Il a côtoyé et travaillé avec les trois derniers présidents de la RDC. Ministre sous Mobutu, Kabila père et fils, le lieutenant-général Denis Kalume, 71 ans, est aujourd’hui coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba. Quatre ans après la signature de ce document conclu sous l’égide de l’ONU et censé aplanir les rapports souvent tendus dans la région des Grands Lacs, l’officier dresse un tableau bien sombre de la qualité des relations entre son pays, la RDC, et ses voisins de l’Est, particulièrement le Rwanda et l’Ouganda.
C’est d’ailleurs pour évaluer le degré de collaboration entre la RDC et les autres États signataires de l’accord-cadre qu’une « réunion de haut niveau » est prévue à Brazzaville en marge du septième sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) qui s’ouvre ce jeudi 19 octobre à Brazzaville. Cinq chefs d’État ont fait le déplacement : l’Angolais João Lourenço, le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra, le Congolais Joseph Kabila, le Rwandais Paul Kagame et le Zambien Edgar Lungu.
Jeune Afrique : Quatre ans après sa signature, l’accord-cadre a-t-il produit des effets escomptés ?
Denis Kalume : La paix n’est toujours pas revenue dans l’Est de la RDC. Et c’est toujours dans cette partie de notre territoire que nous enregistrons des problèmes avec nos voisins. C’est pourquoi, de l’avis de la société civile locale, la RDC doit se désengager de la CIRGL. Car cette dernière ressemble de plus en plus à une machine à blanchir l’exploitation illicite de nos matières premières. Pis, l’engagement souscrit par tous les États de ne pas abriter ni soutenir des groupes armés à partir de leur territoire n’est toujours pas tenu par nos voisins. L’Ouganda, comme le Rwanda d’ailleurs, nous croit naïfs
Qu’est-ce que la RDC reproche concrètement au Rwanda et à l’Ouganda ?
Le Rwanda et l’Ouganda hébergent toujours des criminels de guerre que nous recherchons. Et pourtant il existe des protocoles de coopération judiciaire entre nos États. Dans ce cadre, ils devraient autoriser l’extradition de Laurent Nkunda, Jules Mutebusi et autres auteurs présumés des crimes imprescriptibles contre lesquels nous avons émis des mandats d’arrêts internationaux.
Récemment d’ailleurs, Sultani Makenga et ses hommes de l’ex-rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23) se sont infiltrés en RDC mais se sont heurté à la résistance de notre armée. Ils se sont repliés en Ouganda d’où ils venaient. Kampala l’a reconnu. C’est l’une des preuves patentes de l’appui que ces insurgés continuent de bénéficier dans ce pays. Mais nous n’avons entendu aucune condamnation de la part de la CIRGL. Elle est restée aphone alors le protocole de non-agression et de défense mutuelle était violée.
Avez-vous depuis demandé des explications aux autorités ougandaises ?
Bien sûr. Mais l’Ouganda, comme le Rwanda d’ailleurs, nous croit naïfs. Nous ne le sommes pas ! Nous sommes plutôt de bonne foi.
La non extradition de ces criminels de guerre présumés ne traduit-elle pas aussi une certaine faiblesse de la RDC à peser dans les rapports de force avec ses voisins ?
Prenons le cas de Jamil Mukulu [chef des Forces démocratiques alliées, ADF, rébellion ougandaise active dans le territoire de Beni, dans l’est de la RDC, NDLR]. Il a été condamné par contumace par la justice congolaise dans l’assassinat du colonel Mamadou Ndala. Il est recherché par la RDC. Lorsqu’il a été arrêté en Tanzanie, nous avons dépêché des émissaires sur place pour le récupérer, mais l’Ouganda nous a précédé et l’a pris. Nous lui avons demandé de nous l’extrader. Nous avons évoqué le protocole sur la coopération judiciaire de la CIRGL, mais comme Museveni en était président, notre requête est restée lettre morte.
Nos voisins continuent d’appuyer des groupes armés qui déstabilisent notre pays. Conclusion de l’affaire : Mukulu, qui est supposé être au cœur même de la rébellion de la LRA qui massacre les civils en RDC, se trouve toujours entre les mains d’un pays voisin qui a signé des accords de coopération judiciaires avec nous.
Entretemps, la RDC milite pour que les victimes des ADF, les veuves et orphelins, aient l’occasion de voir cet homme pour lui exprimer leur tristesse. Pour l’instant, nous ne recevons pas de réponse de la part de Kampala. Nous avons même sollicité l’autorisation de dépêcher des avocats pour assister au procès là-bas. En vain. Cette situation illustre bien le fait que le respect des engagements internationaux dépend des signataires de bonne foi ou de mauvaise foi. Nous, nous avons affaire aux signataires de mauvaise foi.
N’est-ce pas aussi un problème d’efficacité de la diplomatie congolaise ?
Je crois que la RDC a fait tout ce qu’il fallait faire. C’est désormais aux garants de cet accord-cadre, l’ONU et les autres organisations sous-régionales, de jouer leur rôle. Car nos voisins continuent d’appuyer des groupes armés qui déstabilisent notre pays.
Concernant les ADF, Kampala se dit prêt à envoyer des troupes pour aider les soldats congolais à traquer ces rebelles ougandais. Que vous inspire cette annonce ?
Des officiers ougandais de renseignement sont déjà présents en RDC dans le cadre du Mécanisme conjoint de vérification, basé à Goma. Et d’autres ont été autorisés à se rendre à Beni. Cela dit, si l’Ouganda veut vraiment nous aider, il doit commencer à cesser tout appui aux ex-combattants congolais qui sont sur son sol.
Quel est le sort que la RDC compte réserver à ces ex-rebelles du M23 une fois rapatriés ?
Il n’y a pas d’exception. Ils devront s’inscrire dans le processus global de description politique en cours. Il y a également le « DDR », ce processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ex-combattants. Là, nous avons un grand problème : à l’issue de leur formation, ils devraient recevoir un kit qui leur permet de se réinsérer dans la vie civile. Pour ce faire, la RDC devait débourser deux millions de dollars par an, elle en a donné 10 millions en deux ans ! La part de nos partenaires internationaux pour compléter les 80 millions de dollars convenus pour ce processus, se fait toujours attendre. Nous avons besoin de l’argent.
Sur le plan interne, l’accord de la Saint-Sylvestre, considéré comme compromis politique de la dernière chance, semble souffrir dans sa mise en œuvre. Que faut-il faire pour rectifier le tir ?
Ses signataires sont encore vivants. Il faut leur demander.