Si les évêques catholiques ont jugé bon de se remettre au président de la République suite à l’échec des négociations politiques qu’ils ont pilotées, ayant mis face à face la Majorité présidentielle et l’Opposition radicale, c’est qu’ils ont voulu en quelque sorte ostraciser la classe politique. Mais au nom de la Realpolitik, les évêques catholiques n’ont pas renoncé à leur « mission prophétique ». Pour « l’intérêt supérieur de la Nation » et face aux « souffrances » de la population, ils ont pris l’engagement d’aider à l’application de l’accord politique de la Saint-Sylvestre (31 décembre 2016) en vue de l’organisation des élections dans le pays.
Deux fers dans le feu
Comme on le sait, deux points ont achoppé sur « l’arrangement particulier » lors des négociations en vue de l’application de cet accord. Il s’agit de la désignation du 1ER Ministre, ainsi que celle du président du Conseil national du suivi de l’accord (CNSA). C’est sur ces deux points d’achoppement que le discours du chef de l’État est justement très attendu. D’ores et déjà, dans un communiqué officiel, la présidence de la République a fait savoir, à l’issue de l’audience que le chef de l’État a accordée à une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), au palais de la Nation, que celui-ci s’engageait à sortir le pays de la crise dans laquelle il s’est embourbé après l’échec des négociations politiques. En effet, Joseph Kabila a suivi avec « beaucoup d’attention le rapport des évêques, considérant que 98 % du travail ont été faits, et que pour les 2 % restants, il s’engageait à les obtenir dans un bref délai », selon l’abbé Nshole, le secrétaire de la CENCO. Joseph Kabila a promis aux évêques de partir sur la base de leurs « propositions concrètes » pour une solution de sortie de crise, a précisé l’abbé Nshole.
Dans la guerre psychologique que se livrent les politiciens congolais sous le regard désabusé de la communauté internationale, le président de la République a sans doute le dernier mot, après l’échec des négociations sous la houlette de la CENCO. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Joseph Kabila est celui qui devra décider après tout. C’est malheureusement l’héritage de la longue dictature de la Deuxième République. Détenteur (aussi) d’une thèse en sociologie du pouvoir, le politologue Jean-Marie Kidinda explique que « dans l’architecture institutionnelle de la RDC, tout est réglé de sorte que seul, alors vraiment seul, le président de la République décide sur le sort de tous les Congolais ». Et d’ajouter : « car les volontés individuelles et les aspirations des citoyens sont concentrées sur la personne du Président. »
Pour lui, il s’agit d’« une réalité constitutionnelle implacable » à laquelle la classe politique fait preuve de « strabisme ou de cécité intellectuelle ». De son point de vue, face à la crise, Joseph Kabila est « l’homme de la situation », c’est-à-dire il a entre ses mains le destin de la RDC. « Il n’y a que lui, en sa qualité de président de la République, qui soit à même d’éviter au Congo un chaos, et surtout avec qui il faut composer pour sortir le pays de la crise », insiste-t-il. Avec le recul, Jean-Marie Kidinda estime que « Kabila n’a plus de quoi avoir peur, après la date fatidique du 19 décembre 2016 ». C’est ici, pense-t-il, que l’adresse du chef de l’État est très attendue. La population, autant que les milieux d’affaires, s’inquiètent de l’avenir du Congo. Terre de business. Un pays, où tout est opportunité d’affaires, une puissance économique de demain, d’où partira le développement durable du continent africain.
Que va dire Joseph Kabila à la Nation congolaise ? Les yeux sont désormais rivés sur le Palais du peuple. Tous les Congolais, voire la communauté internationale, sont à peu près d’accord qu’un consensus politique, même à minima, est nécessaire pour aller aux élections et remettre le pays sur les bons rails. « Ce consensus passe tout d’abord par la mise en place d’un gouvernement pour sortir le pays de l’incertitude dans laquelle il se trouve », analyse Kidinda. Face aux deux points de divergence ou de blocage aux négociations politiques, que va décider Joseph Kabila ? Les esprits les plus pondérés souhaitent que « la poire soit divisée en deux », c’est-à-dire la Majorité au pouvoir concède sur le mode de désignation du 1ER Ministre et l’Opposition reconsidère sa position sur le remplaçant d’Étienne Tshisekedi à la tête du CNSA.
