«ÇA S’AMÉLIORE, mais pas pour tout le monde ». Alors que le gouvernement français doit dévoiler son plan pauvreté, le Secours populaire rendait public le mardi 11 septembre son 12e baromètre sur la perception de la pauvreté par les Françaises et les Français, réalisé par Ipsos. Les bonnes nouvelles : la situation financière des personnes interrogées (un peu plus d’un millier) s’est, de façon générale, améliorée. 48 % parviennent à mettre un peu d’argent de côté, contre 40 % l’année dernière, et 4 % réussissent même à en mettre « beaucoup » (contre 3 % l’année dernière).
Ils sont également moins nombreux à considérer que leurs revenus leur permettent de boucler tout juste leur budget : 32 % contre 36 % l’année dernière. Et en même temps… la crainte de basculer dans la précarité a augmenté (+2 %) et plus de huit personnes sur dix jugent toujours que leurs enfants ont davantage de risques qu’eux de connaître une situation de pauvreté. « Tout cela génère une inquiétude extrêmement forte chez les Français, commente Etienne Mercier, directeur du département Opinion d’Ipsos France. Ce n’était pas le cas il y a huit ou neuf ans, où les Français étaient persuadés que leurs enfants vivraient mieux qu’eux. »
Surtout, les Français estiment désormais que l’on commence à être pauvre quand on touche 1 118 euros de revenus nets mensuels, soit une somme proche du smic qui est de 1 173 euros. C’est 112 euros de plus qu’en 2008, où les Français jugeaient pauvres les personnes subsistant avec moins de 1 006 euros par mois. Et les foyers dont les revenus mensuels nets sont inférieurs à 1 200 euros (soit un peu plus d’un smic à temps complet) restent précaires : 56 % sont en difficulté s’ils doivent payer des actes médicaux mal remboursés, 40 % pour payer une mutuelle santé, 45 % pour payer leur loyer, 57 % pour faire face aux dépenses d’énergie. Et 67 % rencontrent des difficultés financières pour partir en vacances une fois par an… « Au niveau des plus fragiles, il n’y a pas de véritable embellie : 7 % craignent toujours de basculer dans la pauvreté, contre 8 % l’année dernière », observe Etienne Mercier.
Autre élément notable : sur le millier de personnes interrogées, plus de deux personnes sur dix ont déclaré avoir des difficultés financières pour s’alimenter sainement, trois fois par jour. Et chez les plus précaires, une personne sur deux est concernée. « S’alimenter correctement devient compliqué pour une part importante des Français. On voudrait croire que le poste de l’alimentation est sanctuarisé mais force est de constater qu’on le sacrifie. L’alimentation est la variable d’ajustement face à des dépenses contraintes comme le loyer ou l’énergie », observe Amandine Lama d’Ipsos.
Familles monoparentales
Les femmes, plus souvent à la tête de familles monoparentales, sont plus nombreuses que les hommes à rencontrer ce type de difficulté : 31 % ont du mal à consommer des fruits et légumes frais au quotidien (contre 22 % des hommes, ensemble ils sont 27 %), 22 % à payer la cantine des enfants (contre 15 % des hommes, ensemble ils sont 19 %). Hommes et femmes confondus, 22 % disent ne pas forcément pouvoir consommer du poisson chaque semaine et 17 % de la viande chaque semaine, en raison de leur prix. « Toutes ces difficultés ont des conséquences sur la santé des personnes, mais aussi sur leur inclusion sociale. Aujourd’hui, vous recevez tout un tas de messages sur le fait de bien s’alimenter, de faire attention à bien nourrir ses enfants… Ce sont des messages que les personnes qui sont en difficultés reçoivent de façon particulière », relève Amandine Lama.
C’est un baromètre qui est attendu chaque année. Cette fois, il est d’autant plus d’actualité, que le gouvernement français a présenté jeudi 13 septembre son Plan pauvreté. Pour la première fois, le baromètre de Secours populaire de France fait un focus sur la précarité alimentaire. Il se base sur le sentiment de pauvreté, une perception psychologique de son niveau de vie. Il apparaît en 2018 qu’en moyenne, les sondés considèrent qu’on est pauvres, lorsqu’on a un revenu mensuel inférieur à 1118 euros, pour une personne seule. Soit un peu moins que le Smic mensuel net (1173 euros), mais plus que le seuil de pauvreté officiel de l’Insee, à 1015 euros.
Assez logiquement, le seuil de pauvreté subjectif est très différent, suivant le profil des individus. Ainsi, les femmes ont tendance à donner un seuil plus bas (on est pauvre quand on gagne moins de 1075 euros) que les hommes (1165 euros). Il varie aussi suivant l’âge, les plus de 60 ans s’estimant pauvre avec un revenu plus haut que les jeunes, mais aussi la région (plus élevé en Ile-de-France), ou encore le niveau de revenu.
Reste que, d’après le Baromètre, 2018 est un peu mieux que 2017 : la situation financière d’une partie des Français sondés s’est améliorée. 48 % des personnes interrogées indiquent ainsi arriver à mettre un peu d’argent de côté, ce qui n’était le cas que pour 40 % en 2017. Même la part des plus précaire diminue légèrement : ils sont 14 % à vivre à découvert, et craignant de basculer dans la précarité, contre 19 % l’an dernier. Tout n’est pas rose non plus, car dans le même temps, note encore le Secours populaire, un certain nombre de sondés ont basculé dans la précarité : ils sont 39 %, soit 2 % de plus que l’an dernier, à dire qu’ils ont déjà connu une situation de pauvreté dans leur vie. Et le pessimisme règne : l’immense majorité (81 %) est convaincue que leurs enfants seront une génération encore plus vulnérable face à la pauvreté.
Dur de manger de la viande
Cette précarité engendre des difficultés à faire face à certains postes de dépenses, mais là encore, les parts de personnes concernées diminuent. Tout en restant très importantes. Ainsi, partir en vacances au moins une fois par an est difficile pour 41 % des sondés (contre 45 % l’an dernier), ou encore payer son loyer, ou son emprunt immobilier, difficile pour 25 % des gens, contre 34 % l’an dernier.
Mais cette précarité pose aussi de gros problèmes sur un poste de dépense en particulier : l’alimentation, un signe évident de pauvreté pour 86 % des sondés. Consommer des fruits et légumes frais tous les jours est difficile pour 27 % des gens interrogés, tout comme manger du poisson au moins une fois par semaine (22 %), ou encore pouvoir acheter de quoi faire trois repas sains par jour (21 %), consommer de la viande au moins une fois par semaine (17 %), ou payer la cantine à ses enfants (19 %). A noter, pour la plupart des critères, que ce poste de dépense apparaît plus problématique pour les femmes, que pour les hommes.