LE CABINET d’avocats Kreindler & Kreindler LLP et le cabinet de conseil juridique Power Rogers & Smith LLP, ont conjointement introduit deux actions en justice, le 2 mai à Chicago, pour « décès imputables à une faute », au nom de la famille de Carlo Spini et de son épouse Gabriella Viciani, originaires de la province d’Arezzo en Italie. Ils sont morts dans le crash du vol 302 exploité par Ethiopian Airlines sur un Boeing 737-8 MAX, le 10 mars 2019, à Addis-Abeba, en Éthiopie.
Dans ce dossier, les défendeurs sont le constructeur Boeing, basé à Chicago, et Rosemount Aerospace, Inc. du Minnesota.
Les requêtes en justice ont été déposées auprès de la cour de district des États-Unis dans le district Nord de l’Illinois. Selon des sources proches du dossier, les poursuites intentées contre Boeing et la Federal Aviation Administration (FAA) – l’aviation civile américaine – constituent un dossier accablant des défaillances qui ont provoqué le crash et comportent des allégations que l’on ne trouvait pas dans des actions en justice précédentes, selon lesquelles Boeing n’aurait pas activé un important dispositif de sécurité dans l’avion et que Boeing n’aurait pas fait prendre en compte les variables de vol par le système anti-décrochage MCAS, comme la vitesse de l’avion et son altitude, avant de déclencher le processus et de faire piquer le nez de l’avion vers le sol.
Missions humanitaires
Les deux victimes s’étaient engagées dans des missions humanitaires en Afrique, où elles avaient fondé et supervisé des hôpitaux, des cliniques médicales et des orphelinats pour les populations locales, notamment pour les tout jeunes orphelins dont les parents avaient succombé au sida et à d’autres maladies mortelles. Carlo Spini, médecin, et Gabriella Viciani, infirmière, voyageaient en Afrique depuis 2002, année où ils avaient mis en place un programme de prévention de la transmission du sida et du virus VIH et de traitement d’autres maladies, au Malawi.
Parmi les projets qu’ils ont menés pendant les 16 ans qui ont suivi, jusqu’à leur décès, il y a la création et la supervision de 11 hôpitaux et cliniques de soins au Kenya, au Malawi, en Érythrée, au Soudan du Sud, à Madagascar et dans d’autres pays dans le besoin. Au moment de sa mort, le docteur Spini était président d’Africa Tremila, une organisation à but non lucratif basée à Bergame, en Italie. Cette association met en œuvre et supervise des programmes humanitaires dans les pays en développement.
Le docteur Spini et son épouse étaient à bord du vol ET 302 et se rendaient à un projet d’Africa Tremila au Kenya. En plus de leurs quatre enfants, Carlo Spini et Gabriella Viciani laissent huit petits-enfants. « Nos parents se sont consacrés au bien-être des autres. Nous sommes attristés par la perte de nos parents, mais nous en voulons surtout à Boeing d’avoir privé notre famille, nos amis et les nombreuses personnes dans le besoin en Afrique de ces deux personnes si singulières. Ils ont vécu et travaillé ensemble pendant plus de 50 ans, prodiguant des soins dans les hôpitaux et sur des missions, dévoués au bien-être des autres », a déclaré Andrea Spini, leur fils aîné.
Justin Green, associé chez Kreindler & Kreindler LLP et pilote de formation militaire, a déclaré : « Boeing a commis des erreurs inexcusables dans la programmation de son dispositif MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System, soit système de renforcement des caractéristiques de manœuvre). L’élément le plus important, et qui n’a pas encore été abordé, c’est que le MCAS ne tient pas compte de la proximité de l’avion avec le sol lorsqu’il prend la décision de faire piquer le nez vers le sol et que Boeing n’a pas intégré de système d’évitement de la proximité avec le sol pour cet avion. »
Et de poursuivre : « Boeing a conçu le MCAS de telle sorte que celui-ci n’a même pas tenu compte des données précises fournies par le deuxième capteur d’angle d’attaque (incidence) de l’avion et qu’il n’a pas rejeté les données totalement invraisemblables fournies par le capteur défectueux qui indiquait que l’avion était à plus de 74 degrés en cabré. » D’après lui, la conception du MCAS de Boeing a permis qu’une défaillance d’un seul point d’un capteur d’incidence provoque deux catastrophes aéronautiques et c’est peut-être la pire conception de l’histoire de l’aviation commerciale moderne.
