La disruption à la française avait un peu de retard. Deux ans plus tard, Emmanuel Macron reprend enfin les best practices venues d’Amérique : sur Twitter, le rôle d’un chef d’Etat digne de ce nom n’est pas de poster des photos avec Antoine Griezmann ou des bains de foule avec 12 personnes, mais d’être le premier de cordée de la bataille culturelle qui déchire les réseaux. Ou pour le dire autrement, un président est sur Twitter pour troller.
Jusqu’à présent, Emmanuel Macron traînait un parfum d’Ancien monde sur les réseaux : extraits de discours, photos quelconques, paroles creuses… Et puis, l’air de rien, Sibeth Ndiaye, sa conseillère presse et communication, postait mardi soir cette vidéo sur son compte perso. Avec cette phrase choc : «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas.»
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Ambiance «Nouveau monde». Le son est pourri, le cadrage moyen, la caméra discrète. Cette vidéo marque un pas de côté dans la communication présidentielle sur les réseaux. Il ne s’agit plus d’une parole officielle, mais d’une forme de off. La question de la source est tout sauf anecdotique. Même si la vidéo sera ensuite retweetée par le compte officiel de Macron, la séquence est postée sur le discret compte de Sibeth Ndiaye. On n’est plus dans la parole présidentielle, mais dans son bonus DVD, une plongée dans les coulisses de l’Elysée. Emmanuel Macron a mis en scène un off. Ça tombe bien : «pognon de dingue», un président ne devrait pas dire ça. «La forme, convenons-en, était grossière à tous points de vue, par les mots utilisés et par le procédé lui-même», a taclé un éminent spécialiste de la parole présidentielle, François Hollande.
Un président ne devrait pas dire ça, c’est exactement le cri des conseillers de Trump quand ils découvrent les tweets matinaux du président américain. Cela fait un an et demi que Trump préside les Etats-Unis en robe de chambre devant Fox News, répliquant sur son smartphone à la moindre attaque sur son compte.
Trump fixe ainsi avec une certaine intelligence l’agenda médiatique et politique de la journée. Chaque message posté s’affiche quasi instantanément en bandeau sur les chaînes d’information américaines. Macron ne peut sûrement pas en dire autant. Mais avec la vidéo du «pognon de dingue», le président français a fait l’ouverture de toutes les matinales radio d’un simple tweet.
Macron a enfin compris qu’il n’était pas question d’être plus soporifique sur Internet que dans la vraie vie. Le président n’a peut-être pas peur de Bourdin et Plenel, mais il semble bien craintif face à Internet, ce marais de fake news. Il n’y dit rien, il n’y fait rien- même si photos et vidéos maîtrisées par ses communicants inondent régulièrement ses comptes Twitter, Facebook et Instagram.
Pourtant, cela pourrait être son habitat naturel : le réseau est peuplé de trolls disrupteurs, d’une aussi parfaite mauvaise foi que lui. La vidéo du «pognon» marque peut-être une inflexion dans sa communication : Macron semble maintenant prêt à prendre les internautes par le col, comme il prend à partie les ouvriers ou les infirmières sur le terrain.
Ce faisant, sur les réseaux, Macron passe d’une communication Obama-compatible, pleine de bons sentiments et de graphisme léché («Make our planet great again») à une stratégie du troll façon Trump. Plus c’est gros et plus c’est sale, plus ça passe. Trump l’a bien compris : Twitter, c’est le bruit et la fureur. Soit exactement l’outil le plus efficace dans un écosystème médiatique contemporain où les polémiques se succèdent toutes les deux heures, au rythme des changements de plateau sur BFM TV ou Fox News.
Les deux contenus médiatiques majeurs aujourd’hui sont les bandeaux des chaînes d’info et les titres des médias en ligne (qu’on partage sur Facebook sans même cliquer sur le contenu). On ne lit, ni n’écoute guère plus. Pourquoi un président en dirait davantage ? «Pognon de dingue»,c’est amplement suffisant pour nourrir la machine médiatique pendant une journée. Le rôle d’un président tel que le conçoit Trump n’est pas de livrer un discours qui se suffirait à lui-même, mais d’être le point de départ de la conversation, d’être l’astre autour duquel tournent toutes les planètes médiatiques.
Le président préside, le Premier ministre gouverne, a-t-on l’habitude de résumer pour définir la Ve République. Trump a inventé une nouvelle forme de répartition des pouvoirs : le président trolle, le gouvernement se démerde avec ça. Bon courage à Edouard Philippe, qui va devoir trouver les moyens de dépenser un «pognon» un peu moins dingue.