Incitations fiscales, investissements et croissance : un trinôme indissoluble

Beaucoup de pays en voie d’émergence économique sont en train de changer le logiciel en matière de compétitivité industrielle. Cependant, on observe qu’il ne suffit pas de changer pour changer. Le problème de fond, c’est comment trouver un équilibre entre les trois termes de la relation.

 

En novembre 2014, Libreville, la capitale gabonaise, avait accueilli, du 20 au 21, des assises sur la fiscalité, comme la République démocratique du Congo vient d’en organiser du 11 au 14 septembre. Au cours de ces assises, Olivier Benon d’AFRITAC Centre et Patrick Petit du département des finances publiques (FAD) avaient expliqué les « relations théoriques et empiriques » entre incitations fiscales, investissements et croissance, qui forment en quelque sorte les trois termes du binôme de l’industrialisation.

D’entre jeu, tous les spécialistes sont à peu près d’accord pour souligner que « l’investissement est le moteur de la croissance économique ». R. Solow (1956), P. Romer (1986) et bien d’autres économistes trouvent qu’investissement et croissance forme un couple (relation) empirique fort. Pour eux, il existe plusieurs types d’investissements, qui se résument au capital : physique (machines, routes, etc.) et humain (éducation, formation, santé). Tous les investissements, physiques ou humains sont importants, font-ils remarquer. Les investissements peuvent venir du gouvernement ou des entreprises d’État. On parle alors d’investissements ou des biens publics. Par exemple, les routes, l’éducation, la santé, la sécurité, etc. Tout comme les investissements peuvent venir des entreprises, qui sont des unités de production de biens et services privés. Qu’il s’agisse de l’État ou du secteur privé, chacun doit jouer son rôle. Aujourd’hui, les États qui aspirent à l’émergence font face à la problématique des incitations fiscales pour favoriser les investissements privés et, par conséquent, créer la richesse ou la croissance. Cette problématique ressemble fort à la quadrature du cercle.

Pour Olivier Benon et Patrick Petit, l’investissement public a d’importants effets d’entraînement sur l’investissement privé. Et réduire les taxes au point de compromettre l’investissement public nuit à l’investissement privé. Que faire alors ? Rien à faire, il faut trouver le juste milieu, c’est-à-dire le point d’équilibre tout en faisant attention à la qualité des investissements publics. Selon ces deux experts, il faut avoir de « bons processus de budgétisation et de sélection des investissements publics ».

Les préalables à l’investissement privé

En ce qui concerne les déterminants de l’investissement privé, l’environnement économique et légal est un préalable absolu. Les déterminants économiques et légaux les plus importants sont : l’existence d’un marché intérieur important et/ou l’ouverture au commerce international ; les infrastructures publiques (routes et ports pour donner accès aux marchés, l’électricité, etc. ; un système légal stable, prévisible, efficace ; une main d’œuvre qualifiée… Bref, il faut assurer à l’investisseur potentiel l’accès au marché, lui garantir de faibles risques et de bas coûts d’exploitation.

Alors, question : est-ce que fiscalité peut être une entrave à l’investissement ? Dans une étude réalisée en 2001, Wunder montre que sur un échantillon de 75 grandes entreprises investissant à l’étranger, seules 4 ont identifié la fiscalité comme facteur principal de décision. En 2007, Moody, quant à lui, a noté que les investissements étrangers des multinationales américaines sont faiblement influencés par des arrangements fiscaux spécifiques. Il convient de dire qu’on fait trop d’emphase sur le climat des affaires : accès au marché, faibles risques et bas coûts d’exploitation, etc. Mais on oublie souvent le rôle de la fiscalité. Qui d’ailleurs est un facteur secondaire pour l’investissement, selon Olivier Benon et Patrick Petit… Mais une fiscalité débridée, mal conçue ou mal administrée peut être un obstacle significatif, soulignent-ils.

Et ils le démontrent par quelques exemples de déséquilibres de la politique fiscale : taux et assiettes instables (changements fréquents et imprévisibles), impôt des sociétés élevé, crédits de la TVA non remboursés, foisonnement des taxes indirects, etc. Mais par des exemples de déséquilibres de l’administration fiscale : procédures complexes, harcèlement administratif et multiplicité des intervenants, absence de recours judiciaire crédible et efficace, etc. D’après eux, la fiscalité a un « pouvoir de nuisance important ». Par conséquent, elle doit être « stable et modérée, son assiette large et sa mise en œuvre simple, transparente et peu coûteuse ».

