« Une aubaine », « la priorité numéro un », « un eldorado », « l’avenir ». A l’évocation du marché de l’aviation en Afrique, les PDG des compagnies aériennes ont les yeux qui brillent et des projets plein la tête. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir faire planer leurs avions au-dessus du continent.
Les prévisions du secteur ont de quoi faire rêver : 8 % de croissance annoncée sur les cinq prochaines années, en moyenne, selon la Commission africaine de l’aviation civile (Cafac). A cela s’ajoute l’émergence d’une classe moyenne africaine qui aura bientôt les moyens de s’envoler. Et si les compagnies locales peinent à trouver leur place, les entreprises étrangères ne perdent pas de temps.
« Des compagnies telles qu’Emirates et Turkish Airlines s’intéressent à l’Afrique depuis quatre ou cinq ans », explique Didier Bréchemier, spécialiste du transport aérien au sein du cabinet Roland Berger. Desservant 19 destinations en Afrique il y a trois ans, Turkish Airlines a décidé de quasiment doubler son réseau. Aujourd’hui, ses 296 avions se posent dans plus de la moitié des pays du continent. Pour le transporteur turc, la conquête du ciel africain ne fait que commencer.
La semaine dernière, il a inauguré une nouvelle desserte : Maputo, au Mozambique, qui devrait être rejointe le 5 novembre par Durban, en Afrique du Sud. « Nous allons prochainement proposer dix destinations supplémentaires, annonce Temel Kotil, le PDG de Turkish. Grâce à elles, nous devrions devenir la plus grosse compagnie sur le continent ». Objectif : détrôner la plus grosse compagnie africaine, Ethiopian Airlines, mais aussi Air France-KLM. Chacune dessert une quarantaine de destinations. « En Afrique, la concurrence est partout. Lorsqu’il voyage, le client africain a plus que jamais le choix », remarque Franck Legré, le directeur général Afrique d’Air France-KLM. Actuellement en plein plan de restructuration, la compagnie franco-néerlandaise a programmé une baisse de ses capacités de l’ordre de 2 à 3 % en Afrique pour 2016. L’ouverture de nouvelles lignes n’y est pas prévue avant 2018.
S’allier pour mieux régner
Air France-KLM comme Turkish Airlines font parti des compagnies étrangères les plus engagées dans la bataille du ciel africain. Et sur le marché intercontinental, l’avance des transporteurs étrangers est phénoménale.
« Il y a beaucoup de liaisons entre l’Europe et l’Afrique. Ce dont le continent a besoin, c’est d’un transport aérien intra-africain fiable », explique Franck Legré. En 2013, plus de trois passagers sur dix partant d’une destination africaine ont voyagé à l’intérieur du continent. Une part de marché non négligeable que les compagnies étrangères sont bien déterminées à prendre.
Des compagnies africaines peu rentables
Pour y parvenir, ils multiplient les alliances avec des transporteurs locaux. « Les partenariats que nous avons développés avec des compagnies africaines complètent notre réseau sur des destinations où la demande est encore trop faible pour qu’Air France-KLM puisse y poser ses propres avions », détaille Franck Legré. Partenaire de Kenya Airways à l’Est, d’Air Côte d’Ivoire à l’Ouest, de TAAG et de Kulula au Sud, Air France-KLM quadrille le continent. Grâce à ces rapprochements, le groupe dessert 20 destinations supplémentaires.Ce genre d’accord permet aux petites compagnies africaines de remplir davantage leurs avions. Un avantage de taille quand on sait qu’un transporteur africain fait en moyenne onze fois moins de bénéfice par passager qu’une compagnie nord-américaine, selon l’Association internationale du transport aérien (IATA).
La petite taille des compagnies africaines explique leur maigre rentabilité. Avec des avions généralement moins grands que ceux des compagnies étrangères, les coûts d’exploitation par siège des transporteurs africains sont plus importants.
Leur force de frappe est encore réduite par le prix du carburant, 20 % plus cher qu’ailleurs, ainsi que par les risques géopolitiques présents dans un certain nombre de pays. « Les loyers des avions et le montant des assurances sont plus élevés car les loueurs et les assureurs considèrent que le risque de défaut de paiement est plus important », explique le spécialiste du transport aérien Didier Bréchemier.
A ces coûts d’exploitation, s’ajoutent des taxes et redevances passagers, là encore, plus élevées qu’ailleurs.
Leur montant varie d’un Etat à l’autre. Selon l’IATA, en 2001, les redevances les moins importantes se trouvaient dans la capitale du Niger, à Niamey (21,50 dollars par passager). Mais cela reste plus cher que la pratique généralement répandue dans les aéroports internationaux.
Protectionnisme
Les Etats dont les aéroports pratiquent des taxes élevées semblent protéger leur ciel. « La plupart des marchés aériens intra-africains restent vraiment fermés, à cause d’accords bilatéraux restrictifs qui limitent la croissance et le développement des services aériens », indique le cabinet expert en aviation InterVISTAS, dans un rapport publié en juillet 2014. Nombre de passagers transportés, prix, montant des droits de trafic… Tout dépend des négociations menées entre les pays.
Pourtant, en 1999, 44 Etats africains ont signé un texte destiné à libéraliser et déréguler le marché aérien intra-africain : l’accord de Yamoussoukro. Un texte consacrant le principe d’open sky, de ciel ouvert. Un accord permettant aux transporteurs des 44 Etats signataires d’emprunter n’importe quelle route sur leurs territoires. Mais en quinze ans, rares sont les Etats qui ont accepté d’ouvrir leur ciel. L’Afrique du Sud et l’Ethiopie figurent parmi les bons élèves et leurs compagnies aériennes, Ethiopian Airlines et South African Airways, figurent parmi les leaders.
Le cas Asky
« Certains pays continuent à restreindre l’accès à leur marché sous le prétexte que leur compagnie nationale n’est pas encore prête à entrer en compétition dans un marché libéralisé », affirme le cabinet InterVISTAS. « Les Etats veulent préserver leur compagnie nationale par fierté et la faire évoluer seule, mais ce n’est pas la bonne méthode », ajoute Gnama Latta, vice-président de la région Ouest au sein de la Cafac.
En Afrique de l’Ouest, une compagnie est montrée en exemple : Asky. Partenaire d’une vingtaine de compagnies dont la puissante Ethiopian Airlines, elle a la particularité de ne pas être une compagnie nationale mais communautaire. Une stratégie qui semble payer. Présente dans 19 pays au centre et à l’ouest du continent, Asky commencera des vols longs courrier en 2016. « Vers Paris, Beyrouth et Jobourg », précise son PDG, Henok Teffera.
« Tant que les Etats continueront à vouloir créer des compagnies aériennes nationales, de petites tailles, il y en aura qui déposeront le bilan », commente Didier Bréchemier. Selon l’expert, 27 d’entre elles ont déposé le bilan ces dix dernières années. Le continent compte aujourd’hui près d’une centaine de compagnies africaines dont seulement la moitié remplit les normes sécuritaires internationales, faute de moyens.
Trop nombreuses, pas assez rentables, ces compagnies peinent à concurrencer les géants étrangers. « Pour y arriver, il faudrait seulement une ou deux compagnies africaines de grosse taille, préconise Henok Teffera. Si les transporteurs africains ne collaborent pas entre eux, demain, je crains que l’ensemble de l’industrie aérienne africaine ne disparaisse ».