Quelle alternative pour sauver l’école

Vers une reprise des cours dans le primaire et le secondaire ? Tout porte à le croire. Le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique en fait même une fixation sous prétexte d’éviter au pays une année blanche. Mais les associations de promotion de l’éducation disent : pas à n’importe quelle condition. Et les parents d’élèves soulignent qu’ils ne sont pas prêts à les envoyer maintenant à l’école.

WILLY Bakonga Wilima, le ministre d’État, ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique (EPST), a soumis, le 14 mai dernier, l’idée à une réflexion des acteurs et des partenaires techniques et financiers du secteur de l’éducation. Il a devancé tout le monde en annonçant « une reprise progressive des cours pour les classes terminales dans les zones touchées par la pandémie de Covid-19 » mais aussi pour une reprise intégrale dans les provinces non encore touchées par la pandémie, dans « le strict respect des mesures d’hygiène et des gestes barrières ». En attendant, le ministère de l’EPST a mis en place un programme spécial dénommé « Télé École » sur les antennes de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC), en partenariat avec l’UNICEF, en vue de permettre aux élèves de poursuivre leur apprentissage. 

Les écoles ont été fermées le 19 mars dernier à la suite de l’état d’urgence sanitaire décrété dans le pays pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Par deux fois, Willy Bakonga s’est rendu à l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) où est logé le secrétariat technique de riposte au Covid-19, pour s’enquérir de l’éventualité de la réouverture des écoles. Le ministre de l’EPST tient à tout prix à respecter les exigences de l’UNESCO en la matière. Avant la fermeture des écoles, il ne restait que 30 jours pour totaliser les 180 jours des cours recommandés par l’organisation onusienne afin de valider l’année scolaire 2019-2020. 

La réflexion du 14 mai a été convoquée pour analyser, ensemble, le plan sous-sectoriel de l’EPST de riposte au Covid-19 et les préalables à la reprise des cours. Il semble que c’est à l’unanimité que les participants à ce débat ont levé l’option d’« une reprise progressive qui ne concernera que les provinces non touchées par la pandémie », fait remarquer l’un d’eux. Et que « les propositions retenues devraient être présentées d’abord au 1ER Ministre, puis au président de la République pour la décision finale ».

Il semble aussi qu’au cours de cette réunion, les participants ont été informés que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, est favorable à la reprise des cours, pourvu que cela soit soumis à « l’avis préalable du comité technique de la riposte au Covid-19 » et que ce dernier a déjà donné cet avis favorable ». Les organisations de promotion de l’éducation auraient insisté sur « le respect du droit à la santé », ayant poussé le gouvernement à prendre la mesure exceptionnelles de fermeture (cas de force majeure). 

Des craintes quand même

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelait tous les gouvernements à « prendre des mesures urgentes et agressives pour enrayer la propagation de la pandémie de Covid-19 ». Et deux mois après, l’organisation onusienne a annoncé les précautions à prendre pour la réouverture des écoles à travers le monde. L’OMS demande aux établissements scolaires de « fournir suffisamment des gels hydroalcooliques et de mettre des dispositifs de lave-mains à l’entrée ainsi que dans les coins et recoins de l’école ». Il s’agit de « prévoir aussi un nettoyage quotidien régulier de l’environnement scolaire, y compris des toilettes à l’aide du détergent et désinfectant ». « Il faut nettoyer et désinfecter les surfaces fréquemment touchées telles que les poignées de porte, les bureaux, les jouets, les fournitures, les interrupteurs, les équipements de jeu, les aides pédagogiques utilisées par les enfants et les couvertures de livres. » Par ailleurs, l’OMS insiste sur « le port obligatoire des masques ou de couvre-visage ainsi que le respect de distanciation physique d’au moins un mètre entre toutes les personnes présentes à l’école ». Convaincue que « la réouverture des écoles doit être guidée par une approche fondée sur le risque ». Pour cela, l’OMS appelle les gouvernements à organiser des séances de dépistage des élèves, des enseignants et d’autres personnels scolaires. Enfin, les parents doivent accompagner les mesures mises en place par l’école et coopérer avec les responsables scolaires.

Bien que des restrictions des droits de l’homme puissent être nécessaires pour prévenir la propagation de la maladie, l’OMS estime qu’« il est important et utile de garantir le droit et les normes internationaux relatifs aux droits de l’homme à toutes les réponses au Covid-19 ». Cela est nécessaire pour le maintien de la confiance dans le système de santé et éducatif. « Les enfants doivent étudier pour ne pas compromettre l’avenir ».

Les associations de promotion de l’éducation interrogent : « Dès lors que les mesures prises ne sont pas exécutées avec efficacité et promptitude, qu’est-ce qui rassure que pour les écoles, le gouvernement fera mieux ? » Le retour des enfants à l’école va poser le problème de prise, tout court ! Un activiste de la société civile pense qu’il faut un débat large autour de la question de l’état d’urgence. Quant à lui, Willy Bakonga a rassuré les partenaires que le gouvernement a les moyens d’équiper les écoles et faire appliquer les gestes barrières sur les sites scolaires.

Mais cela ne suffit pas pour convaincre la majorité des parents qui ne sont pas en tout cas prêts à envoyer leurs enfants à l’école. Huit parents à Kinshasa sur dix déclarent qu’ils n’enverront pas leurs enfants à l’école. Si cette intention se confirme ce serait un véritable camouflet pour le gouvernement, d’autant que ce sont les familles modestes qui sont les plus réticentes. La majorité des parents estiment que la réouverture des écoles est « une mauvaise décision ». Pour eux, « la priorité doit être donnée à la reprise économique ». 

Clarifier les choses

Pour un syndicaliste du secteur éducatif, « il faut prendre le temps d’affiner encore les choses. Notre ligne directrice depuis le début, c’est pas trop vite, pas trop fort ». D’après lui, il faut « associer pleinement les parents à ces décisions ». Les choses, dit-il, doivent être claires: « si une école ne peut mettre en place le protocole, elle ne rouvrira pas. » En France, par exemple, Emmanuel Macron, le président de la République, avait laissé entrouverte la possibilité pour les parents de ne pas envoyer leurs enfants à l’école s’ils considèrent que le protocole sanitaire n’est pas suffisant. Une façon aussi de limiter la responsabilité juridique des chefs d’établissement. En effet, la loi française stipule bien que l’instruction – et non pas l’école – est obligatoire, or l’instruction peut se faire à distance. 

Cela peut aussi s’appliquer à notre situation et donner argument aux parents de l’opposer au ministre de l’EPST. La constitution (article 43) stipule : « Toute personne a droit à l’éducation scolaire. Il y est pourvu par l’enseignement national. L’enseignement national comprend les établissements publics et les établissements privés agréés. La loi fixe les conditions de création et de fonctionnement de ces établissements. Les  parents ont le droit de choisir le mode d’éducation à donner à leurs enfants. L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics. »