MKM et Huachin avaient suscité de l’espoir à leur arrivée dans la province cuprifère. Aujourd’hui, les communautés locales doivent déchanter : avec en toile de fond une opacité managériale, leurs méthodes de travail sont, pour le moins, décriées désormais. C’est en tout cas ce qui découle des conclusions d’une étude d’une ONG katangaise.
« Les investissements miniers chinois au Katanga et la détresse des communautés locales » : c’est le titre que l’ONG Premicongo a donné à son enquête sur deux compagnies chinoises, la Minière de Kalumbwe Myunga (MKM) et Huachin. Les résultats de cette observation sont sans appel : les investissements chinois dans le secteur minier au Katanga sont responsables de l’appauvrissement des communautés riveraines de leurs sites d’exploitation du fait de la mauvaise gouvernance étatique et de l’affairisme de ces investisseurs profitant des défaillances de l’État. Premicongo dit n’avoir pas voulu faire dans le sensationnel en menant son enquête. Elle fait partie du programme Multinational Conflict Affect Areas (MCAA) développé par ses partenaires néerlandais de SOMO dans cinq pays (Congo, Soudan du Sud, Liberia, Sierra Leone et Colombie). Ce programme s’intéresse au comportement des multinationales dans les zones de conflits.
L’arbre qui cache la forêt
Voilà cinq ans que Premicongo rappelle aux entreprises minières et aux institutions publiques le respect des normes environnementales et sociales. D’après les conclusions de cette ONG, l’image des entreprises minières chinoises au Katanga est celle de « compagnies prédatrices et hors-la-loi ». Un épais nuage entoure leurs activités d’exploitation ainsi que leur apport au développement durable des communautés locales. Conséquence, leur refus de collaborer traduit le manque de transparence dans tout ce qu’elles font et cela saute aux yeux. MKM et Huachin ne sont que l’arbre qui cache une réalité plus dramatique qu’on ne l’imaginait : le désastre économique, social et écologique causé par les entreprises chinoises au Katanga. Depuis qu’elles y sont implantées, la société civile tente de percer le mystère.
Enquêter dans les entreprises minières chinoises est une gageure. Premicongo l’a appris à ses dépens. L’ONG stigmatise ce qu’elle a constaté au cours de sa démarche : la mauvaise gouvernance. Elle a enrichi son enquête grâce à plusieurs cas de gestion des ressources humaines, de protection de l’environnement et de relations avec l’administration publique. Premicongo déplore ainsi la pollution qui a entraîné « la destruction » de l’espace vital des habitants des villages situés autour du site de MKM. Il n’est plus possible, désormais, de « s’approvisionner en eau, de faire la pêche, d’arroser les cultures maraîchères ou de se baigner dans les cours d’eau ». Sans oublier par ailleurs le non-respect de la législation en matière de contribution au développement socioéconomique des communautés riveraines, qui étaient déjà démunies avant l’arrivée des minings. Les habitants considèrent désormais la présence de MKM dans leur contrée comme une « calamité ».
L’ONG met également l’accent sur la « complicité » des agents des services publics qui ferment les yeux sur la violation de la législation. D’après Premicongo, MKM se permet de faire de « fausses déclarations » à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE, draft du rapport 2013) concernant ses « investissements sociaux ». L’entreprise a déclaré avoir réalisé des « paiements sociaux » d’une valeur de 151 000 dollars, notamment dans la construction de latrines (10 000 dollars), la construction et l’équipement d’un centre de santé (140 000 dollars), dans la lutte contre le paludisme (1 000 dollars) et dans la dotation (300 dollars) en équipements sportifs en faveur de jeunes du village de Kalumbwe. En réalité, c’est un « camp de fortune » pour les employés de la société. Jadis Kalumbwe désignait un ancien village des Koni. Depuis plusieurs années, le chef Koni a décidé de s’établir à Kisanfu, provoquant ainsi l’exode des habitants vers les villages voisins. Quant à Myunga, c’était le nom donné à l’immense forêt dense sèche dans laquelle se rendaient les Koni pour invoquer les ancêtres.
