Bien que profondément attachés à leurs racines, désireux de s’enrichir, ces hommes et ces femmes partagent tous la même vision. C’est par l’entreprise durable et utile que l’Afrique émergera. Le secteur privé africain – et donc l’entrepreneuriat – constitue le principal moteur des économies du continent. Ce moteur doit passer au régime supérieur, pour créer les centaines de millions d’emplois dont le continent a besoin durant ce siècle, fournir les services essentiels à l’amélioration des conditions de vie, financer par les impôts les nécessaires services publics et forger l’appropriation du capital par les Africains eux-mêmes. Cette montée en gamme ne se fera pas sans une transformation des politiques publiques : elle passe par la reconnaissance du rôle social des entrepreneurs et leur promotion, dans une Afrique encore trop vide d’entreprises, et non par leur mise en cause et le rabaissement de leur importance.
Essor économique réel
Car si l’Afrique a progressé depuis le début du XXIe siècle, c’est qu’elle a fait davantage confiance à son entrepreneuriat : elle en a été récompensée. Certes, après une cavalcade d’une quinzaine d’années avec des taux de croissance supérieurs à 5 %, la performance moyenne du continent se ralentit brutalement depuis l’effondrement des cours des matières premières, semblant cautionner les points de vue sceptiques dont il est encore victime. Et certes, la pauvreté demeure importante malgré les impressionnants progrès humains enregistrés depuis le tournant des années 2000. Les défis politiques et sécuritaires ne manquent pas non plus. Mais l’ampleur des problèmes ne doit pas dissimuler un dissimuler un phénomène considérablement sous-estimé et fort peu décrit : le réel essor économique du continent porté, en grande partie, par une révolution entrepreneuriale.
Oui, les chiffres manquent pour appréhender scientifiquement cette révolution. Cependant, l’émergence des fortunes entrepreneuriales, dont certaines commencent à être classées par le magazine « Forbes » se conjugue avec l’apparition rapide d’un tissu de PME et de start-up que l’on observe partout. Au cœur de ce phénomène : l’émergence de la classe moyenne africaine, dont les entrepreneurs sont à la fois les générateurs par la création d’emplois dans le secteur formel et les bénéficiaires grâce au pouvoir d’achat de nouveaux consommateurs. Les entreprises africaines sont en effet le plus souvent tournées vers le marché intérieur : elles profitent de l’explosion démographique africaine qui conduira le continent à 2 milliards d’habitants en 2050, dont plus de la majorité habitera en ville. Si certaines entreprises issues du secteur agricole s’intéressent aux marchés d’exportation, un grand nombre d’entre elles devra naître et croître pour répondre aux besoins, encore premiers, d’une économie continentale en transformation : l’alimentation, le bâtiment, l’équipement… Fortes de dirigeants en grande majorité qualifiés, dont certains ont travaillé dans de grands groupes internationaux en Afrique, en Europe ou aux États-Unis, elles innovent parfois de manière spectaculaire, comme par exemple dans le secteur de l’énergie, en inventant des réponses inédites alliant le photovoltaïque et le numérique. Elles investissent également avec détermination le champ de l’éducation, en créant notamment des écoles privées, et de la santé (les cliniques bourgeonnent actuellement en Afrique, comme les laboratoires pharmaceutiques ou les distributeurs de médicaments), répondant aux frustrations causées par les défaillances du secteur public.
Dualité économique
L’énergie de ces entrepreneurs est l’une des raisons profondes de la dualité économique qui est en train de s’installer en Afrique : la croissance des pays pétroliers et miniers durant les quinze dernières années (Nigeria, Angola, etc.) et la résilience de l’Afrique du Sud ont occulté l’extraordinaire trajectoire d’un grand nombre de pays pauvres, enclavés et dépourvus de ressources minières et pétrolières – y compris au Sahel. Aujourd’hui, ces pays, riches de leur marché intérieur en constante progression, du Kenya à la Côte d’Ivoire, du Sénégal à l’Ouganda, de l’Ethiopie au Togo, continuent à connaître des taux de croissance supérieurs à 6 %. Globalement, les modèles économiques se diversifient de plus en plus et l’on commence à voir pointer des spécialisations industrielles à l’exportation, comme en Ethiopie, tandis que les stratégies des grands partenaires comme la Chine ou l’Europe influent de plus en plus sur les structures économiques.
L’Afrique, une partie des solutions de l’Europe
Le futur du continent africain n’est bien sûr pas écrit : la plupart des pays sont encore fragiles en tous points et un certain nombre d’entre eux – en réduction par rapport aux dix dernières années – sont en crise politique ou militaire ouverte. L’Afrique est en première ligne face au défi de l’exploitation responsable de ses ressources naturelles pour une économie moins dévoreuse de son pactole écologique. La qualité de sa croissance doit être questionnée afin qu’elle soit plus inclusive. Enfin, une nouvelle crise générale de la dette n’est pas à exclure dans un contexte d’augmentation des taux d’intérêt et de baisse des recettes minières et pétrolières. Il n’empêche, cet élan entrepreneurial constitue une donnée sociale, culturelle, politique et économique nouvelle très favorable face aux risques et aux défis du continent. Ces nouvelles entreprises ne font pas que générer du PIB, elles structurent des filières (en créant des débouchés pour des paysans qui n’en avaient pas par exemple), transforment la vie de leurs clients (en trouvant le moyen de leur délivrer à prix accessible des produits qui manquaient auparavant), paient des impôts, développent des bonnes pratiques de gouvernance, génèrent des contre-pouvoirs sociaux, créent le salariat… Elles représentent les fondements d’une Afrique plus forte, plus indépendante, plus équilibrée.