Où en est-on, dix ans après la crise financière internationale ?

Chômage, investissement, production, défaillances : combien de pays ont-ils retrouvé leur niveau d’avant-crise ? Décryptage en chiffres et témoignages d’entrepreneurs.

Elle a d’abord été financière, entraînée par le blocage du marché interbancaire en juillet 2007 et l’éclatement des bulles spéculatives (les « subprimes » aux États-Unis, le marché immobilier espagnol). Au fil des mois, la crise a gangréné l’ensemble de l’économie américaine pour finalement se muer en phénomène mondial impactant durablement la plupart des secteurs d’activité. Dix ans plus tard, quelles conséquences la crise a-t-elle eu sur les économies nationales ? Les entreprises locales se sont-elles relevées de dix années d’atonie économique ? Dans la plupart des cas, la production est toujours en berne.

Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) ainsi que celui de l’industrie ont payé et payent encore le plus lourd tribut à la crise. Par exemple, en France, les derniers chiffres de la production française publiés par l’INSEE mi-août parlent d’eux-mêmes. Si sur un an, entre le deuxième trimestre 2016 et le deuxième trimestre 2017, la production industrielle augmente de près de 2 %, le constat sur dix ans est bien plus noir. Entre juin 2007 et juin 2017, l’indice de production industrielle a chuté de 10,6 % dans l’industrie en général, de 11,5 % dans l’industrie manufacturière et de 19 % dans la construction. Il faut remonter au milieu des années 1990 pour retrouver des niveaux de production aussi bas… « La chute de la construction a fortement affecté négativement l’emploi et la croissance du produit intérieur brut (PIB) », alertait en janvier la Banque de France. En effet, l’investissement en construction est à son plus bas niveau depuis trente ans (11 % du PIB), même s’il arrête enfin de dégringoler depuis 2016.

En République démocratique du Congo, la situation n’est guère reluisante comme le montre l’indice de croissance du PIB. La chute du taux de croissance économique est le reflet d’une production congolaise en état de grâce. La production industrielle dans tous les secteurs est quasi inexistante au pays pour de multiples raisons. En 2016, l’économie nationale a connu un ralentissement de la croissance qui est tombée à 2,5 % contre 9,9 % en 2014 et 6,7 % en 2015 et l’accentuation de la vulnérabilité du pays suite à la baisse des réserves induites par le faible niveau de mobilisation des recettes internes. La baisse des prix des matières premières et de la demande mondiale ont conduit à un impact négatif sur les équilibres macroéconomiques.

La vision 2030

Selon les projections, les spécialistes le situent à 4 % en 2017. Or, pour atteindre l’objectif politique de l’émergence économique en 2030, il faudra un taux de croissance moyen annuel de 10 %. Les effets néfastes contraignent le gouvernement à revoir ses politiques monétaire et fiscale afin de réduire les risques politiques et à atténuer les déséquilibres macroéconomiques. C’est dans ce climat d’incertitude que le président Joseph Kabila a dévoilé sous forme de décisions les nouvelles orientations économiques du gouvernement. « Ces orientations présidentielles sont destinées à apaiser les opérateurs économiques », a laissé entendre un conseiller du président de la République. Pour le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), Albert Yuma Mulimbi, c’est le rôle de l’État d’accompagner le secteur privé dans son développement et assurer son intégration dans les chaînes de valeurs nationales, régionales et mondiales.

Dans les milieux d’affaires, on est persuadé que développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. Pour le secteur privé, le gouvernement devra être à l’écoute des entrepreneurs car ce sont eux qui créent les produits, les services et les emplois. Stimuler la production nationale, c’est un défi commun, notamment dans les secteurs agroalimentaire et minier, dans le domaine des services aux entreprises et à la population… C’est ainsi que l’on peut créer de la valeur ajoutée, source de création d’emplois nombreux et durables. Pour le président de la FEC, la production nationale passe en priorité par l’investissement agricole et industriel. La conjoncture mondiale n’offre, à court terme, aucune perspective réelle de reprise. En effet, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, la croissance mondiale se situerait à entre 3 et 5 % en 2017.

À ce jour, les principales activités industrielles du pays sont limitées à un nombre réduit de filières de biens de consommation, notamment la production du sucre, des boissons, de la transformation des matières plastiques, des produits cosmétiques, de la panification… Les filières des biens d’équipements sont sous-exploiteés, elles tournent principalement autour de la production du ciment et de la construction métallique. Mais cette industrie fait face à des contraintes qui l’empêchent d’amorcer son redécollage : la lourde fiscalité et la parafiscalité qu’elle supporte, atteignant 51 % du chiffre d’affaires, soit le double de ce qui est payé dans les pays voisins. Conséquence : une activité génératrice de recettes fiscales, comme les industries brassicoles, a connue une baisse de plus de 20 %. La plupart d’entre elles se sont vues obligées de procéder à des changements structurels, d’autres ont procédé à la fermeture des usines de production avec notamment la fermeture des usines de Bralima à Mbandaka et à Boma en 2015 et 2016.

