Le 14 avril 2018, un jeune détenu de la maison d’arrêt de Seysses a été retrouvé mort au «mitard». Si ses codétenus ont dénoncé une mort suspecte, l’enquête a, quant à elle, conclu au suicide. Le cas n’est pas isolé : au «mitard», le risque de suicide serait quinze fois plus élevé qu’en cellule normale.
Le «mitard», ou cellule disciplinaire, reste aujourd’hui la sanction la plus prononcée (74 % des sanctions) par l’administration pénitentiaire pour des fautes de gravités variées. Prévues par décret en Conseil d’Etat, celles-ci vont de la violence au simple tapage. Le détenu y est enfermé vingt-trois heures par jour, seul dans un cachot dont la superficie est parfois inférieure à la taille réglementaire des cages de chien de chenil (5 m2). Au «mitard», pas de télévision et souvent pas de radio, pas de travail, peu de lumière naturelle. On fume et on attend. A ces contraintes officielles s’ajoutent encore les privations qui accompagnent le manque de moyens des prisons. Ainsi la cour de promenade n’est quelquefois qu’une simple pièce. Le «mitard», c’est la prison dans la prison.
On ne sort pas indemne d’un tel isolement prolongé. Outre le risque accru de suicide, on recense de nombreux effets nocifs sur le détenu (panique, dépersonnalisation, paranoïa, hallucinations, aggravation de pathologies existantes entre autres). Aussi est-il reconnu que la cellule disciplinaire constitue une torture, si elle dépasse une certaine durée. Le Comité européen pour la prévention de la torture préconise donc une durée maximale de quatorze jours. En France, elle peut durer trente jours.
Blanc-seing à l’administration
Le Conseil constitutionnel a élevé la dignité humaine au rang de principe à valeur constitutionnelle, dans sa décision de 1994 sur la loi dite «de bioéthique». Principe aux contours flous, elle a servi depuis au Conseil d’Etat pour valider l’interdiction du lancer de nain en discothèque. On peine à croire qu’un principe aussi exigeant s’accommoderait de voir placer des humains dans des cages.
Au-delà de la mesure elle-même, la procédure pour y aboutir cause problème. En effet, dans l’instance disciplinaire, le législateur a signé un blanc-seing à l’administration, se contentant de définir la durée maximale du placement en cellule. Ce que le Conseil constitutionnel a validé en 2009, à condition que les décrets à venir soient conformes aux droits des détenus. C’est aujourd’hui la question qui se pose, dix ans après. Dans le régime instauré depuis, l’administration détermine les fautes et la procédure, puis interprète et applique les textes qu’elle a écrits. L’administration pénitentiaire en particulier est à la fois victime, autorité de poursuite, enquêteur, arbitre, et geôlier.
Le recours permis au détenu contre la décision disciplinaire n’est, en outre, qu’imparfaitement efficace, puisqu’il ne suspend pas son exécution, en conformité avec le principe de droit administratif voulant que les décisions unilatérales soient exécutoires. Le détenu purgera sa sanction, même si la décision est plus tard annulée. La suspension se demande séparément et n’est que très rarement ordonnée par le juge administratif, en cas d’illégalité manifeste. Et qu’on ne s’y trompe pas, les cas d’abus existent, comme celui de ce détenu puni pour avoir insulté un gardien – dans son journal intime.
De la séparation des pouvoirs
Notre Constitution est difficilement compatible avec cette procédure et cette concentration de pouvoirs dans les mains de l’administration. Elle proclame dans son article 66 que l’autorité judiciaire (et non l’autorité administrative) est «gardienne de la liberté individuelle», ce qui signifie qu’elle lui donne le rôle de protéger le citoyen contre les détentions arbitraires. Elle déclare également dans son article 34 que seule la loi (par opposition au pouvoir réglementaire) a compétence pour instituer des règles limitant les libertés publiques ou s’intéressant aux peines. Cette répartition des responsabilités vise à organiser la séparation des pouvoirs, dont le principe est garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
S’ajoute à ces principes le droit à un recours effectif devant une juridiction, garanti par le Conseil constitutionnel depuis 1996. Il est ainsi cohérent que dans une décision de 2014, le Conseil constitutionnel ait affirmé que la loi devait prévoir les conditions dans lesquelles étaient garantis les droits des détenus, en ajoutant que cette responsabilité ne saurait être déléguée au pouvoir réglementaire. Ce n’est pourtant pas encore le cas. Tous ces principes sont en contradiction avec le mitard et l’actuelle procédure disciplinaire. La Cour de cassation considère que le «mitard» n’est pas une peine mais une «modalité d’exécution d’un emprisonnement antérieurement prononcé», alors même que la France a été condamnée en 2010 pour traitement inhumain et pour absence de recours effectif à la justice (CEDH, Payet c. France, 2010) dans le cas d’un détenu placé en cellule disciplinaire.
En France, on se refuse donc encore en pratique à reconnaître en prison une forme de liberté résiduelle, garantie par la Constitution, et dont la protection serait du ressort des juges et de la loi. Pourtant, si elle n’existait pas, si la liberté s’arrêtait net aux portes des prisons, de quoi priverait-on le détenu en le mettant au cachot ?