Les startups d’Afrique centrale n’attirent guère les institutions financières

Plusieurs rapports et études le montrent, les tech entrepreneurs et innovateurs de la sous-région sont ceux qui suscitent chaque année le moins d’intérêt de la part des banques, des organismes internationaux et des fonds d’investissement dédiés à l’innovation technologique.

DEPUIS 2016, un volume d’engagement financier croissant est investi dans les entreprises numériques sur le continent, mais il est essentiellement absorbé par l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe et dans une mesure non négligeable par l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest. Les jeunes qui portent des idées de services basés sur le numérique sont nombreux, aussi bien au Cameroun qu’au Gabon ou encore au Congo. Le Tchad abrite également une communauté d’innovateurs, bien qu’elle soit de moindre importance que celle de ses voisins.

Cependant, sur le terrain de l’entrepreneuriat, cet ensemble d’innovateurs numérique demeure peu visible, aussi bien dans la sous-région Afrique centrale que sur le continent. Encore moins à l’international. L’Afrique centrale est en effet invisible en termes d’innovation et cela se ressent sur l’intérêt des investisseurs pour la sous-région. L’Agence française de développement (AFD), dans son étude sur « l’innovation numérique en Afrique et dans les pays émergents » publiée en 2017, le remarquait déjà. Elle présentait, au regard des réalisations et du volume d’entreprises créées, les pays africains de culture anglo-saxonne comme les plus dynamiques, avec les nations d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe en tête. 

Suivaient les pays d’Afrique du Nord emmenés par l’Egypte. Ensuite, intervenaient les pays d’Afrique de l’Ouest avec la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal en figures de proue. En Afrique centrale, seul le Cameroun sortait à peine la tête de l’eau. Une faiblesse dont l’impact se faisait directement ressentir sur la cote d’amour des investisseurs pour la sous-région. 

Investissements

En 2017, la Société financière internationale (IFC), branche de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, estimait que le secteur africain des startups avait été à l’origine d’une levée de 556 millions de dollars attribués à 124 startups. Le volume financier affichait une augmentation de 53 % comparé à 2016. Sur les 54 nations du continent, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Egypte confisquaient 84 % de ce financement.

Les startups d’Afrique du Sud totalisaient 167 millions de dollars captés, contre 147 millions de dollars pour les kenyanes. Les startups nigérianes réunissaient un total de 114 millions de dollars, tandis que les égyptiennes s’en sortaient avec 37 millions de dollars. Les principaux secteurs dans lesquels tout cet argent a été investi ont été les technologies financières, l’énergie solaire hors réseau et le commerce électronique.

En 2018, les startups africaines ont réalisé une performance remarquable en termes d’investissement capté. Environ 458 levées de financement pour une somme de 725,6 millions de dollars. Soit 300 % du montant total du financement capté en 2017, selon le Wee Tracker Venture Investments Report. En termes de sous-région dominante, l’Afrique de l’Ouest est passé en tête devant l’Afrique de l’Est et australe, habituellement au coude à coude.

Nigeria, AfSud, Kenya…

Les startups nigérianes ont arraché un total de 136 offres de financement sur les 458 levées de fonds enregistrées. L’Afrique du Sud est arrivée deuxième. Ses startups ont capté 107 des offres de financement, suivie du Kenya avec 73 levées de fonds. Cette tendance présente un léger écart par rapport à l’année dernière où l’Afrique du Sud était en tête du classement. Des pays comme l’Égypte, l’Ouganda, le Ghana et la Tunisie se sont joints à la course en 2018 comme destination préférée des investisseurs. 

Malgré cet engouement des investisseurs pour les startups  africaines, l’IFC déplorait tout de même un certain retard du continent par rapport à l’Amérique latine qui atteint déjà près de 2 milliards de dollars de financement attirés. L’Inde avoisine déjà les 8 milliards de dollars. 

Dans cette Afrique quelque peu en retard, mais tout de même riche en potentiel, l’Afrique centrale est demeurée sous-représentée, voire effacée. 

Des marchés amorphes

Georges Meka Abessolo, spécialiste en économie numérique, considère déjà que le désintérêt des investisseurs pour la sous-région Afrique centrale découle de la faible production de son tissu innovant. Les investisseurs ne sont attirés que vers des marchés dynamiques, qui réalisent des produits et solutions technologiques qui répondent aux besoins locaux. Le dynamisme de la créativité, il se lit à travers le nombre de centres d’incubation, de hubs technologiques, d’accélérateurs de startups qu’abrite une région. 

Plus le nombre est important, plus les porteurs de projets qui veulent les porter à maturation sont nombreux, plus les entreprises innovantes se multiplient. Selon l’Association mondiale des opérateurs télécoms (GSMA), 442 hubs technologiques actifs étaient enregistrés en Afrique en 2018. Le nombre est en croissance comparé aux 314 comptabilisées en 2016. Cinq pays, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya et le Maroc confisquait 45 % de ces hubs technologiques.

Alors que l’Afrique australe totalisait une cinquantaine de hubs, une quarantaine pour l’Afrique de l’Est, une cinquantaine pour l’Afrique de l’Ouest et du Nord, l’Afrique centrale n’enregistrait qu’une vingtaine à peine. Une morosité qui justifie également l’absence d’investissement des grands groupes technologiques tels que Microsoft, Facebook ou encore Google comme c’est le cas ailleurs. Au Kenya, au Rwanda, en Ouganda, en Afrique du Sud, au Nigeria, au Ghana, en Côte d’Ivoire, en Egypte, au Maroc, en Tunisie, locomotives de ces différentes autres sous-régions, des accords d’investissement initiés par plusieurs grands groupes se multiplient et témoignent du dynamisme de ces sous-régions.  

Absence de promotion 

Dans le groupe que forment le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Tchad, la RDC, l’Angola, la Centrafrique, la Guinée-Équatoriale et Sao Tomé et Principe, l’écosystème start-up qui existe n’est pas mature. 

Les quelques véritables tech entrepreneurs qui existent souffrent d’une absence de promotion au niveau international. Personne ne les connaît, leurs succès restent cachés. Il y a aussi le problème de solutions développées. Les start-upper développent peu de solutions qui répondent aux besoins et aux réalités locales. Ils veulent directement développer une solution, une application ou un service inédit qu’ils espèrent introduire directement sur le marché international. 

Or ce n’est pas judicieux de s’introduire sans vision sur des marchés technologiques plus dynamiques et plus prolifiques. Il faudrait évoluer par niche de marché, convaincre déjà au plan local, national, puis s’ouvrir au régional, puis au continental et après à l’international. Un processus de plusieurs années en somme, souligne Georges Meka Abessolo.

Au-delà de la seule créativité des start-uppers, il indique que les autorités publiques doivent également contribuer au dynamisme de l’écosystème local en incitant à la recherche et à l’innovation. Les gouvernements sont les mieux au fait des domaines ou secteurs dans lesquels la technologie pourrait leur être d’une grande utilité. La commande publique peut ainsi être orientée dans ce sens à travers des appels d’offres pour des solutions numériques destinées à améliorer, faciliter, conforter l’efficacité de l’autorité publique dans ses missions de gestion publique (gestion des déchets publics, transport, etc.). La crédibilité des start-uppers ainsi construite au fil des années avec la contribution des pouvoirs publics, ne pourra que susciter un vif intérêt des investisseurs privés nationaux et internationaux pour les tech entrepreneurs.