Alors que les sonorités africaines ont opéré un grand retour en force ces dernières années en imprégnant un paquet de genres comme le hip-hop ou les musiques électroniques, 2017 marque l’avènement d’un pays en particulier : le Congo, dont les artistes se sont largement exportés en nos contrées, et dont les grands noms de la musique dite « moderne traditionnelle » influencent les artistes français. L’un des exemples les plus marquants se nomme Tshegue. Le duo composé de la chanteuse Faty et de l’as du rythme Dakou, tient son blase du surnom que l’on donne aux enfants au Congo, aux « gosses des rues de Kinshasa qui font du son, qui sont un peu rebelles », comme nous le confiait la frontwoman cet été.
Dans la lignée de Tabu Ley, Papa Wemba ou Koffi Olomidé
Leur titre Survivor démarre avec un riff de guitare typique de la rumba congolaise. C’est Faty, née à Kinshasa, qui a ramené ces influences dans la formation. « En fait, mon père est Guinéen. Il est Peul, plus exactement. Et ma mère est Sénégalo-congolaise. Je suis née à Kinshasa et j’y ai grandi jusqu’à mes neuf ans. On habitait à côté d’un bar, il y avait tout le temps des lives, de la musique du matin au soir. Mes trois frères sont musiciens, l’un d’eux a même fait partie du groupe de Koffi Olomidé, mes oncles faisaient du son… J’ai grandi dans cet environnement. Il y avait de la rumba, du kotazo, du soukouss dans les années 80, puis du kuduro… Mais j’ai plus connu les rythmes de la rumba parce que ma mère était fan de Tabu Ley, de Franco Luambo… Ce sont des grands messieurs au Congo, tu grandis forcément avec ça.»
Koffi Olomidé, Tabu Ley, Franco Luambo… Des noms qui ont fait les grandes heures de la musique congolaise, de la rumba notamment, ce style importé de Cuba dans les années 1930, réajusté à la sauce africaine, mais qui n’a plus grand chose à voir avec les sonorités latines. C’est la musique des parents, qui s’est grandement transmise.
Tshegue est certes le nom du duo parisien, mais c’est aussi le surnom du rappeur Gradur (Sheyguey), originaire du Congo mais ayant grandi entre Roubaix et Hem. S’il est passé totalement au travers de l’année 2017, il est cependant un exemple parmi d’autres de rappeurs possédant des origines congolaises : Kalash Criminel, Maître Gims, Damso, Siboy, Niska, Shay, Naza, Keblack, Passi, Lino, Despo Rutti, Baloji, Youssoupha, Kimya… Et forcément, pour une bonne partie d’entre eux, cela se ressent dans leur rap. Outre ceux qui marient directement rap et rumba, comme Baloji, Naza ou encore Kimya, il y a aussi ceux qui optent régulièrement pour le lingala dans leurs textes, principale langue du Congo après le français, parlé par 36 millions de ses habitants. Siboy sur Bordel (« Dans le regard, je lis esprit mabé / Les keufs me questionnent, j’réponds : nayebi te »), Kalash Criminel sur Oyoki (« Les keufs me cherchent, j’suis pas là / On t’laisse au sol, o ko tikala / Yaka to bina to sépéla / Même Jul va rapper en lingala »), Naza sur Va Chercher… Des exemples parmi bien d’autres.
Les featuring font le lien
Et si en 2017 un artiste est parvenu à bâtir un pont solide entre le rap et la musique congolaise, c’est bien Fally Ipupa. Protégé de Koffi Olomidé (lui-même protégé de Papa Wemba) à ses débuts en 2006, il a su se constituer une renommée gigantesque en son pays et au cœur de la diaspora. Considéré comme l’un des plus grands chanteurs du Congo, héritier d’une tradition musicale extrêmement forte, Fally Ipupa sortait son quatrième album, Tokooos, en juillet 2017. Dans la liste des featuring : Booba, MHD, Naza, Keblack, Shay…
Le succès est balèze, même si la star en son pays délaisse quelque peu la rumba qui l’avait propulsé en haut de l’affiche pour un style moins ancré dans la tradition, plus propice aux featuring avec des rappeurs. « On ne peut pas quitter la rumba, confiait-il cet été à France24. Je suis artiste congolais, je suis natif de Kinshasa, mais ma musique, j’ai envie de l’appeler tokooos music aujourd’hui. Je propose aux gens un album très ouvert, mais je reviendrai un peu plus tard avec un album rumba. » Si le prochain album prévoit autant de rappeurs invités que sur Tokooos, le mélange rap et rumba promet d’être assez fou.
