« Ôte-toi de là que je m’y mette ! » martèle le premier. « J’y suis et j’y reste ! » rétorque le second. On pourrait ainsi caricaturer le spectacle que nous donnent à voir, ces derniers temps, nos acteurs politiques. Alors que les uns aspirent d’une manière ou d’une autre à exercer les plus hautes responsabilités du pays, d’autres sont passés maîtres dans l’art de se cramponner mordicus à leurs strapontins. Jamais la question de l’alternance au pouvoir n’a autant dominé l’actualité, ni passionné les esprits sur le continent africain. Et lorsqu’il advient qu’elle s’effectue, elle s’accompagne presque toujours d’une explosion de violences indicibles. Les choses ont en tout cas atteint un tel seuil de gravité et de nuisance que nombreux sont ceux qui, de plus en plus, non seulement n’attendent plus rien de bon de nos hommes et de nos femmes politiques, mais désespèrent carrément de la politique. Ce qui est malheureux et regrettable pour nos sociétés en plein dans l’apprentissage de la bonne gouvernance et dans l’appropriation des vertus démocratiques.
Les choses ont en tout cas atteint un tel seuil de gravité et de nuisance que nombreux sont ceux qui, de plus en plus, non seulement n’attendent plus rien de bon de nos hommes et de nos femmes politiques, mais désespèrent carrément de la politique.
La démocratie ! Voilà un concept qui fait sourire d’aucuns aujourd’hui. C’est là la conséquence des décennies d’exercice chaotique et arbitraire du pouvoir dans la quasi-totalité des États africains. Un peu comme si avec le lever des soleils des indépendances, pour parler comme Ahmadou Kourouma, l’Afrique avait signé son acte de dégénérescence. Pourtant, notre descente des arbres ne date pas de la veille ! Et Dieu seul sait combien d’entités politiques autonomes, peu importe leur taille, fonctionnaient sur le continent, avant qu’esclavagistes et colonialistes de tous bords ne viennent avec leurs agendas cachés ou non vicier durablement leur destin. Il n’est pas question de nous livrer ici à la réinvention d’un passé, par définition révolu, ni de faire porter à d’autres la responsabilité de ce qui demeure, avant tout et malgré tout, les fruits amers de nos turpitudes.
Nous voudrions, dans ces lignes, vous transmettre quelques réflexions-propositions (j’en ai retenu deux) qu’un vieux de la vieille génération, celle de nos indépendances, a tenu, en toute modestie, à partager avec vous. La première idée qu’il lance est celle d’abandonner momentanément (pour une période de vingt ans au moins, propose-t-il) les élections comme modalité d’accession au pouvoir sur notre continent. Selon lui, organiser des scrutins c’est, ni plus ni moins, dilapider des ressources financières et matérielles que nous devrions affecter à d’autres besoins prioritaires. D’autant plus que de nos urnes ne sortent que contestations, zizanie, désordre et violences. Ceux qui organisent les scrutins s’arrangent pour les truquer et ne jamais les perdre, tandis que leurs challengers, lorsqu’ils ne les boycottent pas, n’admettent jamais le verdict des urnes. Que propose-t-il à la place des élections ? C’est la question que je me suis empressé évidemment de lui poser.
« Que ceux qui sont actuellement au pouvoir et qui veulent y rester, y restent tant qu’ils voudront, pourvu qu’ils nous disent clairement ce qu’ils veulent faire exactement pour le bien de tous ! » Et s’il s’avère qu’ils n’honorent pas leurs engagements ? Les politiciens, on le sait, sont très friands et très généreux en promesses… « Ils n’auront qu’à démissionner sans autre forme de procès ! » Vite dit. J’avoue être resté pantois et me suis demandé si le désaveu, compréhensible, du septuagénaire envers nos hommes politiques pouvait justifier une telle once de naïveté !
La seconde proposition du vieil homme est plus saugrenue encore. Il s’agit ni plus ni moins de l’enterrement des… partis politiques ! « Ils servent à quoi ? », m’a-t-il demandé. « Pourquoi ne pas promouvoir nos clans et nos tribus, si la finalité reste la conquête du pouvoir pour assouvir nos propres ambitions. Vous pensez que les administrations publiques, si elles privilégiaient la formation et la méritocratie, mais surtout le sens, le respect du bien public, ne peuvent pas nous aider à sortir du bourbier où nous nous sommes enlisés depuis nos soi-disant indépendances ? »
À mon humble avis – et je l’ai dit et répété au vieil homme – ces propositions sont à considérer davantage comme de la provocation, comme de l’incitation à une remise en question systématique de notre conception et praxis politiques. Une façon comme une autre d’ébranler nos certitudes. En tous les cas, j’ai eu beau lui affirmer que les années passant, les choses s’améliorent malgré tout, même à pas de tortue ; et qu’il y a lieu de ne pas désespérer de la politique, le vieil homme est resté droit dans ses bottes usées à force de battre l’asphalte de chemins de notre démocratie ou, c’est selon, de notre démocrature. « Nous allons droit dans le mur si nous persistons dans cette voie suicidaire, sans issue ! Pourquoi ne pas essayer d’autres voies ? D’autres pratiques ? La politique autrement pour tout dire ! »