DRESSÉE pour la première fois par les Européens en décembre 2017, à la suite de plusieurs scandales, dont Les Panama Papers et LuxLeaks, cette liste noire épinglait au départ 17 pays. Mais elle avait considérablement rétréci ces derniers mois, en raison de promesses de plusieurs mauvais élèves faites à l’Union européenne (UE) de changer leur législation fiscale. Il ne restait par conséquent plus que cinq territoires à n’avoir jamais pris aucun engagement : les Samoa américaines, Samoa, Guam, Trinidad et Tobago et les îles Vierges américaines.
Après l’actualisation de mardi 13 mars, trois pays, sortis l’an passé de la liste noire après des promesses de bonne conduite, se retrouvent à nouveau épinglés pour mauvais comportement : la Barbade, les îles Marshall et les Emirats arabes unis (EAU). Sept autres pays qui étaient jusqu’ici inscrits seulement sur la liste dite « grise » – ceux des mauvais élèves ayant pris des engagements qui ne se sont pas concrétisés – sont désormais pour la première fois « blacklistés ». Il s’agit d’Aruba, du Belize, des Bermudes, des Fidji, du Vanuatu, de la Dominique et d’Oman.
L’ire de l’ONG Oxfam
Par ailleurs, trente-quatre pays restent sur la liste grise et vont donc continuer à être surveillés étroitement par la Commission européenne. Parmi eux, la Suisse, qui n’a pas encore tenu ses promesses, mais a bénéficié d’un petit délai car elle organise un référendum au printemps sur un changement de législation. En revanche, s’insurge l’ONG Oxfam, cinq paradis fiscaux « notoires » ont été « blanchis » : le Panama, Hong Kong, l’île de Man, Jersey et Guernesey. « Cela fragilise la crédibilité de tout le processus », s’est alarmée Chiara Putaturo, conseillère d’Oxfam. Les eurodéputés Verts étaient plus positifs. « La liste noire européenne des paradis fiscaux commence à avoir un impact : plus de 50 pays ont commencé à modifier certaines de leurs lois fiscales les plus dommageables et ont accepté de devenir plus transparents », a estimé la Française Eva Joly.
Au total, 92 juridictions ont été passées au crible à l’aune de trois critères: la transparence fiscale (pratiquent-elles ou non l’échange d’informations ?), l’équité fiscale (appliquent-elles ou pas des mesures fiscales préférentielles dommageables ?) et troisièmement: mettent-elles en œuvre ou pas les mesures de l’OCDE contre l’optimisation fiscale agressive ?). Pour l’instant, les sanctions à l’encontre des pays blacklistés sont assez limitées : il est simplement prévu de geler les fonds européens qu’ils auraient pu recevoir.
Risque de blanchiment
À Bruxelles, l’UE a mis en relation les dépôts étrangers et le risque de blanchiment. Une proportion élevée de dépôts bancaires de non résidents pourrait signaler un risque de blanchiment et elle doit être réduite dans les États dont la surveillance laisse à désirer, estiment de hauts responsables et des élus de l’UE. Les dépôts bancaires étrangers ont de fait diminué dans la plupart des États de la zone euro au second semestre 2018, en raison précisément de scandales de blanchiment d’argent, selon des données de la Banque centrale européenne (BCE).
Mais les États européens se doivent de surveiller les flux liés aux dépôts étrangers, a dit Valdis Dombrovskis, le commissaire européen en charge du secteur des services financiers. « Si ces mécanismes de surveillance ne sont pas suffisamment développés, l’une des solutions consiste à réduire la part des dépôts de non résidents et ainsi à réduire les flux financiers », a expliqué celui qui fut le 1ER Ministre de Lettonie. De gros dépôts en provenance de l’étranger ou des flux financiers transfrontaliers d’une ampleur inhabituelle sont des caractéristiques fréquentes du blanchiment d’argent, que l’on retrouve dans les affaires de la banque lettone ABLV, la troisième du pays avant sa chute, et celles des filiales estoniennes de la danoise Danske Bank et de la suédoise Swedbank.
Toutes sont accusées d’avoir accepté de l’argent en provenance de Russie et susceptible d’être le produit d’activités criminelles, d’actes de corruption ou d’évasion fiscale. À la suite du scandale ABLV, le gouvernement letton avait imposé un plafond de 5 % aux dépôts étrangers, qui avaient atteint près de la moitié du total des dépôts peu de temps après que l’État balte eut rejoint l’euro en 2014. Ce plafond a été supprimé par le gouvernement de centre-droit entré en fonction en janvier mais les dépôts étrangers sont entre-temps tombés à près de 12 % du total des dépôts, qui est de 16 milliards d’euros.