MKM, une joint-venture entre la Gécamines et Exaco
Créée en 2004, la Minière de Kalumbwe Myunga est une société de droit congolais. Une joint-venture entre la Générale des carrières et des mines (Gécamines, société publique) et Exaco (Société des exploitants artisanaux du Congo) dont l’objet social était l’extraction artisanale des minerais et leur traitement dans une usine située à Lubumbashi. Grâce à cette joint-venture, Exaco accédait aux gisements de cuivre et de cobalt à Kalumbwe Myunga, près du village de Kisanfu situé à 40 km de la ville de Kolwezi.
En 2005, la China Overseas Engineering Corporation (COVEC) signa un accord de joint-venture avec MKM. Dans cette nouvelle société, COVEC détenait 71 % pour avoir apporté du cash : 270 millions de dollars contre 29 pour MKM représentant la valeur de sa concession. COVEC est la filiale de la société China Railway Engineering Corporation, qui a des activités dans plusieurs pays où elle développe des projets d’ingénierie (au Maroc), de construction de routes ou dans des infrastructures de distribution d’eau (en Afrique du Sud). En dehors de MKM, COVEC détient des parts importantes dans la Compagnie minière de Luisha (COMILU). MKM a commencé à produire du cuivre et du cobalt en 2011 grâce à sa mine à ciel ouvert et son usine. Selon les données fournies par son site Web, sa production a atteint 8 700 tonnes de cuivre et 926 tonnes de cobalt par an.
Les griefs à charge
Sur la gestion des ressources humaines, il y a des faits qui méritent qu’on s’y arrête : les travailleurs congolais ont déclaré avoir des « salaires dérisoires » (250 dollars par mois pour les ouvriers qualifiés), être l’objet de « licenciements abusifs », ne pas avoir de « liberté syndicale » et de « logements décents »… Afin d’arrondir les fins du mois, ils s’adonnent à la coupe du bois dans la forêt de Myunga pour la fabrication de braise. Ils n’ont pas droit au congé et sont logés par groupe de huit à douze personnes dans des baraquements de 5 m de long et de 2,5 m de largeur…
Sur le plan environnemental, les villageois se plaignent de la « diminution substantielle des produits forestiers non ligneux » comme les chenilles, les champignons et le miel qui ont toujours fait partie de leur alimentation. Autre situation dont se plaint la population : la gestion des effluents issus du traitement des minerais par le procédé d’hydrométallurgie. Déversés dans la nature, ces effluents se fraient le chemin dans un versant de la rivière Dikanga et y terminent leur course. La rivière Dikanga se jette dans la rivière Kando, un affluent du fleuve Congo. Des employés de MKM ont déclaré aux enquêteurs de Premicongo que les effluents étaient traités à la chaux avant d’être rejetés en dehors des installations de cette société. Selon des riverains, les eaux de la rivière et des puits à proximité sont devenues malodorantes. Les baignades dans les deux rivières affectent la peau et les yeux, sans compter de nombreux poissons retrouvés morts.
L’ONG a prélevé des échantillons d’eau dans la rivière Dikanga pour analyse dans le laboratoire indépendant de Robinson International Afrique. Elle a aussi consulté le professeur Arthur Kaniki, de l’université de Lubumbashi, spécialiste en génie minérale et en environnement, pour interpréter les résultats des examens d’analyse de laboratoire. Son constat est sans appel : la rivière dans laquelle ont été prélevés les échantillons sert d’exutoire à un effluent liquide industriel comme en témoigne la valeur de la conductivité électrique très élevée. La grande concentration de plomb est un danger à la consommation d’eau et de viande, à la pêche, à la culture maraîchère. Bref, la rivière est polluée par une activité métallurgique. Pourtant, déplore Premicongo, il n’y a pas d’autres sources d’approvisionnement en eau pour la population. Les conséquences sont « néfastes » parce que la pollution de la rivière Dikanga affecte aussi la Kando et le fleuve Congo, prévient-elle. La riche faune de la Kando constituée entre autres d’hippopotames et de crocodiles est menacée de disparition.
