Une filière aux mille visages

Avec l’accord de partenariat volontaire entre les pays africains et l’Union européenne, le bois congolais pourra être sauvé de l’exploitation illégale. Encore faut-il que l’état en interdise l’exportation illicite vers l’Asie pour espérer en tirer profit.

Troncs d’arbres dans la concession Safbois à Djabir, près d’Isangi (Province-Orientale).
Troncs d’arbres dans la concession Safbois à Djabir, près d’Isangi (Province-Orientale).

Comparativement aux autres secteurs, le bois ne contribue pas assez aux recettes publiques. D’après les statistiques du ministère des Finances, la production annuelle tourne autour de 300 000 mètres cubes. Pourtant, le pays possède la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. à la base de ce contraste, beaucoup de raisons, parmi lesquelles l’illégalité dans laquelle fonctionnent les exploitants industriels et artisanaux du bois. Le code forestier, en général, est bafoué par nombre d’entrepreneurs, lesquels sont, pour la plupart, des étrangers. D’où une opacité à situer à deux niveaux, mis à part le manque d’organisation des Petites et moyennes entreprises de la filière. D’une part, la fraude se passe au niveau de la coupe du bois et, d’autre part, les exportateurs passent souvent par des voies illicites. Pour ne parler que de la coupe, certains exportateurs, malgré l’annulation de leurs titres par le ministère de l’Environnement, continuent d’opérer. Quelques sociétés n’ont pas de permis, avec la complicité de certains fonctionnaires de l’état véreux. Agissant de façon illégale, quelques entreprises utilisent, à la place des nouveaux permis d’exploitation industrielle, des permis artisanaux pour une exploitation à grande échelle. D’après Gisèle Bilolo, du secrétariat général du ministère de l’Environnement, de la Conservation de la nature et du Tourisme, décentralisation oblige, ce sont les provinces qui délivrent les permis de coupe de bois. « A Kinshasa, on ne délivre que des permis de coupe artisanale », précise-t-elle.

Le contournement de la réglementation          

Beaucoup de ceux qui exportent le bois congolais préfèrent, sans en avoir le permis, le faire vers les pays d’Asie, à l’instar de la Chine. Patrice Bigombe Logo, expert en gouvernance forestière de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), en sait quelque chose. Pour lui, les Européens ne veulent plus acheter des bois illégal, c’est-à-dire qui n’a pas suivi la procédure normale. Une fois qu’ils tombent sur du bois non certifié, ils le renvoient carrément. « Depuis le 3 mars 2013, l’Union européenne (UE) a décidé que, désormais, ne devront arriver sur leurs marchés que des bois légaux, c’est-à-dire des bois qui, dans leur processus de récolte et d’exploitation, ont respecté la législation forestière de leurs pays d’origine », explique-t-il en parlant de l’accord de partenariat volontaire que l’UE signe avec des pays africains.

Une conférence à Kinshasa pour résoudre le problème           

Pour aller plus loin, une conférence des ministres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) s’est tenue à Kinshasa du 27 au 30 octobre. Ce forum, qui s’est appesanti sur le Fonds pour l’économie verte en Afrique centrale et la transformation structurelle de l’économie des ressources naturelles, avait pour thème « Diplomatie, intégration, gouvernance et nouvelle économie du bois ». En attendant que les pays asiatiques édictent des normes de certification du bois venant d’Afrique, le souci des participants a été celui de voir tous les pays membres de la CEEAC signer l’accord de partenariat volontaire avec l’UE, considérée comme le plus grand marché mondial du bois. « Déjà, trois pays d’Afrique centrale ont déjà signé cet accord. Le Congo-Brazzaville en 2009, le Cameroun en 2010, la République centrafricaine en 2011 et deux pays négocient en ce moment avec l’UE, à savoir la RDC et le Gabon », d’après Patrice Bigombe Logo. La nouvelle approche de la CEEAC est la transformation de la structure des économies. Pour les participants au forum de Kinshasa, le développement vers l’émergence doit reposer sur une économie verte.

Le grand apport du bois dans la construction locale            

Au niveau local, des hommes et des femmes vendent du bois pour nourrir leurs familles. Patrick Kabemba, 34 ans, est un jeune fournisseur de bois aux chantiers de construction qui en ont besoin. Après avoir pris contact et s’être mis d’accord avec ses clients, il a l’habitude de descendre à Kinkole, dans la commune de la Nsele. « Sur place, j’achète une grume que l’on me débite grâce à la scierie. Ce sont ces planches et madriers que je fournis à mes clients », indique-t-il. A Kinshasa, des immeubles poussent un peu partout. Non seulement les besoins en bois pour le coffrage et les échafaudages ont crû, mais aussi les toitures comme c’est maintenant la mode, sont à plusieurs versants. Valère Fumukani est ingénieur architecte. Pour lui, plusieurs sortes de bois sont utilisées sur les chantiers. « Les bois rouges appelés communément lifaki, kambala, ntola sont généralement utilisés pour les portes et les fenêtres. Pour ce qui est du bois de construction, il faut au minimum 4 mètres cubes pour une maison d’un niveau de 12 m sur 8. Or, le mètre cube coûte 450 dollars. On n’a qu’à faire le calcul », explique-t-il. Selon lui, il y a des maisons qui nécessitent jusqu’à 10 mètres cubes de bois. Ambroise Kiala vend du bois sur l’avenue By-Pass dans la commune de Lemba. « Je vends le mètre cube de bois de coffrage à 300 dollars et le chevron (5/5, 7/7) coûte 320 dollars le mètre cube. Pour ce qui est de la toiture, le mètre cube de madrier (5/10, 5/15) vaut 450 dollars », souligne-t-il. Par ailleurs, le bois est toujours utilisé dans l’ébénisterie et dans la menuiserie pour la fabrication de lits et autres meubles.

Un secteur artisanal non organisé            

Au-delà de l’exportation, le problème de l’organisation du secteur artisanal du bois ou de Petites et moyennes entreprises (PME) œuvrant dans cette filière se pose, alors que les lieux de vente de cette matière première sont nombreux à Kinshasa. Directeur du Centre de recherche et d’action pour le développement durable en Afrique centrale (CERAD), Patrice Bigombe Logo conseille l’intégration dans un circuit formel « quoique cette organisation nécessite la mise en place d’un programme de réforme et le renforcement de leurs capacités, le souci étant d’être conforme aux exigences des marchés de l’UE ». Entre-temps, sur le terrain, les choses évoluent au ralenti et le Trésor public continue à perdre de l’argent. La grande responsabilité incombe à l’état qui a le pouvoir, non seulement de mettre de l’ordre à tous les niveaux, mais de réprimer, voire de chasser de son territoire les récalcitrants. Cette situation, qui dure depuis longtemps, a toujours été dénoncée par l’ONG internationale Greenpeace Afrique. Dernièrement, la justice congolaise a pris la décision d’interdire l’exportation des bois exploités illégalement vers la Chine, chose qui a plu à la Coalition nationale contre l’exploitation illégale du bois (CNCEIB). Tout dépend donc de la fermeté du ton qu’adoptent les autorités congolaises. Sans quoi, des centaines de conteneurs ou de milliers de grumes de wenge, exploités illégalement, quitteront toujours le pays sans profiter au Trésor public.