Depuis la semaine dernière, les choses s’accélèrent et la diplomatie s’active. Le 1ER Ministre, Samy Badibanga Ntita, aurait été reçu, vendredi tôt le matin, par le président de la République. Était-ce pour lui demander de présenter « sa » démission, et celle de son gouvernement ? En tout cas, le communiqué de la présidence de la République était, on ne peut plus clair : le prochain 1ER Ministre sera issu du Rassemblement. Dans les milieux du pouvoir, il est hors de question de céder au « chantage » de l’Opposition. Selon ce qui en est rapporté, les négociations souterraines en vue du dialogue politique, celui de la Cité de l’Union africaine à Kinshasa, étaient menées pour aboutir à la nomination d’Étienne Tshisekedi comme 1ER Ministre. Mais les choses ne sont pas allées dans le sens souhaité, confie un membre du camp présidentiel. « Dans tous les cas, il fallait donner ce poste à l’UDPS, et surtout à un Kasaïen, après le volte-face de Tshisekedi », fait-il comprendre. Ce politicien qui a requis l’anonymat, est convaincu que « Samy Badibanga n’est qu’un accident de l’histoire ». Il pense que « ce dernier ne s’était pas préparé à occuper cette fonction, au contraire il a été surpris ».
ça ne serait pas Félix
Rien n’est si sûr aujourd’hui que ce poste soit, encore et toujours, réservé à la seule UDPS, après la mort d’Étienne Tshisekedi. À quelque chose, malheur est parfois bon. Le décès de son père l’a propulsé au devant de la scène politique de manière inattendue. Félix Tshisekedi Tshilombo, 54 ans, a été désigné président du Rassemblement de l’Opposition à la quasi-unanimité des composantes de la plateforme, et à ce titre, il est légitimement le « candidat 1ER Ministre » du Rassemblement. Petit à petit, il marque son territoire. Discrètement, il se fait recevoir par des chefs d’État du continent, sous prétexte, officiellement, de « recevoir les condoléances » à la suite du décès de son père… Ce qui n’est pas du goût des autorités congolaises. Qui sont-ils, ses hommes de l’ombre ? Ceux qui lui dictent les faits et les gestes à poser en politique, comme le font les coaches.
Cet homme qui prétend avoir la confiance du « Chef », confie que le fils Tshisekedi, tout comme Pierre Lumbi, ne seront pas aux affaires. Il donne son doigt à couper : « À l’Opposition, il ne manque pas de personnalités éminemment douées pour occuper le poste de 1ER Ministre ». Pour lui, « il faut oublier Félix ». Le baroud d’honneur est donc engagé. Il semble que la Majorité veut tester la capacité de l’Opposition à mobiliser la rue, après la mort de Tshitshi. Toutefois, ce baroud d’honneur vient rajouter à la situation déjà précaire au Kasaï, de nature à compliquer davantage l’organisation des élections. Ne risque-t on pas d’assister à une multiplication des « insurrections » à travers le pays, à l’instar de celle de Kamwina Nsapu ? Ces insurrections ne sont pas acceptables et portent atteinte à l’unité de la Nation et à la démocratie.
Jean-Marie Kidinda n’écarte pas l’hypothèse de la proclamation de l’état d’urgence pour éviter le chaos au pays. « C’est la solution extrême », reconnaît-il. Néanmoins, l’article 85 de la constitution est clair : « Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Il en informe la nation par un message. » Les modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège sont déterminées par la loi. L’article 144 de la constitution stipule en effet : « En application des dispositions de l’article 85 de la présente Constitution, l’état de siège, comme l’état d’urgence, est déclaré par le Président de la République. L’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent alors de plein droit. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire est convoquée à cet effet conformément à l’article 116 de la présente Constitution. La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l’application des dispositions de l’alinéa précédent. »
L’état d’urgence ou l’état de siège peut être proclamé sur tout ou partie du territoire de la République pour une durée de trente jours… À moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le président de la République sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de quinze jours. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent, par une loi, mettre fin à tout moment à l’état d’urgence ou à l’état de siège.
Par contre, l’article 145 précise qu’« en cas d’état d’urgence ou d’état de siège, le Président de la République prend, par ordonnances délibérées en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation. » Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la constitution. Dans un tel scénario, le professeur Kidinda voit le chef de l’État nommer des « militaires à la tête des 26 provinces et un gouvernement de crise jusqu’à la tenue des élections ».