Un taux de chômage toujours haut. Une situation qui a évidemment des incidences sur l’emploi. Selon le Centre d’études stratégiques Alter (CESA), sur l’ensemble de l’année 2017, les créations d’emplois privés devraient être moins nombreuses : moins de 50 000 emplois. En 2018, l’organisme prévoit que le nombre de chômeurs par an continuerait d’augmenter, se situant à un demi-million de demandeurs d’emploi sans activité supplémentaire. Explication : tout politique d’emploi comporte deux volets, l’offre et la demande. Actuellement, selon plusieurs sources officielles et non officielles recoupées, la population active en RDC est estimée à quelque 50 millions de personnes. Chaque année, on estime environ 400 000 nouveaux demandeurs d’emplois.

Le CESA souligne que la plupart des Congolais au chômage cherchent activement un emploi et d’autres sont des « actifs découragés », la formule consacrée pour les chômeurs qui ont renoncé à rechercher un emploi. Les 20-40 ans sont de loin la catégorie d’âge la plus touchée, avec 54,2 % de la population active sans emploi. Il fait ressortir que les femmes ont actuellement plus de chances de trouver un emploi que les hommes, non pas en raison du genre ou de niveau de qualification. La hausse du chômage s’explique en partie par des licenciements dans les secteurs minier, manufacturier et des services. Après avoir enregistré des taux de croissance proches de 8 % entre 2009 et 2014, l’économie congolaise tourne au ralenti, en raison notamment de la chute des cours des matières premières et de quelques mouvements sociaux dans des secteurs stratégiques comme les mines et l’industrie.

Malgré ce sombre tableau, pointent quand même à l’horizon des signaux forts, qui laissent entrevoir une sortie de crise, lente mais indéniable. La croissance du PIB retrouve des couleurs avec la remontée des cours des matières premières. Des signes positifs doivent venir de l’amélioration du climat des affaires, cet indicateur que les chefs d’entreprise scrutent à la loupe pour sentir la tendance et anticiper leurs investissements. Le gouvernement en fait un objectif majeur de sa gouvernance.

Miser sur les PME

Les petites et moyennes entreprises (PME) pour accélérer le rythme des embauches. Si l’on s’attarde en particulier sur les PME, la situation pourrait s’améliorer durablement. Selon le CESA, qui analyse la santé économique des PME, l’activité ne cesse d’accélérer. Les PME accélèrent même le rythme des embauches, revenant sur des niveaux d’avant-crise. Mais même au sommet de l’État, on sait rester prudent : même si les indicateurs viraient au vert notre économie reste encore trop fragile pour affronter un éventuel retournement de conjoncture mondiale. Si le « colosse » RDC recommence à pouvoir marcher sur ses deux pieds, la convalescence prendra encore quelques années.

Les stigmates de la crise s’estompent mais la vigilance reste de mise. La RDC doit avoir un modèle économique résilient, surtout pour ceux qui innovent, explique un opérateur économique belge. D’après lui, le tissu économique est extrêmement dynamique car il est éclaté et que son tissu de PME/PMI est extrêmement dense mais peu rationalisé. Le choc a été subi au premier plan par le monde de la finance tertiarisée. On voit bien que le commerce, l’artisanat et le monde agricole souffrent toujours, mais avant tout parce que ce sont des modèles en difficulté structurelle. Cependant, certains arrivent tout de même à tirer leur épingle du jeu. En revanche, la sortie de crise est menacée par deux risques systémiques : il faut absolument que la croissance congolaise ne mollisse pas d’ici deux ans. Il faut aussi un coup de main national pour désenclaver géographiquement le territoire et diversifier l’économie nationale.

Sur le plan international, les grandes entreprises sont extrêmement bien gérées, avec notamment une très bonne rationalisation des coûts, et d’une façon générale tout ce qui est tourné vers l’innovation a des résultats fracassants. Le MSCI World Index progresse, avec la Chine qui est devenue une énorme locomotive, le modèle résilient américain fait que le Dow Jones caracole, et les pays émergents apportent eux aussi leur pierre. L’Union européenne (UE) se porte plutôt bien, même si elle est en retard par rapport aux États-Unis et au reste du monde. Beaucoup de capitaux arrivent en Europe, où la croissance est relativement correcte.

Quant à la France, elle est globalement en retard, notamment à cause du manque de souplesse de son modèle social qui, ne l’oublions pas, est aussi plus protecteur qu’ailleurs. D’une façon générale, les indicateurs macroéconomiques sont au vert et les risques géopolitiques sont relativement mineurs. Il faut juste être vigilant sur la création de valeur réelle et le fait que le monde ne se « refinanciarise » pas à outrance. Ce qui inquiète, ce sont certaines opérations de titrisation qui semblent indiquer qu’une partie du marché pourrait être complètement amnésique et pourrait bien préparer le terreau d’un nouveau krach, de façon beaucoup plus sophistiquée.