Pour sa part, Todd Smith, associé chez Power Rogers & Smith L.L.P, a déclaré : « Nous réclamons des dommages-intérêts à caractère punitif parce que la stricte politique publique de l’Illinois appuie l’idée de tenir Boeing responsable de sa conduite intentionnelle et de négligence grave, en particulier de son refus, même aujourd’hui, d’admettre que le Boeing 737-8 MAX, désormais cloué au sol, avait des problèmes de sécurité, y compris lorsque l’avion est à l’arrêt et que Boeing est obligé de régler enfin le problème qui a provoqué deux catastrophes aériennes dans la courte vie de l’avion. »
Les revendications
La plainte déposée aujourd’hui au nom de la famille des victimes résume en partie leurs revendications de la manière suivante : primo, « Le constructeur Boeing a fait passer ses intérêts financiers avant la sécurité des passagers et du personnel navigant quand il s’est hâté de concevoir, fabriquer et faire certifier le Boeing 737-8 MAX et lorsqu’il a fait de fausses déclarations au public, à la FAA et aux clients de Boeing sur la sécurité de l’avion, ce que Boeing a continué à faire, même après le crash du vol ET302, de manière scandaleuse. »
Secundo, « Boeing a sciemment caché à ses clients, y compris à Ethiopian Airlines, que le Boeing 737-8 MAX présentait un défaut de maniement aérodynamique et qu’il avait installé le dispositif MCAS dans ses avions 737-MAX pour corriger ce défaut. » Tertio, « Boeing a obtenu la certification de la FAA pour le Boeing 737-8 MAX en sous-estimant délibérément, imprudemment et/ou par négligence les risques que le MCAS force par erreur l’avion à piquer du nez et en surestimant la capacité des pilotes n’ayant pas reçu de formation sur le MCAS à intervenir en cas d’urgence liée à la manœuvre créée par le MCAS. »
Quarto, « Boeing a déclaré à la FAA que le MCAS était un code informatique inoffensif programmé dans l’ordinateur de contrôle de vol de l’avion, qui donnait à ses pilotes ‘l’impression’ que le Boeing 737-8 MAX avait le même maniement que le Boeing 737NG, alors que le MCAS était au contraire une fonctionnalité défectueuse mortelle. »
Anthony Tarricone, lui aussi associé du cabinet Kreindler, a déclaré : « Le dossier va en partie se pencher sur les relations imbriquées entre la Federal Aviation Administration (FAA) et Boeing, qui permettent aux ingénieurs de Boeing d’agir comme des inspecteurs de sécurité désignés par la FAA durant le processus de certification. Le fait que la sécurité du 737-8 MAX ait été certifiée sans que le MCAS et ses modes de défaillance ne subissent des analyses et des tests rigoureux montre que la FAA a été harponnée par l’industrie qu’elle est censée réglementer. Le lobbying de l’industrie visant à faire passer les bénéfices des entreprises avant la sécurité des passagers ne favorise pas la certification de la sécurité des avions. »
Kreindler & Kreindler LLP
Les avocats de Kreindler & Kreindler LLP agissent à titre de conseillers juridiques principaux dans pratiquement tous les grands procès liés aux catastrophes de l’aviation commerciale depuis plus de soixante ans. Parmi les procès que mène le cabinet figurent le dernier procès important en date aux États-Unis contre Boeing, le crash du vol 214 d’Asiana Airlines en 2013 à San Francisco, Californie, le vol MH370 de Malaysia Airlines qui est toujours porté disparu, le crash du vol 1951 de Turkish Airlines sur un Boeing 737, celui du vol TWA 800, le vol 507 de Kenya Airways sur un Boeing 737 qui s’est écrasé au Cameroun, le vol 3407 de Continental Airlines qui s’est écrasé à Buffalo, le vol 990 d’EgyptAir, le vol 111 de Swissair, le vol 801 de Korean Airlines, le vol MI 185 de Silk Air, le vol CI 611 de China Airlines, le vol SQ 006 de Singapore Airlines, pour ne citer que ceux-là.
Le cabinet Kreindler a obtenu la plus grande indemnisation pour une seule catastrophe de l’histoire de l’aviation à ce jour – près de 3 milliards de dollars – contre la Libye et la Pan Am dans le cadre d’actions en justice découlant du bombardement du vol 103 au-dessus de Lockerbie, en Écosse.