Une industrialisation de la pêche difficile

Deux sociétés en activité, une étroite bande maritime aux larges du territoire de Muanda, dans le Bas-Congo. Tel est l’essentiel de l’activité piscicole en République démocratique du Congo, qui est encore artisanale et n’arrive pas à couvrir les besoins internes.

Pêche artisanale à Muanda, dans le Bas-Congo.
Pêche artisanale à Muanda, dans le Bas-Congo.

Le 7 novembre, une société congolaise de pêche dénommée Bosa a déploré l’arraisonnement de son chalutier par la marine angolaise, au motif qu’elle pêchait dans les eaux territoriales angolaises. Ce que conteste Bosa, qui a qualifié les activités de la marine angolaise d’« actes de piraterie organisée dans les eaux congolaises ». Comme le souligne Aubin Mbenza, le responsable technique de  Bosa, les marins angolais se sont présentés devant les chalutiers en activité en haute mer comme des pirates qui réclament une rançon. « Toutes les  fois que nous leur avons donné d’importantes quantités de poissons, ils nous ont laissé travailler en paix », affirme-t-il. « Comme nous ne pouvions plus satisfaire à leurs demandes, de plus en plus croissantes, ils se sont mis à arraisonner nos chalutiers les uns après les autres, jusqu’à nous contraindre à l’immobilité. C’est illégal et immoral », a-t-il conclu.

Plusieurs alertes adressées aux autorités de la force navale à Banana sont restées lettre morte. Conséquence  de cette situation : depuis deux mois, trois des quatre chalutiers arraisonnés sont immobilisés dans la ville angolaise de Soyo. Si les officiels congolais ne s’impliquent pas promptement dans la résolution du différend, la société Bosa, privée de l’essentiel de ses unités de production, incapable d’honorer ses engagements et  de supporter ses charges sociales et administratives, sera obligée de fermer. « Cela  condamnerait au chômage  plus de 50 employés », commente Aubin Mbenza.

La production de Bosa, qui dispose déjà de quatre chambres froides de stockage dans les villes de Boma et de Matadi,  commençait à monter progressivement en puissance  jusqu’à atteindre mensuellement 100 tonnes de poissons de mer de toutes catégories dont le capitaine noir, le capitaine blanc, la  morue, le venian, le zebra, la sole, la dorade rouge, le mpiodi. À ce jour, le gouvernement, à travers le ministère des Affaires étrangères, est en pourparlers avec la partie angolaise. « Mais les atermoiements de la diplomatie ont une lenteur qui n’arrange pas toujours les affaires », estime le responsable technique de Bosa. Pour d’autres responsables du ministère, cet événement à lui seul est un mauvais signal pour les autres opérateurs qui frappent aux portes de la RDC pour la pêche. En effet, après Bosa, une autre société, Egal, avec des partenaires japonais, s’est installée à Muanda, avec 5 chalutiers modernes de 300 chevaux-vapeur (une capacité journalière de 10 tonnes). Mais, selon le professeur Chango Mutambue, spécialiste en écologie du milieu aquatique, l’étroite bande maritime de Muanda (48 kilomètres) ne peut pas supporter les ambitions de la pêche maritime du Congo. À Muanda, reconnaît-il, il y avait eu déjà deux grandes  sociétés industrielles de pêche : la Pêcherie industrielle de Muanda (PIM) et la Pêcherie maritime du Zaïre (Pemarza). Leurs activités n’avaient jamais été source de conflits frontaliers avec le voisin  angolais parce qu’elles étaient protégées par des accords de coopération maritime qui garantissaient les activités de pêche de part et d’autre de la frontière. Des accords qui sont tous devenus caducs aujourd’hui, reconnaît Chango Mutambwe.  Pour lui, l’attitude de l’Angola n’est pas un casus belli, mais probablement un appel  du pied pour négocier et réactiver ces instruments de coopération.

Relancer la pêche industrielle au Congo

Les activités de pêche industrielle à la côte atlantique n’avaient jamais été source de conflits frontaliers avec les voisins (riverains) angolais et du Congo-Brazzaville parce que protégées par des accords de coopération maritime qui garantissait la  pêche même dans les eaux du voisin. Ces accords sont devenus caducs aujourd’hui.  L’attitude de l’Angola n’est pas un casus belli, mais un appel  du pied à la négociation pour réactiver ces instruments de coopération .

Chango Mutambue

La relance de la pêche industrielle a souvent fait l’objet de débats gouvernementaux. Par exemple, en 2012, avec l’aide de la FAO, le gouvernement a élaboré un document stratégique pour la relance de la pêche industrielle. Le pays constitue la deuxième réserve mondiale d’eau douce qui nourrit environ 1500 espèces de poissons, selon des études qui datent de plus d’un siècle. La pêche industrielle y a été pratiquée jusque dans les années 1980 à Muanda, dans les lacs intérieurs et dans les grands lacs de l’Est, selon tous les témoignages. Elle a approvisionné, durant des lustres, le pays en vivres frais. Mais les crises à répétition des années 1970, 1980 et 1990 ont fini par emporter toutes les unités de production les unes après les autres, au point que le pays importe aujourd’hui l’essentiel (plus 90 %) de ses besoins en poisson (240 000 tonnes). La production artisanale ne représente que 10 % des besoins du pays.

« Pour relancer le secteur, nous ne devons pas nous baser sur le passé et croire que les données vieilles d’un siècle sont toujours d’actualité. Il faut des nouvelles  études d’évaluation et de mise à jour des données pour connaître le stock réel dont dispose le pays », indique Constant Ntembe, fonctionnaire au ministère de l’Agriculture et de la pêche. À Muanda, par exemple, il faut prendre en compte deux faits : trois sociétés pétrolières dont l’activité à un impact négatif l’écologie marine et la création du parc marin des mangroves qui doivent avoir pour conséquence d’amenuiser le potentiel halieutique. Dans les eaux fluviales, les rivières et les lacs, il faut aussi s’assurer que certaines pratiques de pêche peu responsables qui utilisent les filets non conventionnels et certaines substances nocives doivent avoir suffisamment influé sur la démographie halieutique. Dans les lacs frontaliers (Tanganyka, Kivu, Albert..), les pays voisins ne se sont pas privés de la pêche à grande échelle pendant tout le temps de la léthargie congolaise. Ce qui rend nécessaire des études approfondies pour déterminer exactement les types et le stock exacts de la richesse halieutique disponibles dans les eaux congolaises. Ces analyses aideraient à déterminer les sites d’activité, la taille de l’investissement et les types de  matériels qu’il faut allouer à un projet de relance de la pêche industrielle », selon Chango Mutambwe.

INFO BOX

  • Chaque année, la RDC importe 200 000 tonnes de poissons pour un besoin estimé à 240 000 tonnes. La différence vient de la pêche artisanale locale.
  • Selon la FAO, le  potentiel halieutique annuel du Congo est  d’environ 707 000 tonnes, selon le ministère de l’Agriculture et de la pêche.
  • L’aquaculture, laissée à l’abandon depuis plusieurs années, attire les investisseurs marocains, israéliens, coréens et égyptiens pour des productions à grande échelle.