Le paysage rap français semble donc revendiquer plus explicitement son héritage congolais. Peut-être que le succès de MHD a aussi amené un public bien plus large à considérer certaines sonorités venues du continent africain. Alors certes, la rumba congolaise n’est pas très omniprésente dans l’afro-trap du jeune artiste, mais l’influence est là, et son duo avec Fally Ipupa sur « Na Lingui Yé » sorti cette année sonne comme un rapprochement supplémentaire entre ces cultures musicales.
« Que des gamins découvrent Tabu Ley grâce au rap, c’est formidable »
Mais les rappeurs et le duo Tshegue ne sont pas les seuls à avoir représenté la musique congolaise en 2017. Dans le sillage des Staff Benda Bilili, groupe séparé en 2012, mais ayant notamment donné les Mbongwana Star dont l’album From Kinshasa a cartonné en 2015, d’autres noms ont fait l’actu. Pierre Kwenders, d’abord. En septembre dernier, son album Makanda at the End of Space, the Beginning of Time mêlait musiques électroniques, dub, soul, rumba, hip-hop et R’n’B. Né à Kinshasa, il est parti vivre au Québec à l’adolescence, et marie ses deux principales influences, congolaise et nord-américaine, dans sa musique. Sur Sexus Nexus Plexus, single de l’album, il chante en quatre langues différentes.
Il confiait au média Jack : « J’ai grandi en écoutant de la rumba congolaise, puis, j’ai découvert de nouveaux genres, de nouveaux artistes : Michael Jackson, du disco sud-africain de la fin des années 1980, Yvonne Chaka Chaka… Il faut réussir à ressortir tout ce bagage accumulé durant les nombreuses étapes de ma vie, et manier plusieurs langues est moyen de le faire. Aujourd’hui avec des artistes, notamment français, comme KeBlack ou même MHD, tous ces jeunes qui font le nouveau rap, qui vont puiser dans la rumba ou le ndombolo, on voit que la rumba se marie très bien avec les sonorités électroniques. Ils amènent le rap ailleurs, je trouve ça magnifique.
On peut très facilement marier plusieurs genres ensemble et en créer un nouveau, ou donner un renouveau à un style. L’évolution de la rumba congolaise est incroyable. Après les grands noms des années 1970 et 1980, après les nouveaux chanteurs des années 1990 comme Papa Wemba, il y a eu le coupé-décalé, qui vient de là. Aujourd’hui, on écoute de la house sud-africaine, mais aussi le rap français que j’évoquais… On a besoin de ça. Si les jeunes commencent à s’intéresser à l’histoire du genre, à ce qu’écoutaient leurs parents, voire leurs grand-parents, tant mieux. Ça fait partie de la culture africaine et mondiale. Que des gamins de quinze ans découvrent Tabu Ley grâce au rap, c’est formidable. »
Enfin, comment aborder la musique congolaise de 2017 sans parler de Jupiter & Okwess ? Révélé par Damon Albarn, le leader, Jupiter Bokondji, surnommé « Le Général », a sorti l’album Kin Sonic, mélange de rock, de rumba, d’afrobeat et d’interventions du frontman de Gorillaz et Blur ou du violoniste des Bad Seeds de Nick Cave, Warren Ellis. Jupiter & Okwess a tourné toute l’année 2017 en France, sans relâche, et démarre 2018 sur la même cadence.
Autrement dit, pour passer à côté des sonorités congolaises cette année, il fallait vraiment le faire exprès.