LES ÉTATS africains sont devant une problématique : comment renforcer la mobilisation des recettes intérieures. Le Rapport économique sur l’Afrique 2019 de la CEA aborde la question avec beaucoup d’à-propos. Les questions cruciales de politique budgétaire et de financement des programmes de développement durable en Afrique sont analysées et disséquées. Il s’agit notamment de la nature et du rôle de la politique budgétaire ; du potentiel de la politique budgétaire, y compris les recettes fiscales et non fiscales, pour renforcer la mobilisation des ressources intérieures ; et du rôle de la politique budgétaire dans la gestion macroéconomique et la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD).
Le rapport examine les principales possibilités offertes ainsi que les défis à relever pour rendre la politique budgétaire plus efficace et efficiente, puis propose des enseignements pratiques et des recommandations stratégiques pour éclairer les réformes de la politique budgétaire en Afrique. Les données utilisées pour l’analyse ont été recueillies dans 12 pays africains (Afrique du Sud, Angola, Bénin, Éthiopie, Ghana, Kenya, Maurice, Mauritanie, Mozambique, Soudan, Tchad et Zimbabwe).
La croissance économique en Afrique, qui est passée de 3,4 % (en 2017) à 3,2 % (en 2018), a été largement soutenue par une croissance mondiale solide, une hausse modérée des cours des produits de base et une amélioration de la situation des différents pays. Dans certaines des plus grandes économies d’Afrique – l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigéria – la croissance a suivi une tendance à la hausse mais reste vulnérable aux fluctuations des cours des produits de base.
Le moteur de croissance
L’Afrique de l’Est reste la sous-région qui connaît la croissance la plus rapide, à 6,1 % (en 2017) et 6,2 % (en 2018). L’économie de l’Afrique de l’Ouest a enregistré une croissance de 3,2 % en 2018, contre 2,4 % en 2017, tandis que celle de l’Afrique centrale, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique australe a enregistré en 2018 une croissance plus lente qu’en 2017.
Bien que la demande intérieure, les investissements publics et le renforcement du commerce entre l’Afrique et les marchés mondiaux aient soutenu la croissance, les produits de base demeurent un moteur essentiel de la croissance en Afrique, exposant les économies à la volatilité de leurs cours. Par conséquent, bien que la situation macroéconomique des pays africains se soit améliorée en 2018, avec des déficits budgétaires et courants plus faibles, des taux de change stables et une inflation en baisse, les flux de recettes ont baissé à la suite des chocs sur les prix des produits de base en 2014, ce qui a entraîné une hausse du niveau de la dette, les pays ayant augmenté leurs emprunts pour atténuer les pressions budgétaires.
Les gouvernements africains doivent mettre à profit les instruments de politique budgétaire à leur disposition pour accélérer les efforts visant à atteindre les ODD. Cela signifie qu’il faut repenser les cadres budgétaires et les orienter vers la réalisation des ODD, ainsi que vers la reconstruction d’une marge budgétaire. « Le recalibrage de la politique budgétaire pourrait accroître le recouvrement des recettes. Cela inclut la prise en compte des cycles économiques dans la mise en œuvre de la politique budgétaire afin d’éviter les effets négatifs qu’a sur la stabilité macroéconomique la non-prise en compte du cycle économique ». Selon les experts de la CEA, les États qui adoptent une politique budgétaire contra-cyclique pourraient augmenter des recettes publiques pouvant atteindre 5 % du PIB.
Éviter le bradage fiscal
Par ailleurs, la réduction des impôts des sociétés n’a pas d’influence significative sur l’investissement. La CEA estime que pour obtenir une augmentation des investissements de seulement 1 %, les gouvernements pourraient perdre 20 % de leurs recettes fiscales. Par conséquent, les pays africains devraient éviter de s’engager dans un bradage fiscal et de réduire les impôts pour attirer les investissements étrangers, car les gains seront beaucoup moins importants que les pertes de recettes.
