« On a fermé l’école qui est fondamentalement un établissement de proximité pour protéger nos enfants »

BEF : Comment vivez-vous le confinement dû à la pandémie de Covid-19 ?

SOW : Très difficilement, comme tout Congolais d’ailleurs! On nous impose aujourd’hui des nouvelles habitudes basées sur des restrictions et des interdits. Par exemple, ne plus se serrer la main, ne plus se promener sans masque… Mais avons-nous seulement le choix ? Je profite donc de votre journal pour lancer cette alerte à toutes les personnes qui continuent à douter de l’existence de cette maladie qui nous terrasse. Si les gens ne croient pas que la maladie existe, c’est qu’en amont il y a un problème. Selon une enquête de Target, environ 60 % des Congolais ne croient pas que la maladie existe. Voilà pourquoi nous dénonçons le raté en termes de stratégie de communication publique dédiée à la riposte. Nous disons que cette stratégie n’a pas été bien menée.

BEF : Que faire alors…

SOW : Nous pensons humblement qu’il faut décentraliser la gestion du Covid-19 au niveau des communes en s’appuyant sur les hommes de terrain. En communication, il y a ce qu’on appelle la théorie de confiance-crédibilité, c’est-à-dire la relation qui donne effet et impact au message que l’on apporte. Si je n’ai pas confiance en vous, comment voulez-vous que je croie en vous ? Demandons-nous qui livre le message sur la maladie à la population. Heureusement que l’état d’urgence sanitaire a permis de limiter les dégâts. Avec le concert des médecins, Muyembe, Munyangi et les autres chercheurs qui viendront, car du choc des idées jaillit la lumière, peut-être la solution au Covid-19 viendra de l’Afrique, comme le propose déjà Madagascar avec le Covid-Organics. C’est une piste à capitaliser.

BEF : Le débat se corse et les idées sont en l’air. Est-il possible de rouvrir l’école dans l’immédiat ?

SOW : On a fermé les écoles parce qu’il y a cette pandémie qui est suspendue sur nos têtes comme l’épée de Damoclès. C’est pour protéger, nous et nos enfants, l’avenir de demain de notre pays, que la mesure a été prise. Est-ce que ce danger n’existe plus ? Est-ce que nous devons vivre en mode résilience avec le virus en attendant que la solution soit trouvée ? Vivre avec le Covid-19, c’est mettre en place un ensemble des conditions pour parer à toute éventualité. Est-ce que ces conditions sont à notre portée ?

BEF : Oui ou non, faut-il rouvrir l’école ?

SOW : Je ne le pense pas pour deux raisons. D’abord, en termes de configuration de notre espace école, celle-ci est une école de proximité. Où les élèves sont ensemble, travaillent ensemble, apprennent le travail communautaire. Ils sont deux ou trois sur un même banc. L’enseignant dans sa pédagogie sillonne les rangées, et les enfants doivent passer devant à tout moment pour parler. 

Donc, on parle et on échange. Et la recréation est un moment de rencontre, de jeu et de plaisir entre enfants… Bref, l’école africaine telle qu’elle a été conçue n’a pas été préparée à faire face au Covid-19. Il ne suffit pas seulement d’avoir un sceau d’eau pour se laver les mains. La réalité est plus pédagogique qu’environnementale.

BEF : Et la seconde raison ?

SOW : C’est bien d’ouvrir l’école, qu’est-ce que l’on propose en contrepartie pour la santé de nos enfants ? Au point où nous en sommes, j’estime que l’année scolaire 2019-2020 appartient déjà au passé. 

BEF : Pourquoi ?

SOW : Les enfants ont passé deux trimestres presque pleins. Loin du débat purement politicien, nous proposons l’approche de péréquation comme méthode d’évaluation de nos élèves afin d’éviter une année blanche. Ce n’est pas juste de vouloir sacrifier à tout prix, au nom d’un certain projet politique, dans la guerre contre le Covid-19, sachant qu’ils en seront victimes. Nos enfants ne sont pas du bétail qu’on enverrait à l’abattoir. L’espace école représente un grand danger pour nos enfants face au Covid-19. 

