IL S’AGIT en fait de la deuxième réunion préparatoire des parties prenantes et experts en matière de l’eau. L’objectif principal des discussions est de parvenir à mettre sur pied une politique d’appoint afin d’atteindre les engagements pris ensemble dans le secteur de l’eau et de l’assainissement de l’environnement, conformément aux Objectifs de développement durable (ODD), initiés par l’ONU, ainsi que conformément aux accords de Sendai sur les risques et catastrophes naturels et de Paris sur le climat.
Les experts sont à peu près d’un même avis : il faut aligner le 9è forum mondial de l’eau sur le sommet de l’agenda politique mondial et sur la perspective des nouvelles politiques mondiales en appui aux autorités dans le développement et la gestion des ressources en eau. La préoccupation majeure ici est l’utilisation efficace de cette ressource vitale, et face à la problématique du changement climatique, la lutte pour la sécurité de l’eau devra être tous azimuts.
Points clés du forum
Selon des informations en provenance de Dakar, les points clés du forum 2022 portent sur les principaux défis de l’eau dans le monde, et particulièrement en Afrique. Les participants se pencheront sur quatre priorités : la sécurité de l’eau, l’assainissement, la coopération des États et le développement rural.
L’un des résultats attendus, c’est d’innover en matière de financement pour donner accès aux populations les plus diminues à l’eau de qualité à des tarifs acceptables politiquement et socialement. La question était au centre des discussions lors du 3è Sommet Climate Chance Afrique 2021, du 15 au 17 septembre 2021, entièrement en virtuel. Pour les initiateurs de ce sommet, il est urgent de faire évoluer les standards pour pouvoir accéder aux financements.
En effet, pour l’instant, ces financements sont inaccessibles pour de nombreux acteurs. Les experts relèvent qu’il existe aujourd’hui une vraie nécessité de financer aussi le « soft power », et pas seulement les infrastructures. Selon eux, il y a également un besoin aujourd’hui que les financements arrivent en forme de subventions et non en forme de prêts afin de permettre aux pays d’investir dans des activités sur le terrain.
Le 3ème Sommet Climate Chance Afrique 2021 a mobilisé 2 500 participants issus de plus de 70 pays en majorité africains. Les constats, particulièrement en Afrique, restent souvent les mêmes depuis quelques années. Ainsi, le sommet a insisté sur l’importance de mettre l’inclusivité au premier rang de l’action, celle des jeunes et des femmes en particulier, et la nécessité de renforcer les capacités des acteurs, de mieux les former…
L’ombre du Nil
Par ailleurs, on ne parlera pas de la sécurité de l’eau à Dakar sans évoquer le conflit du Nil autour du barrage de la Renaissance. La centrale hydroélectrique construite par l’Ethiopie sur les rives du Nil bleu à proximité de la frontière soudanaise présente un grand risque de guerre de l’eau entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie. Une guerre qui risque également de faire entrer dans le conflit les autres pays du bassin du Nil.
Avec ses 1 780 m de long et 155 m de haut, sa puissance de 6 450 MW et son réservoir qui permettra de retenir 74 milliards de m3 d’eau, le barrage de la Renaissance ou GERD sera, une fois achevé, la plus grande retenue d’eau du continent africain. Alors que sa deuxième phase de remplissage s’est achevée, il devrait prochainement démarrer ses deux premières turbines. Investissement de 4,8 milliards de dollars, financé sans aide extérieure, ce projet est au cœur des enjeux géopolitiques de la sous-région.
Tenez : l’Egypte dépend du Nil pour sa survie. Le fleuve lui fournit 97 % de ses besoins en eau et ses rives abritant 95 % de quelques 100 millions d’habitants du pays. Les experts sont formels : la vitesse de remplissage du GERD va avoir des conséquences sur le débit en aval. D’après eux, un remplissage en 3 à 5 ans comme l’envisage l’Ethiopie pourrait entraîner une réduction des terres cultivables en Egypte de 67 % par an. Par conséquent, l’Egypte et le Soudan prônent un remplissage étalé sur 21 ans, qui limiterait ainsi la réduction des surfaces agricoles à 2,5 % par an. Les deux États craignent également que le GERD soumette potentiellement le débit du Nil au bon vouloir d’Addis-Abeba. C’est pourquoi ils prônent un accord légal contrôlant l’utilisation du barrage, ce que l’Ethiopie considère comme une atteinte à sa souveraineté.
Mais au-delà des questions de ressources hydriques, la crise entre les trois pays s’explique aussi par les velléités de puissance. L’Egypte, puissance économique et militaire de la région, voit d’un mauvais œil l’émergence éthiopienne de ces dernières années. L’Ethiopie fait du GERD intérêt vital, justifiant ainsi une position inflexible, tout en tenant un discours défendant une volonté d’avenir commun de la région. L’Egypte et le Soudan (dans une moindre mesure) voient dans le GERD une menace à leurs intérêts vitaux, tout en déclarant ne pas s’y opposer, voire l’appuyer.
Au-delà de ces éléments de langage, les protagonistes utilisent aujourd’hui une stratégie d’internationalisation de la médiation, tout d’abord poussée par l’Egypte, rejointe plus tardivement par le Soudan. Suite à l’échec d’une médiation pilotée par un panel d’experts internationaux, l’Egypte se lança en 2014 dans une offensive diplomatique auprès de plusieurs pays, dont la République démocratique du Congo et la Tanzanie, membres de l’Initiative du Bassin du Nil (IBN), pour tenter de les rallier à sa position, déclenchant la colère du Soudan qui l’accusera de jeter de l’huile sur le feu.
En novembre 2019, l’Egypte lançait un appel enjoignant la Ligue Arabe à soutenir sa position, parallèlement à une médiation portée par l’administration Trump et la Banque mondiale, dont l’Ethiopie claquera la porte en 2020 en raison de la position jugée partisane des médiateurs. L’année dernière, l’Egypte a également saisi le Conseil des ministres arabes des Affaires étrangères, qui a pris une résolution selon laquelle « la sécurité en eau de l’Égypte et du Soudan fait partie intégrante de la sécurité nationale arabe ». Plusieurs pays d’Afrique ont été choqués de voir le Nil présenté comme un fleuve arabe, surtout en ce moment où la géopolitique du Nil tend à se déplacer vers l’amont.
L’UA entre en jeu
En juillet dernier, l’Egypte a fait porter la question devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Celui-ci s’est prononcé en faveur de la reprise des négociations sous l’égide de l’Union africaine (UA), contrairement aux souhaits de l’Egypte. Mais l’Ethiopie refuse toujours de faire des concessions trop importantes comme le souhaitent l’Egypte et le Soudan, étant donné que le GERD est à ses yeux l’un des derniers vecteurs d’union nationale.
Une guerre de l’eau ne ferait que des perdants. C’est la position défendue par de nombreux analystes, spécialistes du Nil. À problème technique, solution technique, laissent-ils entendre, si l’on veut vraiment résoudre le différend de façon durable. La solution qui puisse contenter les trois pays protagonistes, et, par ricochet, les autres pays du bassin du Nil, est celle de « faire recours à un apport en eau supplémentaire en aval de la zone de conflit ».
D’après eux, la RDC dont les trois protagonistes sollicitent d’ailleurs, depuis plusieurs années, l’appui ou la médiation, est « idéalement mieux placée ». Elle a un potentiel en eau impressionnant, se trouve dans la région des Grands lacs et fournit une bonne partie des eaux du Nil. La RDC pourrait donc les accompagner vers « un accord définitif qui garantisse la paix et la stabilité, ainsi que le développement durable dans le bassin du Nil ».