Pourquoi des incitations fiscales? 

Les spécialistes définissent une incitation fiscale comme « mesure d’exception au régime fiscal ». D’où la question : pourquoi une exception? Selon Olivier Benon et Patrick Petit, c’est pour compenser soit un handicap économique (par exemple, l’éloignement, les infrastructures déficientes), soit des lois fiscales trop agressives. C’est aussi pour des raisons de compétitivité fiscale par rapport aux pays voisins (ou comparables) ou des raisons politiques diverses (par exemple favoriser un secteur, une région, etc.)

Certains gouvernements se demandent si la perte de revenu due à des incitations fiscales en vaut la chandelle. Nos deux spécialistes expliquent qu’avec cible de revenu fixe (financer le budget), baisser le fardeau fiscal des uns ne peut se faire qu’en augmentant celui des autres si l’investissement total n’augmente pas. C’est ce qu’on appelle le « déplacement de l’investissement dans l’économie ». D’après eux, si on parvient à stimuler l’investissement extérieur à travers la compétition fiscale dynamique, celle-ci est potentiellement dangereuse. C’est ce qu’on appelle le « déplacement de l’investissement mondial ». À leurs yeux, la seule solution viable pour tous à long terme est d’augmenter l’investissement en déplaçant le fardeau vers d’autres assiettes (par exemple, la consommation) et en baissant le fardeau pour l’investissement en général.

Le débat se corse : vaut-il mieux avoir des incitations fiscales ciblées ou un régime généralement favorable à l’investissement? Le choix n’est pas facile à faire. D’emblée, il convient de dire que les incitations fiscales s’opposent à la fiscalité favorisant l’investissement. Généralement, les incitations fiscales sont des mesures ciblées visant des secteurs ou des entreprises particulières. Généralement dans une section fiscale d’un code des investissements. Généralement, il y a sélection et approbation préalable des projets. Généralement, le processus est discrétionnaire, souvent avec un comité de sélection. En principe, la vérification de conformité ex-post est indispensable, mais en pratique, peu de vérification par manque de moyen.

Par contre, les mesures générales favorisant l’investissement sont celles qui visant l’investissement au sens large. En d’autres termes, la fiscalité favorisant l’investissement ne vise pas des secteurs ou des entreprises en particulier. Généralement, elle est contenue dans le code général des impôts. Il n’y a aucune sélection préalable (mesures appliquées via le processus de déclaration) ni de processus discrétionnaire. La vérification est aléatoire, basée sur le risque et intégrée à la procédure fiscale standard.

Parmi les mesures fiscales typiques, il y a premièrement, les incitations ciblées typiques. Ce sont les congés fiscaux (utilisés surtout utilisé pour l’IS), les baisses de taux ciblées pour projets qualifiés (patente, etc.), les Zones spéciales (exportations), les exonérations diverses (TVA, droits de douanes, etc.). Deuxièmement, les mesures générales typiques. Ce sont les bas taux d’IS pour tous, l’élimination/la modulation des taxes sur le capital (patente, par exemple). Troisièmement, les mesures ciblées ou générales (en fonction de leur portée). Ce sont les crédits d’impôts pour investissement, la déduction du revenu pour investissement et la dépréciation accélérée.

En ce qui concerne l’utilisation des mesures fiscales en Afrique, on retiendra utilement que les taux d’IS sont élevés et les mesures « ciblées » abondantes. Par ailleurs, la performance de l’investissement est décevante. À propos des mesures fiscales utilisées, on observe que la part des pays d’Afrique subsaharienne offrant des incitations ciblées est en nette progression, en ce qui concerne le congé fiscal, l’IS réduit, la déduction pour investissement, les incitations à l’exportation, les zones franches et le code des investissements. Pour ce qui est de l’évidence empirique sur les régimes ciblés, il y a lieu de noter que l’estimation empirique est difficile à faire, surtout pour les pays à bas revenu. En effet, il y a peu de données fiables.