Si vous interrogez la plupart des dirigeants de banques centrales du monde sur leur plan pour faire face à une prochaine récession , vous serez surpris de voir combien parmi eux (au moins dans les économies avancées) vont vous répondre : « la politique budgétaire ».
Compte tenu de la haute probabilité d’une récession au cours des deux prochaines années, les autorités monétaires qui pensent que la politique fiscale à elle seule sauvera le monde risquent de vivre des lendemains qui déchantent.
Marge de manoeuvre
Certes, il est vrai qu’avec des politiques de taux d’intérêt proches de zéro dans la plupart des économies avancées (et à peine supérieures à 2 %, même pour la croissance rapide des Etats-Unis), il y a peu de marge de manoeuvre pour la politique monétaire dans une récession, à moins de faire preuve d’une grande créativité. La meilleure idée consiste à créer un environnement dans lequel les politiques de taux d’intérêt négatif peuvent être utilisées de façon plus complète et plus efficace. Cela finira par arriver, mais, en attendant, la dépendance actuelle vis-à-vis de la politique budgétaire anticyclique est dangereusement naïve.
Une récession ne dure qu’un an
Il existe de grandes différences institutionnelles entre les banques centrales, d’essence technocratique, et les régimes politiquement instables qui contrôlent les dépenses et la politique fiscale. Gardons à l’esprit qu’une récession typique d’une économie avancée ne dure qu’un an, alors que la politique fiscale, même dans le meilleur des cas, prend toujours au moins quelques mois pour être simplement adoptée.
Dans certaines petites économies – par exemple, le Danemark (5,8 millions d’habitants) -, il existe un large consensus social pour augmenter les dépenses budgétaires par rapport au PIB. Certaines de ces dépenses peuvent facilement être promues durant une récession. Dans de nombreux autres pays toutefois, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, il n’y a pas d’accord de ce genre. Même si progressistes et conservateurs voulaient conjointement élargir le gouvernement, leurs priorités seraient très différentes. Aux Etats-Unis, les démocrates pourraient militer en faveur de nouveaux programmes sociaux pour réduire les inégalités, alors que les républicains pourraient préférer l’augmentation des dépenses en matière de défense ou de protection des frontières.
Tout observateur ayant assisté en septembre dernier aux audiences de confirmation devant le Sénat américain du juge de la Cour suprême Brett Kavanaugh ne peut pas croire sérieusement que ce groupe soit capable d’une politique budgétaire technocratique fine.
Retard d’infrastructures
Cela ne signifie pas pour autant que la relance budgétaire doive être totalement exclue de la prochaine récession.
La plupart des pays avancés ont un retard considérable dans leurs projets d’éducation et d’infrastructures à haut rendement, bien que la plupart nécessitent beaucoup de temps pour leur planification et leur mise en oeuvre. Si les économistes de gauche estiment que la politique budgétaire est la principale voie de sortie d’une récession en 2019 ou en 2020, ils devraient faire du lobbying auprès du gouvernement pour préparer un train de mesures prêtes pour la récession. L’ancien président américain Barack Obama voulait créer une banque d’infrastructures en partie à cette fin : fait révélateur, l’idée n’a jamais vu le jour.
Stabilisateurs automatiques
De même, de nombreux observateurs préconisent le renforcement de « stabilisateurs automatiques » tels que les allocations chômage. L’Europe, avec des niveaux beaucoup plus élevés d’assurance sociale et de fiscalité, est mieux armée sur ce point que les Etats-Unis ou le Japon. Lorsque les revenus diminuent, les recettes fiscales diminuent et les indemnités d’assurance augmentent, en fournissant de la sorte une relance budgétaire anticyclique intégrée. Mais les partisans des stabilisateurs automatiques plus élevés attachent trop peu d’attention aux effets incitatifs négatifs attachés à l’augmentation des dépenses publiques et des impôts nécessaires pour les financer. Un concept plus exotique consiste à créer un conseil budgétaire indépendant chargé de publier des prévisions économiques et des recommandations sur la taille globale des budgets et des déficits budgétaires. Cette idée revient à créer une institution de politique budgétaire parallèle à la banque centrale pour la politique monétaire. Le problème est que les législateurs élus ne veulent pas céder le pouvoir, en particulier sur les impôts et les dépenses.
Argent hélicoptère
On peut comprendre pourquoi les dirigeants de banques centrales ne veulent pas se compromettre dans certaines des politiques monétaires les plus démentes qui ont été proposées, par exemple celle de « l’argent hélicoptère » selon laquelle la banque centrale émet de la monnaie et la remet aux citoyens. Une telle politique est bien évidemment de la politique budgétaire déguisée et le jour où une banque centrale commencera à la mettre en place de façon massive sera celui où elle perdra toute velléité d’indépendance. D’autres ont plaidé en faveur d’une augmentation des objectifs d’inflation, mais cela soulève une série de problèmes, notamment le fait de porter atteinte à des décennies d’efforts déployés par les banques centrales pour établir la crédibilité autour de 2 % d’inflation.
Nouveaux instruments
Si la politique budgétaire n’est pas la principale réponse à la prochaine récession, quelle est alors cette réponse ? Les dirigeants de banques centrales qui prennent au sérieux la préparation des futures récessions devraient se montrer très vigilants sur des propositions relatives aux modalités de paiement des intérêts sur l’argent, à la fois positifs et négatifs, ce qui est de loin la solution la plus élégante. Il est temps de fourbir les instruments des banques centrales. Le recours excessif à la politique budgétaire anticyclique ne fonctionnera pas mieux dans ce siècle que par le passé.
Kenneth Rogoff est professeur d’économie et de sciences politiques à Harvard. Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate 2019.