Pour devenir l’un des grands producteurs africains, le chemin à parcourir est encore long. Outre le cadre juridique et les techniques culturales qui posent problème, le partenariat public-privé devient le passage obligé.
Dans la perspective de la signature d’un accord de partenariat public-privé, le Groupe Nestlé a dépêché, fin septembre, une mission à Bengamisa. Dans cette localité, située à 36 km au nord de Kisangani, dans la nouvelle province de la Tshopo, se trouve une grande cacaoyère de 5 000 hectares dont environ 500 sont actuellement en exploitation. Le but de cette mission a été de faire un état des lieux exhaustif pour booster la production de cacao, explique le gouverneur Jean Bamanisa Saïdi. Il souhaite vivement que l’investisseur qui va reprendre la plantation de Bengamisa ne se limite pas seulement à la culture du cacao, mais qu’il s’occupe surtout de sa commercialisation à l’extérieur et de sa consommation au pays.
Nestlé entre en scène
Actuellement, la Société de cacao de Bengamisa produit du chocolat grâce au concours de l’Institut supérieur d’études agronomiques (ISEA). Elle avait lancé une série d’initiatives visant une production durable sur une superficie de 5 000 hectares. Grâce au soutien du gouvernement pour sauver les plantations en défrichage, la Société de cacao de Bengamisa envisageait de récolter 50 tonnes par an.
Déjà présent au Congo où il a implanté, à Kinshasa, une usine de production de cubes Maggy pour la cuisine, Nestlé est intéressé par ce projet de partenariat. Le groupe suisse est, en effet, à la recherche de nouvelles opportunités afin de faire face à une demande mondiale croissante (environ 2,5% par an) pour la fabrication de chocolat. De l’avis des experts, le cacao compte parmi les filières agricoles à même de tirer le Congo vers le haut.
Selon des études de la Banque mondiale, la production industrielle de cacao pourrait placer le Congo au rang des grands pays producteurs étant donné que son écosystème s’y prête.
Mais cela passe par la modernisation de cette culture. Les études de la Banque mon¬diale sur les cultures de rente au Congo montrent que le cacao fait partie des activités à promouvoir pour améliorer les revenus des paysans.
Ces études recommandent que le gouvernement s’inspire de l’expérience de la Côte d’Ivoire qui est parvenue à bâtir son économie avec les revenus du cacao (45% de la production mondiale).
Et c’est ce que recommandent également les experts du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Élevage dans le Plan directeur de la filière cacao.
Mais certaines pesanteurs tirent encore la production du cacao vers le bas. Il s’agit, notam¬ment, du vieillissement des plantations, de l’absence d’un code foncier… L’espoir viendra peut-être du fait que, dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires, le gouvernement a entrepris l’assainissement du secteur foncier en préconisant la redéfinition de la politique nationale en matière foncière.
Du paysannat à l’industrie
Les réformes envisagées prévoient sur les questions liées à la terre de procéder au zonage des terres en adéquation avec la politique d’aménagement du territoire; d’adapter la loi foncière aux réalités du terrain et à l’évolution de la législation au plan régional et international…Par ailleurs, pour attirer les investisseurs nationaux et étrangers, le gouvernement a décidé de faciliter l’acquisition de terres à ceux qui voudraient se lancer dans l’agriculture par le développement de nouveaux espaces agricoles nouvelles et d’installer des unités de transformation et de conservation des produits agricoles locaux.
La mission de Nestlé à Bengamisa consistait en une découverte de l’état des lieux fait par le gouvernement des unités agro-industrielles inexploitées et abandonnées. En recherchant un repreneur pour la cacaoyère de Bengamisa, les autorités de la nouvelle province de la Tshopo veulent tirer profit de la grande demande mondiale en cacao de la part de la Chine et de l’Inde, ainsi que de la remontée des cours qui sont revenus quasiment à leur niveau normal de 1 700 dollars la tonne.
