met sur la place publique la guerre des intérêts entre Occidentaux, les Américains en tête, et la Chine. Et d’autre part, la duplicité du couple Banque mondiale et BAD.