L’année politique qui commence sera pour l’Union européenne la plus redoutable qu’elle ait jamais dû affronter. Certes, l’histoire de l’Europe n’a été à aucun moment un chemin semé de roses. La construction européenne, chacun le sait, n’a avancé que de crises en crises, par les crises et malgré les crises. Cette fois-ci, l’accumulation des menaces atteint cependant un paroxysme. Le Brexit deviendra, sauf coup de théâtre, une réalité dans six mois. Pour la première fois depuis le traité de Rome en 1957, un Etat membre choisit de quitter l’Union. Cela préfigure de sombres perspectives pour le Royaume-Uni (ne serait-ce qu’avec la question irlandaise et celle de l’Ecosse) mais cela constitue aussi un échec théâtral pour l’Europe, amputée brutalement d’un de ses membres majeurs, berceau de surcroît de la démocratie parlementaire et temple des libertés individuelles.
Simultanément, la question de l’immigration déstabilise profondément tout le Vieux Continent. Partout, une large partie des populations se sent menacée dans son identité, dans ses acquis sociaux, dans ses emplois ou ses logements, dans sa culture religieuse ou nationale par les vastes mouvements migratoires. Les classes populaires, celles qui se sentent délaissées, sacrifiées, incertaines de leur avenir y sont particulièrement sensibles. On peut débattre à l’infini du point de savoir s’il s’agit d’une menace croissante, d’une exagération, parfois d’un fantasme. Reste que ce regain de xénophobie provoque de plus en plus tensions, rejets, voire affrontements. En tout cas, il alimente une vague puissante, déferlante de nationalisme et de populisme. Jamais depuis les années 30, un tel phénomène n’avait connu pareille ampleur, pareille extension. Ce n’est plus une simple maladie politique contagieuse, cela devient une pandémie.
Dans ce domaine crucial, l’Union européenne a complètement échoué à rassurer, à protéger, a fortiori à traiter le problème à la source, c’est-à-dire en échafaudant un plan Marshall pour combattre de l’autre côté de la Méditerranée la misère et la violence. Du coup, la Pologne, la Hongrie, l’Autriche et maintenant, hélas, l’Italie mais aussi la République tchèque sont gouvernées par des populistes démagogues et xénophobes. Ailleurs, sauf peut-être dans la péninsule ibérique, l’exaspération populaire grossit et les mouvements populistes se renforcent. En France, ils ont rassemblé 40 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Dans neuf mois, le renouvellement des institutions européennes (Parlement, Commission) risque d’afficher une forte poussée populiste à l’échelle du continent.
Emmanuel Macron a été l’année dernière le premier candidat à l’élection présidentielle depuis Valéry Giscard d’Estaing à se présenter ouvertement en champion de l’Europe. Depuis son élection, il a multiplié les initiatives, prononçant des discours marquants à Athènes, à la Sorbonne, à Strasbourg. Il a fait de nombreuses propositions (renforcement de la zone euro, esquisse d’une défense européenne, investissement dans les industries de pointes et, à plusieurs reprises, protection des frontières collectives et harmonisation du droit d’asile). Il a visité en un an la moitié des capitales européennes, comme encore cette semaine le Danemark et la Finlande. Il tente de transformer les élections européennes du printemps prochain en bataille politique entre progressistes et populistes. Il cherche à le faire en France, il s’efforce de le faire aussi à l’échelle européenne.
Jusqu’ici ses efforts n’ont été que très partiellement récompensés. Beaucoup d’Etats saluent certes son dynamisme et sa créativité. Concrètement, quelques rares avancées (travail détaché, police des frontières, union bancaire, défense) ont eu lieu mais ses alliés sont peu nombreux. Angela Merkel affaiblie n’est pas avare de bons sentiments mais avance comme toujours à la vitesse d’un escargot prompt à rentrer ses cornes. Si l’Espagne et le Portugal sont bien disposés, c’est le clan hostile des pays d’Europe de l’Est qui se renforce et applaudit Rome, pendant que les Etats d’Europe du Nord mais aussi par exemple les Pays-Bas se montrent plus que circonspects.
En Europe, la social-démocratie apparaît de plus en plus faible, les conservateurs, encore dominants, durcissent leurs positions, les populismes de droite, d’extrême droite et d’extrême gauche se renforcent, se parlent et parfois se marient. Le président français aura donc fort à faire, d’autant plus que sa rentrée politique nationale est au moins difficile. Il a raison de s’engager, son ambition européenne est légitime, ses propositions sont intéressantes, surtout lorsqu’elles évitent les illusions de réformes institutionnelles. Face aux déchirures de l’Europe, il se bat pour empêcher l’enlisement, la déconstruction, voire l’implosion de l’Union, pour défendre ses valeurs et sa puissance virtuelle. Mais à l’Elysée, combien de divisions ?