En vélo. À cheval. À dos de chameau. En Concorde. En canoë. Par satellite. Dans l’espace. Elle en a fait du chemin, la flamme olympique, elle qui vient d’atterrir mercredi 1er novembre à Incheon, dans la banlieue de Séoul (Corée du Sud), pour rallier Pyeongchang, théâtre des Jeux olympiques d’hiver qui se dérouleront dans la station du 9 au 24 février prochain. Du vu et revu, les images des prêtresses qui l’allument à l’aide des rayons du soleil sur les contreforts d’Olympie, les relayeurs qui portent la torche à bout de bras, et les scénographies de l’allumage final. Certes. Mais derrière la grande histoire se cachent des détails croustillants moins connus du grand public.
Quand le fenouil a failli supplanter la torche olympique
L’idée du relais de la torche olympique est née dans l’esprit de l’universitaire Carl Diem, bras droit du patron des Jeux de Berlin de 1936. Non que cela remonte aux Jeux antiques, mais on trouve trace dans l’histoire grecque de l’époque des relais de torches sur quelques kilomètres entre deux bâtiments. Qu’à cela ne tienne, Diem échafaude un parcours ralliant Olympie à Berlin, en passant par les Balkans, puis la Hongrie et l’Autriche. Séduit, Hitler demande aux théoriciens du régime de trouver des liens entre les Aryens et les Grecs. Dans le même temps, une réflexion pratique se met en place : avec quoi organiser le relais ? La tige de fenouil, qui brûle très lentement et qui figure en bonne place dans le mythe de Prométhée, l’homme qui a découvert le feu, tiendra longtemps la corde, raconte l’historien Walter Borgers dans son livre Olympic Torch Relays. Avant d’être supplantée par une torche métallique fabriquée par l’aciériste Krupp, plus connu pour sa production d’armes et de canons.
Quand la flamme a failli voyager sur un croiseur. Très fier de son idée de relais, Carl Diem déploie une énergie considérable à convaincre le Japon, hôte désigné de l’édition 1940, de poursuivre la tradition. Les dignitaires de l’empire d’Hirohito sont moins enthousiastes. D’abord, à cause de la trotte qui sépare Olympie de Tokyo. Ensuite parce que la perspective de traverser un territoire agité comme la Chine, où les Japonais n’ont pas bonne presse, présente des risques considérables. Plan B : envoyer un croiseur récupérer la flamme en Grèce – on a vu mieux comme symbole de paix et de fraternité – puis improviser un relais symbolique sur l’archipel, raconte l’historien David Goldblatt dans son livre The Games qui retrace en longueur l’histoire des Jeux. En 1938, alors que les tensions croissent en Asie du Sud-Est, le journal Akhai choisit d’ironiser sur le problème : « Autant envoyer un kamikaze aller chercher la flamme ».
Quand la Reine impose un beau gosse comme dernier relayeur
1948. Au tour de Londres de s’y coller. Dans une Grande-Bretagne encore meurtrie par la guerre, l’événement est organisé avec les moyens du bord. Personne ne fait la fine bouche sur les baraquements qui font office de village olympique, les installations parfois rudimentaires et les rations militaires servies aux athlètes. Sauf sur un point. Elizabeth, épouse du roi George VI, met son grain de sel dans le choix du dernier relayeur, celui qui va allumer la flamme olympique. En toute logique, l’honneur doit revenir à Sydney Wooderson. Recordman du monde du mile depuis 1937, il représente une solide chance de médaille et est connu du grand public. Mais le « Mighty Atom », un binoclard d’1,67 m pour 56 kg, n’a pas la carrure aux yeux de sa Gracieuse Majesté. « Bien sûr, nous ne pouvons pas imposer ce pauvre petit Sydney », a lâché Sa Majesté, selon le commandant Bill Collins, qui supervisait les opérations, cité dans The Games.
Changement de casting : c’est John Mark, un honnête coureur de 400 m qui est choisi pour sa belle gueule. « Il ressemblait à un dieu grec, reconnaît Harold Abrahams, un des athlètes qui inspirera le film Les Chariots de feu cité dans le Daily Express. Il correspondait parfaitement à l’image d’un Adonis gravissant le mont Olympe, torche en main. » Résultat garanti : « Quand il a pénétré dans l’enceinte, toutes les femmes se pâmaient », raconte au quotidien Fanny Blankers-Koen, sprinteuse néerlandaise qui raflera quatre médailles d’or cette année-là. « J’ai essayé d’obtenir un rendez-vous avec lui après les Jeux, mais il m’a fait savoir qu’il était trop timide pour me rencontrer. Quel dommage ! »
Quand un aigrefin bricole une fausse torche avec son slip. En 1956, les Jeux investissent pour la première fois l’hémisphère sud, et l’Australie fête dignement l’événement. Avant de prendre ses quartiers à Melbourne, la flamme olympique fait un crochet par Sydney, où des milliers de personnes se passent la torche. Un étudiant facétieux, Barry Larkin, effectue les derniers hectomètres pour remettre la torche au maire de la ville. Ce dernier, Pat Hills, a bien les doigts qui collent un peu quand il brandit la flamme, mais il ne se rend compte de rien jusqu’à ce qu’un de ses adjoints lui glisse à l’oreille : « Ce n’est pas la torche ».