La baisse des dépôts étrangers a commencé au second semestre de 2018 avec l’ouverture d’une enquête en juillet sur Danske Bank pour blanchiment d’argent présumé de sa filiale estonienne, prélude à ce qui est devenu l’un des plus gros dossiers de blanchiment en Europe. Les dépôts de personnes physiques ou morales extérieures aux Dix-Neuf dans des banques de la zone euro ont diminué de plus de 12 % à 1 100 milliards d’euros entre juin et décembre 2018, selon les dernières données de la BCE analysées par Reuters.
Responsabilité nationale
Ce tassement est visible dans la plupart des pays de la région mais la tendance est au contraire à la hausse au Luxembourg, en Irlande, en Finlande et au Portugal où les dépôts ont augmenté. C’est le Luxembourg qui arrive en tête de ce point de vue, avec des dépôts de non résidents qui représentent plus de 17 % du total, soit un encours de 63 milliards d’euros.
« Le niveau des dépôts de non résidents peut être un indicateur utile de carences en matière de lutte contre le blanchiment », a dit Markus Ferber, un député conservateur allemand qui dirige le principal groupe de la commission économique du Parlement européen. Ces dépôts doivent être surveillés ainsi que d’autres indicateurs financiers pour donner une image précise de la vulnérabilité d’un pays donné au risque de blanchiment, a-t-il ajouté.
Cette surveillance reste pour l’instant du ressort presque exclusif des autorités nationales alors même que ces dernières ne brillent pas par leur efficacité en matière de lutte contre le blanchiment. Les intérêts nationaux l’emportent pour l’instant le plus souvent sur les appels de la BCE et d’autres autorités en faveur d’un système de surveillance à l’échelle de l’UE. En conséquence, l’UE n’a agi contre les établissements où le risque de blanchiment était élevé, tels ABLV et la banque maltaise Pilatus, qu’après que les États-Unis eurent donné l’alerte.
Ce regain d’intérêt pour la surveillance des dépôts étrangers signale peut-être une nouvelle prise de conscience de certaines autorités nationales, estiment des observateurs. Mais la lutte contre le blanchiment d’argent se heurte entre autres au fait que les informations disponibles portent sur la localisation du siège social des entreprises, et non sur la résidence de leurs principaux actionnaires. Ce défaut pourrait conduire à sous-estimer fortement les volumes de dépôts étrangers, estime Joshua Kirschenbaum, ex-haut fonctionnaire du Trésor américain et aujourd’hui associé du cercle de réflexion German Marshall Fund.
Ouverture d’une enquête
Les gendarmes financiers en Suède et en Estonie ont annoncé l’ouverture d’une enquête sur des soupçons de blanchiment d’argent visant la banque suédoise Swedbank et liés au scandale Danske Bank. La télévision publique suédoise (SVT) avait révélé l’existence de documents montrant qu’au moins 40 milliards de couronnes (3,8 milliards d’euros), provenant de cinquante clients de Swedbank « à risque », auraient transité par les États baltes depuis des comptes Swedbank. Un grand nombre de transactions ont eu lieu entre 2007 et 2015, dont une partie aurait transité entre Swedbank et Danske Bank, selon SVT. « Les inspections des finances en Estonie et en Suède ont décidé de lancer une enquête conjointe dans le but de vérifier les informations de la télévision suédoise », ont-elles indiqué dans un communiqué. La présidente de Swedbank, Birgitte Bonnesen, a de son côté annoncé avoir confié un audit au cabinet Ernst&Young. « Nous avons confiance dans nos systèmes et nos procédures, nous devons empêcher le blanchiment d’argent (…). En même temps, nous reconnaissons que ce type grave d’infraction est l’un des défis les plus difficiles auxquels notre secteur d’activité est confronté aujourd’hui », a déclaré Gabriel Francke Rodau, responsable de la communication chez Swedbank. Danske Bank a vu transiter entre 2007 et 2015 quelque 200 milliards d’euros à travers les comptes de 15 000 clients étrangers non-résidents en Estonie, d’après un rapport indépendant commandé par la banque.