La problématique de la corruption, et tout ce qui va avec, ne saurait être abordée aujourd’hui en termes de faut-il encore en parler ou non. Le dernier buzz du conseiller spécial du chef de l’État en charge de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, Emmanuel Luzolo Bambi, qui est dans le rôle de procureur spécial, donne à penser qu’il est désormais logique de se demander qui est propre et qui ne l’est pas en matière de probité en République démocratique du Congo.
Il y a quelques années, les évêques catholiques ont préconisé que l’on décrétât une année de lutte contre la corruption. Mais cela n’est pas encore fait. Plus que tous les autres Congolais, les prélats catholiques ont réellement pris la mesure de ce fléau. Depuis une dizaine d’années, la Conférence nationale épiscopale du Congo (CENCO) ne cesse de stigmatiser la corruption comme étant une gangrène qu’il faut radicalement juguler et extirper de la société congolaise. Aujourd’hui, toutes proportions bien gardées, qui peut dire qu’il est un Saint en matière de probité morale en RDC ?
Se référant au récit allégorique de la femme adultère dans la Bible (Jean 8:1-11), le politologue et sociologue Jean Marie Kidinda recommande de se garder de jeter la pierre dans le jardin d’autrui. En effet, il est écrit dans la Bible que Jésus se rendit à la montagne des oliviers. Mais, dès le matin, il alla de nouveau dans le temple, et tout le peuple vint à lui. S’étant assis, il les enseignait. Alors les scribes et les pharisiens amenèrent une femme surprise en adultère ; et, la plaçant au milieu du peuple, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes : toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour l’éprouver, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus, s’étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre. Comme ils continuaient à l’interroger, il se releva et leur dit : « que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle. »
Et s’étant de nouveau baissé, il écrivait sur la terre. Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un, depuis les plus âgés jusqu’aux derniers ; et Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu. Alors s’étant relevé et ne voyant plus que la femme, Jésus lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a-t-il condamnée ? » Elle répondit : « Non, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Je ne te condamne pas non plus. Va, et ne pèche plus. »
Vivement une catharsis !
Ramenée au contexte congolais, cette parabole de la Bible est riche en enseignements, souligne Kidinda. Que le Congolais qui n’ait pas encore trempé dans la corruption, directement ou indirectement, lève la main. La corruption a des ramifications partout, dans tous les secteurs de la vie nationale. Réprimer avec la dernière énergie les pratiques éhontées de corruption, et tout ce qui va avec (enrichissement illicite, escroquerie au préjudice de l’État…), c’est bien. D’ailleurs, c’est même l’idéal, pense Jean Marie Kidinda. Mais le mal, dit-il, est tel qu’il faut aujourd’hui une catharsis, à l’instar de la parabole de la femme adultère dans la Bible.
Selon le grand philosophe grec Aristote, la catharsis n’est rien d’autre que l’effet de « purification » produit sur les spectateurs par une représentation dramatique. En d’autres termes, c’est toute méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène.
« Sortir la RDC de cette malédiction, c’est de ramener tout simplement au respect des principes, à la bonne gouvernance, à l’équité, à la justice et à l’humanité », analyse et dissèque Kidinda. Et d’expliquer : « C’est de l’ordre du souhaitable, du possible et du réalisable. Cela a failli se produire en 1997, quand Laurent-Désiré Kabila est arrivé au pouvoir d’État à Kinshasa. Autour de nous, des pays comme le Rwanda, le Ghana, le Botshwana, le Malawi… s’en sortent bien, et le G20 veut encourager leurs progrès en matière de lutte contre la corruption et pour la bonne gouvernance économique… »
Kafka au Congo
Selon ce que le confrère Africa News rapporte, hormis les mandataires faisant l’objet des accusations du « procureur spécial » Luzolo Bambi, des soupçons de blanchiment des capitaux pèseraient contre les sociétés pétrolières Cobil, Total et Engen en complicité avec les banques correspondantes, notamment la RawBank, la Banque commerciale du Congo (BCDC), l’Ecobank, la Standard Bank. « Elles sont accusées d’avoir transféré à l’aide des licences d’importation des fonds à l’extérieur du pays sans contrepartie des marchandises », lit-on dans la note technique, où il est précisé que les montants documentés s’élèvent à plus de 104 millions de dollars. Tandis que Bivac, Congo Futur, la Minoterie de Matadi (MIDEMA), Socimex… sont accusés de fraude fiscale de 2010 à 2014 et doivent, pour ce fait, à l’État, quelque 2.8 milliards de francs pour Congo Futur, 32.5 milliards de francs pour MIDEMA, 2.2 milliards de francs pour Fouani Congo et 9.9 milliards de francs pour Socimex. Zenith, la société qui a perçu 10 millions de dollars pour la construction de sept passerelles sur le boulevard Lumumba, figurerait également sur cette liste.