C’est le moins qu’on puisse dire : une boîte de conserve enchassée dans un pied de table, le tout hâtivement peint couleur argent. Comme combustible, Larkin a fourré tout ce qu’il avait sous la main… y compris son slip. Si le maire a pris la blague avec humour, la foule n’a pas caché sa colère… quand le vrai relayeur est arrivé avec la vraie torche un quart d’heure plus tard. L’étudiant potache, lui, a depuis longtemps tourné les talons : « Je me suis perdu dans la foule, j’ai pris un tram et j’ai filé à la fac », raconte Larkin, dont l’identité ne sera révélée que des années plus tard, à The Independent. Selon la légende, le doyen de l’université aurait dit au plaisantin à son arrivée en classe : « Bien joué mon garçon ! »
Quand le relais de la flamme olympique inspire Reagan pour sa réélection. En 1984, Los Angeles a obtenu du CIO de couvrir toutes les dépenses liées aux Jeux, et le droit d’aller chercher des sponsors à tour de bras. Le relais de la flamme olympique devient donc un événement AT&T, la puissante compagnie de télécoms américaine. Une trentaine de cadres de la société sont détachés pendant plus d’un an pour réfléchir au tracé et en faire un événement : dans chaque ville, des grands concerts sont organisés, les spectateurs sont couverts de gadgets et peuvent gagner de nombreux lots. Bilan : 30 millions de personnes assistent à l’événement au bord de la route et les chiffres d’audience cumulée atteignent quatre milliards de téléspectateurs. « L’événement le plus suivi de tous les temps », claironne à l’époque le New York Times, cité dans le livre A Geography of Public Relations Trends.
Devant son poste, Ronald Reagan
Le président américain, candidat à sa réélection, profite de l’élan populaire autour du relais pour décrire une Amérique apaisée lors des quatre années de son premier mandat. « À San Francisco, on a vu un immigré vietnamien de 99 ans, son petit-fils sur les épaules, faire signe aux photographes et aux policiers au moment de passer le relais à une jeune femme noire de 19 ans poussant le fauteuil d’une dame blanche de 88 ans qui tenait la flamme », décrit Reagan. Une pause, théâtrale. « Ça, c’est l’Amérique ». Fin août 1984, le discours lance sa campagne durant laquelle il fera du petit bois de son adversaire démocrate.
Quand la torche visite la grande barrière de corail. Le relais de la flamme olympique a souvent été la cible de manifestants qui cherchaient à éteindre la flamme pour se faire entendre. Indépendantistes catalans en 1992 (déjà), opposants à la ligne de TGV Lyon-Turin en 2006, admirateurs de Barry Larkin munis d’un extincteur à Sydney en 2000… Cette même année, les organisateurs du relais veulent frapper un grand coup et faire voyager la torche le long de la grande barrière de corail. Sous l’eau, donc.
Une prouesse technique : pour que la flamme résiste à l’océan, il faut qu’elle brûle à 2000°C afin d’empêcher l’eau de s’introduire dans le tube. Une « capsule pyrotechnique » comme la décrit son créateur, qui permet d’obtenir trois minutes de feu au milieu des poissons. Pas une seconde de plus. « C’étaient les limites de la capacité de la torche », déplore Charles Tegner à la BBC. Neuf mois de travail pour obtenir « des flammes bien visibles ». La photo fera le tour du monde, et la biologiste Wendy Craig Duncan avec : « Amener la torche olympique dans la grande barrière de corail constitue un rêve devenu réalité. »
Quand le poids de la torche pèse sur le moral des relayeurs. La plupart des relais de la torche olympique se font à pied. Il faut donc tenir à bout de bras un objet d’une soixantaine de centimètres de haut pendant un ou deux kilomètres. Pour les Jeux de Turin, c’est le prestigieux designer Pininfarina (qui dessine des voitures pour Ferrari, entre autres) qui est choisi. La torche de l’édition 2006 est superbe… mais très lourde. Plus de 2 kg, ce qui en fait la troisième plus pesante de l’histoire des Jeux.