En revanche, la politique budgétaire est vitale pour attirer l’investissement privé en Afrique, qui a un effet significatif sur le PIB réel par habitant. À long terme, une augmentation de 1 % de l’investissement privé pourrait faire augmenter le PIB par habitant de 1,6 %. « La politique budgétaire peut servir à accélérer la diversion économique et la transformation structurelle en Afrique, puisque la consommation publique a le deuxième plus grand impact sur la valeur ajoutée manufacturière. Sachant cela, les gouvernements doivent revoir leurs plans de dépenses afin de stimuler la demande intérieure de produits manufacturés ». La mise en œuvre intégrale de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine augmentera également les investissements en Afrique.
Les économies africaines ont d’importants secteurs informels qui, pour la plupart, échappent à l’impôt. Il est difficile d’identifier les agents économiques du secteur informel et de s’assurer qu’ils sont correctement imposés. Par conséquent, les gouvernements comptent principalement sur les impôts indirects pour y parvenir, notamment les taxes à la consommation, qui génèrent plus de 60 % des recettes fiscales. La réorientation des instruments de politique budgétaire en vue d’assujettir à l’impôt la vaste économie informelle pourrait accroître le recouvrement des recettes.
Recettes non fiscales
La taxation des secteurs difficiles à atteindre, l’amélioration de la gouvernance en matière de recouvrement des recettes et le renforcement de la responsabilisation permettraient de réduire considérablement les inefficacités et de mobiliser jusqu’à 99 milliards de dollars par an au cours des cinq prochaines années.
Les recettes non fiscales constituent une autre source de revenus inexploitée qui pourrait élargir la marge de manœuvre budgétaire dans la majorité des pays africains. Elles proviennent de sources telles que les subventions, les loyers immobiliers, les frais et autres sources diverses. Cependant, « les ingérences politiques constituent souvent un obstacle à la perception de recettes non fiscales, en particulier pour les loyers immobiliers. L’amélioration des cadres de gouvernance et le suivi actif des recettes non fiscales pourraient faire augmenter les recettes de 2 % du PIB ».
Les réformes de l’administration fiscale ont été parmi les réformes fiscales les plus réussies en Afrique au cours des deux dernières décennies. « La mise en place d’administrations fiscales semi-autonomes, principalement dans les pays anglophones, et l’utilisation des technologies de l’information ont permis d’améliorer le civisme fiscal, de réduire les coûts de vérification du respect des obligations fiscales ainsi que de perception des impôts et d’élargir l’assiette fiscale ».
Les gains potentiels sont substantiels. C’est ainsi que le Rwanda a augmenté ses recettes de 6 % du PIB en introduisant la taxation électronique, tandis qu’en Afrique du Sud, cette innovation a réduit les coûts de vérification du respect des obligations de 22,4 % et diminué de 21,8 % le délai de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices sont des sources majeures de pertes de recettes. « En les éliminant, on pourrait accroître les recettes fiscales en Afrique d’environ 2,7 % du PIB ».
Les principaux moyens d’évasion et de fraude fiscales dans le secteur des ressources naturelles en Afrique sont le recours à des incitations fiscales non stratégiques, les failles dans les conventions relatives à la double imposition, les difficultés à appliquer efficacement le principe de pleine concurrence dans la réglementation des transactions intragroupe, l’inclusion de clauses de stabilité budgétaire dans les contrats et un manque de coordination et de partage des informations entre organismes gouvernementaux.
Soutenabilité de la dette
Le rapport examine également la relation entre la politique budgétaire et la soutenabilité de la dette en Afrique. Il ventile la dette extérieure et intérieure par instrument, créancier et débiteur et évalue les difficultés de trésorerie des gouvernements, les niveaux d’endettement insoutenables et les facteurs qui influent sur la viabilité budgétaire et la gestion de la dette. L’augmentation de la dette publique et l’aggravation de la vulnérabilité de la politique budgétaire en Afrique ont exposé ceux des gouvernements au bord de l’insolvabilité à des difficultés liées au surendettement, y compris des problèmes de service de la dette.
Le rapport préconise l’adoption de meilleures stratégies de gestion de la dette, fondées sur l’approfondissement des marchés intérieurs des capitaux et le recours à des emprunts libellés en monnaie locale.