L’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région était porteur de beaucoup d’espoir pour les Congolais, lorsqu’il a été signé et approuvé le 24 février 2013 à Addis-Abeba par 11 États de la Conférence internationale pour la région des Grands lacs (RDC, Angola, Burundi, République centrafricaine, République du Congo, Rwanda, Sud-Soudan, Tanzanie, Ouganda, Kenya, Soudan et Zambie) et l’Afrique du Sud.
Cinq ans après, des représentants des pays signataires, des experts, des partenaires stratégiques (États-Unis, Grande-Bretagne, Belgique et Union européenne) et des témoins ou garants de l’Accord-cadre (Nations Unies, Union africaine, SADC et CIRGL) se sont retrouvés dans la capitale éthiopienne au siège de l’Union africaine (UA). Vendredi 9 mars, le coordonnateur du Mécanisme national de suivi (MNS) dudit Accord-cadre, le général Denis Kalume Numbi, a réuni la presse à son cabinet de travail pour faire une sorte de restitution de ce qu’a été l’exercice d’évaluation d’Addis-Abeba. Appliqué, méthodique et faisant montre d’une grande rigueur militaire – on comprend aisément pourquoi -, Denis Kalume a d’abord rappelé le contenu de cet accord dans tous ses aspects (7 engagements régionaux, 5 engagements internationaux, 6 engagements nationaux et mise en place d’un mécanisme de suivi-évaluation sur le plan régional (MRS) et le sur le plan national (MNS). Puis, il en a fait la revue, engagement après engagement, avant de se soumettre aux questions des journalistes.
Progrès et défis à relever
Cinq ans après la signature de l’Accord-cadre, quels sont les progrès qui ont été accomplis et quels sont les défis qui se sont dressés dans la voie de son application rencontrées ? D’emblée, le coordonnateur du MNS a indiqué que grosso modo, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba a permis de créer un cadre (de concertation) même si la paix n’est pas revenue totalement. Il regrette que les vrais problèmes, c’est-à-dire les « causes profondes » de la crise soient éludées. Ce sont les richesses et l’espace de la RDC, objet de convoitises des pays voisins, ainsi que la lutte pour le leadership politique dans la région. On s’attaque plutôt aux effets de la crise.
D’après lui, la RDC fait de tout son mieux pour mettre en œuvre ses six… disons sept engagements nationaux. Lesquels ont pour dénominateur commun : la volonté de rebâtir véritablement un État de droit. En 5 ans, beaucoup a été fait certes, mais beaucoup aussi reste à faire. Premièrement, dans le processus de réforme de l’armée et de la police entamé à partir de 2003. Comme il le dit lui-même, le pays a désormais une armée et une police intégrées et unifiées, ce qu’attestent des experts internationaux. Il reste cependant des défis : la loi de programmation militaire (pour l’équipement) qui clopine au Parlement, des cadres réglementaires pour appuyer les lois votées…
Deuxièmement, dans le rétablissement et la consolidation de l’autorité en implantant l’administration partout à travers tout le territoire national, en particulier dans l’Est où écument encore des groupes armés. L’armée y est à pied d’œuvre avec des unités bien formées pour neutraliser ces groupes et les empêcher à déstabiliser les pays voisins. Plus de 5 000 combattants ont bénéficié du DDR… Troisièmement, des progrès ont été enregistrés en ce qui concerne la décentralisation pour « enraciner la démocratie à la base ». Mais il y a des défis : la stabilité entre gouverneur et assemblée provinciale, la rétrocession des 40 % des recettes nationales… Quatrièmement, dans la promotion du développement économique par le développement des infrastructures et fourniture des services sociaux de base. Cinquièmement, la promotion de la réforme structurelle des institutions de l’État, y compris la réforme des finances. Et sixièmement, la promotion des objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation.
La volonté politique de la RDC se manifeste à travers la production législative. Au total 316 lois ont été votées depuis 2001. En signant l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, le président de la République, Joseph Kabila, n’a recherché que la paix et la stabilité pour la RDC et la région (des Grands lacs), a précisé le coordonnateur du Comité exécutif du MNS. Il a rappelé que la communauté internationale a, pour sa part, signé cet Accord pour l’accompagner et se tenir saisie de tout ce qui concerne le rétablissement d’une paix durable en RDC. Qui est le seul pays signataire de l’accord, à ce jour, à avoir mis en place le Mécanisme national de suivi. Qui dit mieux ?
Quid des voisins et des garants ?
Cependant, qu’en est-il des pays voisins et de la communauté internationale ? Au MNS, on se préoccupe de l’accompagnement des garants de l’Accord et de ses partenaires dans la mise en œuvre des engagements régionaux et internationaux. Les Nations Unies promettent de poursuivre les efforts pour pouvoir aller de l’avant dans le cadre de l’application des engagements de la RDC. On ne sent pas le même engagement chez les voisins pour s’acquitter de leurs obligations, a encore insisté le général Kalume, qui est en même temps l’interface de la RDC dans le Mécanisme régional de suivi.
L’Accord d’Addis-Abeba est plus connu dans sa composante paix et stabilité, mais il comporte également une autre composante tout aussi essentielle que la première. Cette composante est soutenue par le 4è engagement national de la RDC, qui fait de l’intégration économique régionale une exigence, avec une attention particulière à la problématique de l’exploitation et le commerce illicite des ressources naturelles de la RDC. C’est pour aller plus loin dans ce sens et poser des actes concrets dans le cadre d’un partenariat entre les secteurs public et privé qu’une conférence sur les investissements privés avait été organisée du 24 au 25 février 2015 à Kinshasa.
L’Accord-cadre d’Addis-Abeba tire sa substance d’un constat. Depuis 2000, d’importants progrès ont été faits en RDC grâce aux processus de paix et de stabilité en RDC et dans la région des Grands lacs. Le gouvernement a entamé, avec l’appui des partenaires, un bon nombre de réformes en vue de la reprise économique et la démocratisation du pays. Mais voilà que l’Est du pays est toujours en proie à des conflits récurrents et à des violences persistantes du fait de groupes armés nationaux et étrangers. La situation en RDC a donc conduit la communauté internationale à s’attaquer aux causes profondes de la crise et de mettre un terme aux cycles de violence récurrents. C’est pourquoi, des actions concrètes ont été requises de la part du gouvernement de la RDC, avec le soutien des partenaires, des États de la région et de la communauté internationale, en soutien aux efforts déjà en cours de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL) et de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC). D’où l’on parle des engagements dans cet Accord.
Pour la RDC, ils sont au nombre de six : ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des États voisins ; n’est pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés ; respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des États voisins ; renforcer la coopération régionale, y compris à travers l’approfondissement de l’intégration économique avec une attention particulière accordée à la question de l’exploitation des ressources naturelles. Il s’agit aussi de ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies ; et de faciliter l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire dans la région.
Pour la communauté internationale, ces engagements sont, par contre, au nombre de cinq : le Conseil de sécurité reste saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la RDC et de la région des Grands lacs ; un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la RDC et la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long terme ; appuyer la mise en œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands lacs ; un engagement renouvelé à travailler à la revitalisation de la Communauté économique des pays des Grands lacs (CEPGL) et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale ; la nomination d’un envoyé spécial des Nations Unies pour soutenir les efforts en vue de solutions durables avec un plan à plusieurs volets qui permettra la convergence de toutes les initiatives en cours. Denis Kalume a foi en l’avenir. Il croit que la tendance actuelle pourrait être renversée un jour et la RDC se mettra débout.