Jean-Serge Onyumbe Wedi : « Rouvrir l’école serait une mesure meurtrière et irresponsable »

Le mois passé à la prison de Makala l’a assagi. Injustement cité dans une affaire de faux et usage de faux par un collaborateur de service, le coordonnateur de l’ASBL JeuneZevieux a néanmoins perdu son emploi à la BCDC après douze ans des bons et loyaux services. C’est un Onyumbe relooké : il a laissé pousser les cheveux et la barbe, confinement oblige, qui nous parle de l’avenir de l’école !

CELUI qui est devenu le premier à initier une école privée à scolarité gratuite en République démocratique du Congo, a maintenant le temps de s’occuper un peu plus de son organisation JeuneZevieux. Active sur le terrain du développement social, cette ASBL cherche à réformer pour apporter quelque chose de nouveau et de bon dans l’encadrement des jeunes et des vieux. C’est pour cela d’ailleurs que cette organisation vient d’être « bonifiée » du prix de « Meilleur ambassadeur du social et du développement », lui décerné par Maxi Agency. 

Cette dernière réalise, depuis plusieurs années déjà, des « enquêtes minutieuses de terrain ». En guise d’enquête, Maxi Agency fait le monitoring des actions communautaires et de développement. Cette année donc, elle a porté son choix sur l’ASBL JeuneZeVieux, comme « étant la première organisation sociale dans le pays à avoir mis en place une école privée à scolarisation gratuite, accueillant pour la première année 600 enfants congolais à Kinshasa ». Jean Serge Onyumbe Wedi qui en est le coordonnateur nous fait une synthèse pédagogique pour le moins pertinente sur le sort de l’année scolaire 2019-2020 interrompue brutalement par la pandémie de Covid-19.

Business et Finances : Que représente pour vous ce prix de mérite ? 

Jean-Serge Onyumbe Wedi : Ce prix est pour nous une marque de reconnaissance. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre d’années, dit-on. L’ASBL JeuneZevieux n’est pas que l’école gratuite mais à côté de cette initiative inédite, nous avons aussi toute une batterie de bonnes actions ou de projets d’encadrement et d’accompagnement des jeunes et des vieux. C’est donc tout l’ensemble de ces bonnes actions que Maxi Agency a voulu reconnaître. Je profite de votre tribune pour témoigner encore à cette structure notre profonde gratitude car ce prix nous motive à faire plus et mieux dans l’avenir.

BEF : Avouons-le, votre initiative, inédite dans un secteur où l’éducation est payante et souvent à fort prix, est quand même audacieuse. 

SOW : C’est vrai que nous avons vraiment osé, c’est un pari fou aux yeux du citoyen lambda. Mais nous avons osé quand même. Je vous dirais d’emblée que le plus difficile dans toute œuvre humaine, c’est de commencer car vous ne savez pas où poser le pied. Le reste fait donc partie d’une logique d’action, d’enchaînement et de synergie. Laissez-moi vous dire qu’il nous a fallu deux motivations pour réaliser ce projet. 

La première, c’est avoir des hommes et des femmes qui adhèrent au projet et qui y croient. L’école n’est pas qu’un ensemble des bâtiments, équipements et matériels didactiques, c’est aussi un personnel qualifié. Ayant alors trouvé des hommes et des femmes qui ont accepté le projet, la seconde motivation a été de chercher les moyens. Nous avons eu la chance de bénéficier de l’accompagnement de certaines sociétés et banques, notamment la Rawbank, la Banque Commerciale Du Congo (BCDC), Yambo ainsi que de plusieurs autres sociétés. 

Je n’oublie pas des hommes de bonne volonté qui n’ont pas hésité à mettre la main à la poche. Grâce donc au soutien de toutes ces personnes morales et physiques, nous avons pu réhabiliter le bâtiment, acheter les équipements (bancs et autres) et matériels didactiques, payer les salaires des personnels enseignant et administratif ainsi que le loyer.

BEF : Sans la soirée de charité à l’hôtel Sultani, cet accompagnement n’aurait pas été possible pour réaliser le projet… 

SOW : Nous remercions encore une fois les responsables de l’hôtel Sultani qui nous ont offert gracieusement leur salle des banquets pour mettre en valeur notre projet, mais aussi toutes les personnes et les sociétés qui ont daigné répondre à notre appel en faveur du collège JeuneZevieux. Nous espérons vivement que l’élan de solidarité qui s’est manifesté lors de cette soirée, va se poursuivre davantage pour que nous ayons l’année prochaine un soutien fort et plus consistant pour faire fonctionner l’école.

BEF : Quels enseignements en tirez-vous après deux trimestres de fonctionnement ?

SOW : Je dirais que le premier ingrédient qui a conditionné la réussite du projet, c’est la collaboration. Le second ingrédient, c’est la volonté. Quand on veut, on peut vraiment. Nous sommes aujourd’hui un cas d’école dans notre pays, c’est-à-dire nous avons montré qu’il est possible en RDC d’avoir l’effectif zéro illettré si tout le monde se concentre sur cet objectif. 

C’est cela en fait notre élan, notre idéal : mettre en place un modèle d’école qui permet la scolarisation de nos enfants, du moins gratuitement, sinon à faible coût à la portée de toutes les bourses. Tout est déficit dans notre pays. Ce que nous faisons, c’est appuyer l’État à travers un partenariat public-privé. Nous avons estimé que les privés peuvent aussi accompagner les pouvoirs publics dans le projet de la gratuité scolaire dans le primaire.

BEF : Comment les élèves et les parents ont-ils accueilli le projet ?

SOW : Il faut aller sur place pour appréhender la quintessence du bienfait de ce projet d’école dans la société où il est réalisé. Ce projet d’école privée à scolarité gratuite est une réponse à un besoin précis : l’éducation des enfants, un vrai casse-tête pour de nombreux parents. 

Rien que pour la première année, nous avons reçu 600 enfants ! Vous n’imaginez pas l’engouement des familles, là où l’école est implantée, dans la commune de Ngiri-Ngiri, pour inscrire leurs enfants. Il y a des enfants qui viennent aussi des environs : les communes de Bumbu, Makala et Selembao. Les 600 familles qui ont pu obtenir l’inscription disent aujourd’hui : « Grâce à l’ASBL JeuneZevieux, nous avons pu scolariser nos enfants. » Un enfant scolarisé, c’est un avenir sauvé. Un enfant scolarisé, c’est une famille qui est à l’abri de beaucoup de soucis : le banditisme, la drogue, la prostitution… L’éducation, c’est la matrice de la formation de l’homme congolais. 

BEF : Quand vous passez dans les rues de ces communes, les parents d’élèves vous disent quoi ?

SOW : Oh ! (rire). Beaucoup n’en croient pas leurs yeux quand on me leur présente comme le ferrailleur de cette école à scolarité gratuite, vu mon jeune âge et mon physique d’athlète. C’est dire que je suis très ému, quand tous ces parents manquent des mots forts pour me remercier ou m’encourager. Ils disent tout simplement : merci.

BEF : Vous pouvez rassurer tous ces 600 enfants et leurs parents que le projet va perdurer…

SOW : Le projet va demeurer, mieux il doit nous survivre. Une autre génération va prendre la relève après nous. C’est cela la philosophie JeuneZevieux, à savoir la mutualisation des expériences entre jeunes et vieux. Chez nous, la devise est : passage de flambeau intergénérationnel. Demain se prépare aujourd’hui, voire maintenant. Il faudra donc que d’autres jeunes autour de nous prennent demain la relève pour faire pérenniser ce projet. Et peut-être le prochain coordonnateur de l’ASBL sera un élève de notre école.