Africa News a même donné certains détails en rapport avec 14 dossiers judiciaires que Luzolo Bambi a transmis le 4 août au procureur général de la République, Flory Kabange Numbi. Toutes ces affaires sont remontées à la surface au moment où l’État est presqu’en cessation de paiement. L’argent paraît être dans les poches de quelques privilégies. Pendant que fonctionnaires et agents de l’État sont impayés depuis près de deux mois. La liste provisoire qu’aurait confectionnée par le conseil spécial Luzolo sous la forme d’une note technique adressée au PGR, porterait, dans un premier temps, sur des mandataires publics en fonction ou honoraires comme le directeur général de la Régie des voies aériennes (RVA), Bilenge Abdalah ainsi que son directeur financier Mwamba Sabiti, soupçonnés de détournement des deniers publics de l’ordre de 48,2 millions de dollars et d’avoir hypothéqué « toutes les recettes de la RVA à la RawBank en signant un contrat de gré à gré qui leur permet, sous couvert d’une gestion opaque de l’IDF, go pass, de retirer des sommes colossales auprès de la RawBank sans justifications ».
Africa News cite aussi l’ancien directeur général de la Direction générale des impôts (DGI), Dieudonné Lokadi Moga, soupçonné de faits de corruption, « en complicité avec » le directeur des grandes entreprises, Mbuyu, et le receveur principal, Mbambi Munuki. Il leur serait reproché d’avoir dégrevé « totalement » la somme de plus de 226,5 milliards de francs payée au Trésor public par la société Minoterie du Congo. Le nom de Kansou Saeb, patron de Minocongo, y apparaît également. Selon le même journal, Luzolo Bambi accuserait également la société Minocongo de blanchiment des capitaux pour avoir transféré, au moyen des licences d’importation modèle IB à travers Byblos Bank, la somme de 54,6 millions de dollars. C’est dire que des banques seraient trempées dans la magouille jusqu’au cou.
Ce n’est pas tout. L’ancien directeur général de l’Office de gestion du fret multimodal (OGEFREM), n’est pas, Anatole Kikwa, est dans le viseur du conseiller spécial du chef de l’État. On lui reprocherait le détournement présumé, de connivence avec son directeur financier, Numbi Yanga, de la somme de plus de 7 milliards de francs et 15.7 milliards issues respectivement de la TVA et de l’IPR collectés et à reverser dans les comptes du Trésor. Le liquidateur de Lignes aériennes congolaises (LAC, Norbert Sengamali, devrait, lui, répondre de la spoliation des biens meubles et immeubles de cette société en liquidation et détournement des recettes issues de la vente de certaines maisons de cette compagnie aérienne. Les recettes de deux actes de vente de deux immeubles qu’il reconnait avoir vendus s’élèvent à 1 million de dollars.
Les 14 dossiers présentés au procureur général de la République ne constituent qu’une première vague. Des sources dignes de foi évoquent environ 50 dossiers concernant également des ministres en poste et honoraires, des gouverneurs, des opérateurs économiques privés, des hauts fonctionnaires de l’État. Affaire à suivre.