Le chef traditionnel Koni fustige, pour sa part, le fait que MKM ne mette pas l’accent sur ses responsabilités sociales comme l’exige le code minier. L’entreprise a mené des actions sociales certes, mais elles relèvent plus de la « charité » : un don de 1 000 dollars remis au chef traditionnel, un ballon de football, quelques livres et boîtes de craies à une école. L’ONG accuse les dirigeants de MKM et l’État d’être « coresponsables » de la violation de la loi. L’État, en octroyant une concession à MKM dans une aire censée protégée, la Basse Kando. MKM, en foulant aux pieds le code du travail et la législation minière, notamment sur l’obligation d’informer et de consulter les communautés locales dans l’élaboration et la mise en œuvre des études d’impact environnemental…
Plus grave, MKM ne respecte pas les lignes directrices de la chambre de commerce chinoise d’importateurs et d’exportateurs des métaux minéraux et produits chimiques (CCCMC) dont est membre COVEC, sa société mère. Il s’agit notamment de l’obligation d’associer les communautés locales et les ONG à la mise en œuvre des plans sociaux, de respecter les droits de l’homme, de mettre en place un système de gestion de l’environnement adapté aux lois des pays d’accueil… Enfin, la société viole les Greens Credit Guidelines de la China Banking Regulatory Commission qui finance les investisseurs chinois à l’étranger. Conçues pour encourager les entreprises à inscrire leurs projets dans la durée, elles ont été publiées en 2012. L’enquête de Premicongo, laisse un sentiment de catastrophe économique et environnementale.
Huachin se fait pas mieux
S’agissant de Huachin, les enquêteurs de l’ONG soutiennent avoir vu et entendu beaucoup de choses. D’après eux, la pollution environnementale est l’impact le plus décrié par les riverains des trois sites de l’entreprise. Créée en 2005 à Likasi par quelques Congolais et Chinois comme une fonderie de minerais achetés auprès des exploitants artisanaux, Huachin s’est étendue à Lubumbashi avec l’exploitation d’une usine. En 2008, elle s’est associée à la multinationale China Non Ferrous Metal Mining Corporation (CNMC) qui était déjà présente en Zambie. De leur association est né le Groupe CNMC Huachin Metal Leaching Co Ltd dans lequel d’autres sociétés de Hong Kong contrôlées par CNMC avaient pris des parts.
L’apport des capitaux de la CNMC a permis à Huachin de lancer le projet Mabende à partir de 2014. Ce projet est actuellement le fleuron du Groupe Huachin qui possède trois sites d’exploitation : une fonderie à Lubumbashi, une autre et une carrière à Likasi, une mine et une usine de production de cuivre et de cobalt à Mabende, à une centaine de kilomètres de Lubumbashi. La Mining a l’ambition d’y produire 20 000 tonnes de cathodes de cuivre par an et compte mener des activités d’exploration dans plusieurs concessions dans le Haut-Katanga et dans le Haut-Lomami. Jusqu’en 2013, elle était en grande partie approvisionnée par la mine artisanale de Shamitumba, à Likasi. Puis Huachin est entrée en conflit avec le Groupe Bazano, qui lui conteste l’exclusivité d’achat des minerais de Shamitumba. La mine a été fermée en attendant l’issue de l’affaire pendante devant les cours et tribunaux.
En conférant à Shamitumba le statut de zone d’exploitation artisanale, le gouvernement provincial avait confié la gestion à la Coopérative Maadini Kwa Kilimo (CMKK), en swahili, ce qui signifie « les minerais en appui à l’agriculture ». CMKK encourageait ses membres à réinvestir dans l’agriculture les bénéfices tirés de l’exploitation minière artisanale. Seulement voilà, loin d’être une coopérative, CMKK était plutôt un regroupement de personnalités politiques et d’hommes d’affaires influents qui voulaient contrôler la production artisanale et faire des transactions avec Huachin.