D’après des experts du ministère de l’Agriculture, le Congo peut saisir cette opportunité et miser sur le cacao pour une production industrielle : le pays dispose des plus grandes réserves de terres propices à la culture. Seulement 10% des terres arables sont exploitées actuellement. Jusqu’ici, le ca¬cao est considéré comme une culture de paysannat parce qu’il est cultivé sur des petites superficies de moins de trois hectares, soit une production moyenne annuelle de 300 kg/ha d’un cacao de mauvaise qualité. Pour atteindre une pro¬duction de mille kg/ha d’un cacao de bonne qualité, il faudra alors sortir de la culture de cueillette pour la culture de rente, qui procure des revenus importants aux paysans. Dans ce processus, le principal défi à relever est l’utilisation de nouveaux plants hybrides de cacaoyer qui résistent à la maladie virale de swollen shoot ou de gonflement des rameaux. C’est depuis 2006 que ces plants sont disponibles au Centre de recherche agronomique de la zone forêt (CRA-F). Des scientifiques du Centre de recherches horticoles subtropicales (SHRS) de Miami (États-Unis) ont, en collaboration avec des chercheurs d’Afrique et d’Amérique du Sud, établi des cartes génétiques des différentes variétés de cacao à l’aide de marqueurs ADN. L’objectif est de détecter les gènes de tolérance aux maladies courantes comme la pourriture brune afin de mettre au point des variétés résistantes. Selon le ministère de l’Agriculture, le greffage de jeunes plantules avec des greffons en provenance d’arbres performants constitue la techni¬que de base pour avoir un matériel végétal de bonne qua¬lité. C’est la première condition de la réussite.
Bengamisa a été retenu comme première phase du passage de la culture de cueillette à celle de rente grâce à sa plantation de 500 ha. D’autres expériences sont menées à Tshela, dans le Kongo-Central, auprès de planteurs du Mayombe et à Bikoro dans l’Équateur où il existe plus de 10 000 planteurs de cacao. Dans cette province, il y avait la société Cacaoyère du Congo (CACAOCO) à Bulu, territoire de Budjala. Elle est en liquidation dans le cadre de la réforme des entreprises publiques. L’usine de CACAOCO est à l’arrêt depuis 1998 et sa plantation à l’abandon. Des contrats qui ont été signés avec des particuliers pour sa relance comme société agro-industrielle n’ont rien donné de positif. Le gouvernement provincial de l’Équateur a tout tenté pour sauver cette unité de production, mais en vain. CACAOCO a été créée en 1970 grâce à l’appui financier du Fonds européen pour le développement (FED). Avec sa plantation étendue sur 1 900 hectares, elle avait pour but de promouvoir le social et le développement économique par la culture et l’exportation du cacao marchand.
Dans les années 1980-1990, la CACAOCO a été privatisée au profit du Groupe Société commerciale et industrielle Bemba (SCIBE-Zaïre), de l’homme d’affaires Bemba Saolona ; puis elle est passée sous le contrôle du Centre de développement agricole industriel (CDAI). En 1998, l’État récupérera la CACAOCO, placée sous la tutelle conjointe du ministère de l’Agriculture (tutelle technique) et du ministère du Portefeuille (tutelle administrative). Au Nord-Kivu, du fait de la guerre, l’Office national du café (ONC) avait initié un projet d’insertion socio-économique en faveur des personnes déplacées de Butembo. Grâce à ce projet, ils apprenaient à cultiver le cacao. Mais sur le terrain, ces déplacés manquaient de semences et de moyens financiers.
Commencer quelque part
Le Congo ambitionne d’entrer dans le cercle des pays africains qui produisent plus de 70% du cacao mondial. Or, sa part dans la production africaine n’atteint pas encore 1%, la Côte d’Ivoire et le Ghana représentant à eux seuls 65% des exportations internationales nettes. L’Organisation internationale du cacao révèle que la production moyenne de cette culture en Afrique est de 40% inférieure aux capacités de chacun des pays producteurs. Pour devenir l’un des grands producteurs africains, estime le cacaoculteur Évariste Noti, le Congo doit prendre une série de mesures. Notamment fournir aux planteurs des plants améliorés provenant des pépinières de l’Institut national d’études et des recherches agronomiques (INÉRA), mettre en place un programme de replantation et d’utilisation d’engrais pour améliorer la fertilité des sols, faire le suivi des plantations par des phytotechniciens et réajuster les rémunérations des planteurs.