EN FRANCE, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) a fait savoir la semaine dernière qu’elle restreindrait fortement les autorisations d’exploitation des opérateurs français partenaires du groupe chinois, SFR (Altice) et Bouygues Telecom. L’équipementier télécom chinois Huawei ne fera pas l’objet d’un « bannissement total » du marché français de la 5G, mais les opérateurs français l’utilisant vont recevoir des autorisations d’exploitation limitées à huit ans, selon l’ANSSI, ce qui compromet l’accès du géant chinois au marché hexagonal de la 5G.
« Ce que je peux dire, c’est qu’il n’y aura pas un bannissement total. Les opérateurs qui n’utilisent pas Huawei, nous les incitons à ne pas y aller car c’est un peu le sens naturel des choses. Ceux qui l’utilisent déjà, nous délivrons des autorisations dont la durée varie entre trois et huit ans », a déclaré dans un entretien aux Échos Guillaume Poupard, le directeur général de l’ANSSI, chargée par le gouvernement français d’instruire ce dossier.
Huawei bashing ?
Seuls trois équipementiers télécoms, les européens Nokia et Ericsson et le chinois Huawei, sont capables de fournir les équipements pour les réseaux 5G, le futur système de télécommunications mobiles. « Nous ne sommes pas dans du Huawei bashing, ni dans du racisme anti-chinois », a déclaré Guillaume Poupard. « Nous sommes dans une gestion de risques. Tous les équipementiers télécoms ne se valent pas. Je ne cite pas de nom mais il est clair que l’on n’est pas dans les mêmes risques quand on parle d’équipements chinois ou américains.
Nous sommes prudents vis-à-vis des équipementiers non-européens, évidemment, tout comme nous le serions aussi, par exemple, si tous les opérateurs avaient recours au même équipementier, même s’il était français, ce serait catastrophique », a ajouté Guillaume Poupard.
Face à cette décision, la Chine a appelé lundi 6 juillet la France à garantir un environnement « équitable et non discriminatoire » à ses entreprises. Interrogé lors du point de presse quotidien du ministère chinois des Affaires étrangères, le porte-parole Zhao Lijian a émis l’espoir que la France « observe une attitude objective et juste, respecte les lois du marché et la volonté des entreprises ».
Au Royaume-Uni, Huawei participe depuis 6 mois de manière limitée à la construction du réseau 5G. Mais Londres pourrait faire machine arrière, ont émis des analystes. Un rapport des services de renseignement britannique pointe de nouveaux risques en matière de sécurité informatique. Le gouvernement britannique a également multiplié les déclarations, rappelant qu’il considère le géant chinois des équipements télécoms Huawei comme « hautement risqué » pour la sécurité du futur réseau de 5G du pays et qu’il pourrait à terme s’en passer.
D’après le quotidien The Financial Times, le gouvernement conservateur de Boris Johnson pourrait donc présenter un plan pour éliminer Huawei du réseau britannique de 5G ce mois-ci.
Selon The Telegraph, ce retrait pourrait démarrer dès cette année et s’achever en 2029, ce que certains conservateurs considèrent comme un horizon trop éloigné.
« Je suis déterminé à ce que l’internet à haut débit arrive dans tout le pays et je pense que nous pouvons le faire. Je suis aussi déterminé à ce que le Royaume-Uni ne soit pas vulnérable aux fournisseurs très risqués », a fait valoir Boris Johnson, le 1ER Ministre britannique, lundi 6 juillet.
Liu Xiaoming, l’ambassadeur de Chine au Royaume-Uni, a affirmé le même lundi lors d’une conférence de presse télévisée qu’un rejet du géant chinois par Londres « nuirait au statut du pays » en le montrant comme sensible aux « pressions étrangères » et enverrait notamment « un mauvais message à la communauté chinoise des affaires à travers le monde ». Un peu plus menaçant, il a conclu en déclarant « si vous voulez faire de la Chine un ennemi, vous devrez en assumer les conséquences ».
Tension avec les USA
Accès limité au réseau, méfiance, accusation d’espionnage… Ces décisions européennes interviennent sur fond de tension entre la Chine et les États-Unis. L’administration Trump accuse Huawei d’être à la solde de Pékin et fait pression à travers le monde pour que le chinois soit exclu des réseaux de téléphonie de nouvelle génération. Selon des médias américains, le Pentagone a publié une liste de 20 entreprises chinoises, incluant Huawei, qu’il estime liées à l’armée. Huawei nie de son côté toute accusation d’espionnage pour le compte de Pékin.
Mi-mai, le gouvernement américain avait pris des mesures pour entraver la capacité du géant chinois des télécoms à mettre au point des semi-conducteurs à l’étranger grâce à de la technologie américaine. Il a ensuite légèrement atténué ces sanctions. Les sanctions américaines sont notamment destinées à couper l’accès de Huawei aux semi-conducteurs fabriqués avec des composants américains. Londres s’inquiète d’un recours du chinois à des composants de rechange susceptibles de poser de nouveaux risques en termes de cybersécurité.
Pour Guillaume Poupard, il y aura des refus et qu’ils ne concerneront pas Nokia et Ericsson, les concurrents européens du groupe chinois dans les équipements nécessaires à cette nouvelle norme de téléphonie mobile. Huawei est donc au cœur d’un bras de fer aux allures de Guerre froide entre les États-Unis et la Chine, Washington soupçonnant l’équipementier de se livrer à des opérations d’espionnage pour le compte de Pékin et s’inquiétant de l’avancée technologique prise par le groupe chinois.
Le déploiement de la 5G, avec le rôle qu’y joue Huawei, est devenu un enjeu géopolitique international. En mars dernier, des sources avaient déclaré que la France autoriserait les opérateurs télécoms à utiliser une partie des équipements de Huawei mais seulement pour les parties non sensibles du réseau, comme les antennes, qui posent moins de risques en termes de sécurité que les cœurs de réseau, équipés de logiciels traitant de données sensibles dont celles des usagers.
Dans l’interview qu’il a accordée aux Échos, Guillaume Poupard ne précise pas sur quels types d’équipements s’appliqueront les refus. Des opérateurs qui n’auraient pas reçu de réponse peuvent considérer que c’est un refus, conformément à ce que prévoit la loi française.
Orange a annoncé fin janvier qu’il avait choisi Nokia et Ericsson au détriment de Huawei. Free (Iliad) avait pour sa part opté dès septembre 2019 pour un partenariat avec Nokia pour construire son réseau 5G en France et en Italie. Bouygues Telecom et SFR en revanche ont des équipements Huawei. La vraie question en cas de refus, c’est comment on rend cette décision absorbable par l’opérateur […] « L’objectif n’est évidemment pas de les tuer !, » dit le patron de l’ANSSI. Interdire aux opérateurs télécoms européens déjà équipés d’infrastructures Huawei de recourir à l’équipementier chinois pour la 5G pourrait engendrer une distorsion de la concurrence sur le marché français, estimait en février Martin Bouygues, dont le groupe n’excluait pas de porter si nécessaire l’affaire en justice.