Plaintes croisées et attaques en règle
Dans les trois sites de travail, les employés s’inquiètent de la précarité des conditions de sécurité et déplorent des accidents récurrents dans la mine et à l’usine. Curieusement, cela n’émeut personne. Les enquêteurs de Premicongo rapportent une émeute qui a éclaté en avril. Les employés revendiquaient plus de sécurité sur les lieux de travail, des équipements adéquats… En représailles, la société a licencié 35 personnes accusées d’« être les instigateurs de l’émeute ». Sur le plan environnemental, les riverains se plaignent de nuisances, de nuées de poussière, de la fumée des fourneaux et de l’exposition des produits en plein air. Ce qui leur fait courir le risque de contracter des maladies pulmonaires. Sur son site d’exploitation de Lubumbashi, les eaux de nettoyage des minerais sont rejetées aux alentours. À Mabende, le développement du projet minier a entraîné une déforestation de grande envergure.
Les communautés locales reprochent à Huachin de n’avoir pas pensé au reboisement ou à la compensation de leurs moyens de subsistance. Les études environnementales n’ont jamais été mises à leur disposition.
Quant à ses responsabilités sociales, Huachin a seulement construit deux écoles primaires à Shamitumba et deux autres dans le village de Kaboto. Des travailleurs de cette société ont indiqué aux enquêteurs un projet de construction de centres de santé et de puits d’eau potable autour des sites d’exploitation. Les enquêteurs s’interrogent sur la durabilité de ces investissements sociaux qui ont été décidés sans consulter au préalable les bénéficiaires. Par exemple, dans les écoles, les enseignants sont pris en charge par les parents d’élèves n’ayant pas, eux-mêmes, de revenus réguliers.
Dans tout cela, les populations du Katanga dénoncent l’absence d’éthique dans le management de l’entreprise. Huachin viole les droits humains et la réglementation dans le développement de ses projets miniers. Les services publics pèchent par leur complicité dans la fraude à la sécurité sociale, la violation du code du travail… La responsabilité de Huachin est également engagée dans le non-respect des directives de la CCCMC dont est membre sa société mère, des principes de la BRC malgré le financement de ses projets par des banques appartenant au consortium BRC. Les enquêteurs ont aussi constaté la dégradation de la qualité de vie dans les trois sites d’exploitation de l’entreprise. Les travailleurs considèrent celle-ci comme un « pis-aller ».
La politique du silence
En dépit de la législation et de principes des institutions chinoises qui les financent, MKM et Huachin se comportent en « hors-la-loi » ou en conquérants. Le dysfonctionnement constaté s’explique par l’incapacité de l’administration des mines et celle du travail et de la sécurité sociale à faire respecter la loi et les normes en vigueur, notent les enquêteurs de Premicongo. L’enquête démontre que, non seulement les services compétents ferment les yeux sur les violations, mais, en plus, ils y participent aussi de manière active. « En conséquence, l’effervescence des investisseurs chinois dans le secteur minier au Katanga n’a pas d’impact positif sur les communautés locales », concluent-ils. Bien au contraire, les communautés qui étaient déjà dans le zig (difficultés à vivre décemment) avant l’arrivée des minings, sont maintenant dans le zag (plus pauvres encore) à cause de la disparition de leurs moyens de subsistance.
Ce qui se passe à MKM et à Huachin est révélateur d’une situation généralisée, laissent entendre les enquêteurs de Premicongo. L’ONG recommande au gouvernement de diligenter une enquête sur tous les griefs qui sont portés contre ces deux entreprises et contre tant d’autres. Elle demande aussi au Parlement d’examiner rapidement le projet de révision du code minier en tenant compte des considérations de la société civile, notamment sur l’interdiction de l’exploitation minière dans les aires protégées et la protection de l’environnement.