BEF : En quoi consiste votre approche de péréquation comme solution ?

SOW : Notre approche consiste à capitaliser ce que les enfants ont eu comme résultat pendant les deux trimestres. C’est tout simplement une méthode d’analyse sur une même moyenne des éléments d’identité commune. Chaque trimestre est évalué sur un pourcentage (100 %). Par exemple, un enfant qui a obtenu 60/100 au premier trimestre et 70/100 au deuxième trimestre, on fera alors une péréquation pour couvrir le troisième trimestre.

BEF : Comment ?

SOW : Il est admis que l’enfant qui a une moyenne de 50/100 (50 %) n’a pas échoué. Pour cet enfant qui a fait 60/100 et 70/100, la différence sur chaque trimestre sera de 30 (60/2) et de 35 (70/2). La sommation des différences (30 et 35) sur une moyenne de 50 % constituera le résultat du troisième trimestre restant. De cette manière, l’enfant sera évalué sur base de ses propres résultats. Ça sera alors une évaluation de l’enseignant qui a accompagné les enfants dès le premier trimestre au dernier.

BEF : Un  directeur d’école confiait aux parents qu’après la première période du deuxième trimestre, il sait déjà quel enfant passera en classe supérieure…

SOW : Exactement ! Les trimestres sont cumulatifs et l’enseignement est continu. On sait avoir l’évaluation d’un élève dès le deuxième trimestre. C’est pourquoi, au lieu d’envoyer maintenant nos enfants à l’école, on peut les évaluer dans les conditions pédagogiques requises, et donc légales. À l’université, on applique d’ailleurs la péréquation. 

BEF : Dans l’hypothèse d’une reprise des cours décidée par le gouvernement, quels seraient les préalables à votre avis ?

SOW : D’emblée, rouvrir l’école aujourd’hui dans les conditions du Covid-19 serait une décision suicidaire, meurtrière, impopulaire et irresponsable. Ce serait même une cassure entre la population qui vit au jour le jour dans des conditions exécrables.

BEF : Quelle est la réalité de l’école congolaise en tant que promoteur d’école ?

SOW : Ne nous voilons pas la face, l’école congolaise ne réunit pas encore les conditions sanitaires, pourtant élémentaires, pour un établissement scolaire. Allez voir les toilettes dans certaines écoles de Kinshasa… les enfants font le petit tout comme le grand besoin derrière les arbres. Les enseignants, eux-mêmes, prennent leur pause sous le manguier. Et avec le Covid-19, les écoles vont se transformer en mouroir. Rouvrir les écoles, nous disons NON avec tout l’amour de l’école. Nous avons en place un projet qui sauve l’école et il n’est pas question de la sacrifier sur l’autel des intérêts politiciens égoïstes. Un enseignant du collège JeuneZevieux a lancé la boutade suivante : « Cette année, ce n’est pas nous qui quittons l’école, c’est l’école qui nous quitte ».

BEF : Cela veut dire quoi ?

SOW : Nous voulons bien que l’école reste, mais elle est entrain de partir… Que faisons-nous alors pour la sauver, surtout en termes de qualité ? Quitte donc à mettre en place un programme spécial de récupération pour l’année suivante au cours du premier trimestre. L’Examen d’État (baccalauréat) et le TENAFEP (certificat du primaire) peuvent être organisés plus tard. On pourrait s’inspirer de la CENI qui a décalé les élections à Yumbi pour cause de violences ethniques et Beni pour cause de pandémie de fièvre Ebola.

BEF : Enverrez-vous vos enfants à l’école dans les conditions du moment ?

SOW : Non. Nous évaluerons les élèves du collège JeuneZevieux sur la base des trimestres et des résultats des enfants que nous opposerons aux conditions du Covid-19. Comment apprendre à un enfant de la maternelle qui sait à peine marcher, de se couvrir le nez…